Chapter 7

544 Words
VII Un enfant du siècleJamais l’argent n’a parlé aussi haut qu’aujourd’hui. C’est que l’argent n’est éloquent qu’à force d’éloquence, c’est que pour mener la vie à quatre chevaux, ce n’est pas assez d’être gentilhomme et de jouer le grand jeu des dettes, il faut avoir une mine d’or sous la main, frapper monnaie à la Bourse par des créations industrielles, lancer des vaisseaux vers l’océan Pacifique, escompter des héritages, remuer l’or de la haute banque ou être le fils d’un des vingt industriels qui gagnent un million par an, qui à vendre des soieries, qui à vendre des diamants, qui à vendre des bonbons. Le père de Max, un grand artiste sans le savoir, gagnait un million par an par son art merveilleux de centupler la valeur de l’or en le travaillant. On reconnaissait son génie à Londres, à Florence, à Pétersbourg, à Rome et à Paris. Quand il avait mis sa griffe sur un bijou, sur un crucifix, sur un bénitier, on ne demandait pas le contrôle de la Monnaie. Max était un Parisien de la décadence, une figure pâle, fine, efféminée, où la perversité s’accusait sous la raillerie. Il n’y avait pas là un homme pour l’avenir, l’enfant gâté avait stérilisé l’enfant, ou plutôt c’était l’enfant du siècle, bruyant, orgueilleux, bravache ; tout à lui, mais plus encore à ses passions qu’à lui-même ; n’ayant ni foi ni loi ; sauvé çà et là des aspirations brutales par son vif amour pour Cléopâtre et par un vague sentiment de l’art. Son père lui avait, de bonne heure, mis la pointe à la main devant les merveilles du XVIe siècle. Max s’était imaginé qu’il serait le Benvenuto Cellini de son temps, et il avait prouvé de rares aptitudes en ciselant une aiguière pour le duc de Luynes et un saint ciboire pour l’archevêque de Bordeaux ; mais le désœuvrement l’avait envahi comme ces herbes folles qui étouffent le blé. Jusque-là il avait passé dans la vie comme un fou, sans prendre le temps de se regarder passer. Cet autre soi-même, qui s’appelle la conscience, ne s’était jamais levé grave et méditatif pour juger ses actions. Il allait, il allait encore, il allait toujours, comme un jeune cheval enivré par la course qui se brisera tout à l’heure la tête aux rochers des précipices. Pareil à tous ceux qui ont gaspillé leur jeunesse, ni la raison, ni le devoir n’avaient pu l’attacher au mât du navire ; raillant la famille, raillant Dieu, se raillant lui-même, il s’était jeté tout éperdu dans les folies dévorantes, dans les passions effrénées, dans les ivresses orageuses. Quand on les rencontre ces beaux jeunes gens, avec leur masque où l’ironie n’efface pas la bonté, spirituels, mais généreux, aiguisant des mots, mais ayant toujours un louis pour une bonne œuvre, disant du mal de leur prochain, mais commençant par se diffamer eux-mêmes, s’attelant au char de quelque coquine, mais retrouvant, quand ils franchissent le seuil de la maison paternelle, je ne sais quelle vertu primitive, on ne peut s’empêcher de les aimer ; s’ils sont ainsi, c’est peut-être la faute des temps. Ce qui tue leur âme, c’est l’oisiveté. Mais qu’on y prenne garde, il faut que de grands exemples arrachent tous ces Max des jardins d’Armide qui commencent au Château des Fleurs. Ils sont si près du bien encore, mais ils sont déjà si près du mal. Un philosophe ancien n’a-t-il pas dit : « La mollesse est une barque qui ne remonte jamais le courant ! » Or, pour se retremper aux sources vives de la vertu, il faut remonter le courant : la vertu jaillit des hauteurs de la montagne.
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