Chapter 8

850 Words
VIII CassoletteCependant Cléopâtre avait monté lentement son escalier. On entrait chez mademoiselle Cléopâtre d’un pied dégagé, tout en se disant : « C’est une courtisane » mais dès qu’on avait franchi le seuil de l’antichambre, on était saisi de je ne sais quelle admiration qui tempérait la faconde des plus hardis. La Cléopâtre avait le génie du luxe en toutes choses, dans son ameublement comme dans ses robes. Et ce n’était pas la folie de la petite maîtresse qui joue au rococo ; c’était le goût de la grande dame familière au style sévère. Ainsi, dans l’antichambre, un groupe des trois Parques, dans la manière de Michel-Ange, avertissait ceux qui entraient que la maison n’était pas si folle qu’on se l’imaginait. Toute autre eût choisi les trois Grâces, Cléopâtre aimait la poésie plus sombre des trois filles de l’enfer. De chaque, côté de ce groupe, chef-d’œuvre de Duquesnoy, se dressait un n***e en ébène, habits peints, et dorés, armé de torchères en cristal. L’œil était arrêté encore par deux vastes corbeilles en porcelaine avec couvercle tout épanoui de fleurs en saxe. Le salon éblouissait l’esprit comme les yeux. Le plafond était peint par Cabanel, les pendentifs par Verhaz. Le peintre français avait peint l’e********t de Proserpine, pour symboliser l’e********t de Cléopâtre. Le peintre anversois avait peint les quatre saisons de la femme. La corniche et les ornements qui encadraient ces peintures étaient sculptés par Diebolt. Les portes étaient couvertes de bas-reliefs en bronze doré imités des merveilles de Benvenuto Cellini. La serrurerie qui, presque toujours, déshonore nos intérieurs, était travaillée avec tout l’art de l’orfèvrerie. On admirait les serrures comme des bijoux. Les murs étaient divisés en huit panneaux tendus de damas de Smyrne. Sur chaque panneau resplendissait un portrait de maître représentant : Marion Delorme, Ninon de l’Enclos, mademoiselle de la Vallière, madame de Pompadour, Sophie Arnould, lady Hamilton, Lola Montés et la Dame aux Camellias : – en un mot huit dames de bonne compagnie. Les ors ruisselaient partout, depuis le stylobate jusqu’au plafond, mariant leurs teintes rouges, vertes et jaunes dans l’harmonie la mieux fondue. Un lustre en cristal de roche prenait la lumière, même quand il la donnait, par ses mille diamants qui projetaient l’infini dans des glaces de Venise dont les formes sveltes et les biseaux capricieux enchantaient le regard. On foulait aux pieds les plus admirables bouquets de Saint-Jean dans des tapis de haute laine. Les consoles, les canapés et les fauteuils dans le style Louis XVI, les jardinières en porcelaine de Sèvres, avec des peintures de Fragonard, des fleurs rarissimes épanouies sur tous les meubles, deux statuettes en argent, signées Pradier, les mille riens qui sont les menus hochets du caprice donnaient une haute idée du goût de la maîtresse du logis. Tout accusait le sentiment le plus exquis de la forme et de la couleur. – Il ne manque qu’une pendule dans votre salon, dit un jour un s*t à mademoiselle Cléopâtre. – Pourquoi faire une pendule ? lui demanda-t-elle. – La belle question : pour savoir l’heure. – Mais songez donc que si une pendule marquait l’heure ici, elle marquerait trop de temps perdu. Le boudoir de Cléopâtre était insolemment tendu de brocart ; il est vrai qu’il n’était pas grand. Cléopâtre avait fait un jour cette réflexion en soulevant une robe, cadeau plus ou moins anonyme d’un ambassadeur turc, qu’il ne lui fallait pas beaucoup plus d’étoffe pour habiller son boudoir que pour habiller sa vertu. La chambre à coucher était en ébène rehaussé d’or et d’argent, sculpté et ciselé par les meilleurs artistes. Sur les tentures de lampas pourpre, on remarquait quatre tableaux de l’école italienne : Vénus blessée, Madeleine repentie, Diane surprise au bain et Cléopâtre caressant un aspic. Je ne peindrai pas le cabinet de toilette, tout éblouissant qu’il fût par ses féeries ; non plus que la salle de bain, tout en onyx, où deux adorables figures d’argent massif représentaient l’Été et l’Hiver, allégories hasardées de l’eau chaude et de l’eau froide qu’elles versaient bruyamment dans une baignoire à l’antique où Cléopâtre venait se coucher tous les matins, à peine éveillée, émue encore des songes de la nuit et voluptueusement vêtue de ses cheveux aux ondes caressantes. Quand Cléopâtre traversa le salon, elle trouva des lettres. – Oui, dit-elle, les créanciers de l’amour et les créanciers de l’argent. Celui-ci veut que je lui paye son mémoire, celui-là veut que je lui paye ses sourires, ses bouquets et ses guitares ; mais je suspends mes payements. Elle jeta les lettres négligemment dans une grande cassolette en émail cloisonné, une trouvaille, ornements en couleur sur fond bleu turquoise rayé de fils d’or, arêtes d’argent en relief. Elle reposait sur quatre pieds à têtes chimériques en bronze doré dont la ciselure était d’un véritable artiste. Le couvercle que Cléopâtre avait posé sur la table était enrichi de médaillons pareillement en bronze doré. La lumière jouait sur l’émail à grecques bleu foncé et bleu clair dans les percements à jour et sur une adorable petite chimère qui le couronnait. Il y avait beaucoup de chimères chez Cléopâtre. – Il n’y a, dit-elle, que trois choses qui ne soient pas des chimères : C’est Dieu, c’est l’amour, c’est l’argent – et encore ! Et elle mit le couvercle sur les lettres. Cependant sa destinée, son cœur, son âme, sa vie était dans une des lettres qu’elle venait de jeter dans la cassolette. Elle se souvint vaguement d’une écriture bien connue. Elle souleva le couvercle, prit la lettre et la regarda. – Oui, dit-elle, c’est de lui. Eh bien ! je ne la lirai pas. Et elle rejeta la lettre.
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