III - L’e********t

1560 Words
III L’enlèvement Sur la pente où se laissait glisser Mac Allan, il était évident qu’il devait arriver au but final et fatal qu’il semblait rechercher dans son ardeur fiévreuse. Au milieu d’une scène de passion violente, où les trésors d’amour accumulés dans son âme débordèrent à son insu, il apprit à la jeune fille tout ce qu’il éprouvait pour elle et tout ce qu’il espérait d’elle ; celle-ci, paraissant enfin lire au fond de sa conscience avoua à l’heureux Irlandais qu’elle partageait non seulement la vivacité de ses sentiments, mais que les aveux, exprimés par sa bouche remplissaient son cœur de la joie la plus ardente et la plus pure. C’était une demande en mariage précise et nette avec acceptation bien franchement exprimée. Mac Allan, selon son opinion, largement partagée par le monde, était un honnête homme ; il n’avait aucun compte à rendre de ses actions, si ce n’est à lord Wellinster qui lui parut devoir être admis à la confidence de ses amours et de ses projets. En attendant, il écrivit à son intendant, en Irlande, de vouloir bien réunir les pièces nécessaires à la conclusion de son mariage, tant en son nom qu’en celui de sa chère compatriote et fiancée. Les deux jeunes gens sollicitèrent aussi, pour la forme, un semblant de consentement auprès de quelques parents éloignés qui, n’ayant point à le refuser, s’empressèrent de l’accorder avec sollicitude. Tout allait être prêt et lord Wellinster prévenu, quand celui-ci reçut la nouvelle du retour de son fils à Londres. Le voyageur déclarait n’avoir pu dépasser le cap de Bonne-Espérance, à la pensée de placer de nouvelles et plus grandes distances entre son père, sa fille et lui. Arrivé de la veille il s’empressait de le prévenir, ne voulant point le surprendre inopinément dans une dizaine de jours. Lord Wellinster reçut cette lettre à table où par hasard Mac Allan se trouvait convié, ainsi que miss Oratia. Jenny versait le thé, suivant le désir du vieillard qui la laissait volontiers s’acquitter de cette délicate fonction : – Bonnes nouvelles ! mes amis, s’écria le noble lord après avoir déchiffré la missive de son rejeton. Et se penchant vers sa petite-fille, au front de laquelle il mit un joyeux b****r : – C’est votre père qui revient, mon enfant. Il n’a pu se résoudre à une séparation aussi longue que celle qu’il avait fixée d’abord et dans une semaine au plus tard nous le reverrons ici. Miss Oratia, une charmante enfant, se mit à battre ses petites mains l’une contre l’autre. Mac Allan, de son côté, apprit cette nouvelle avec une politesse assez voisine de l’indifférence, car elle ne pouvait exercer aucune influence apparente sur sa vie. Mais, devant la joie du grand-père et celle de l’enfant, il crut devoir les féliciter du bonheur qui s’extasiait sur leur visage, sans cesser toutefois de tremper philosophiquement une tartine de pain beurré dans sa tasse de thé. Pour Jenny, placée derrière les deux hommes, elle dut à cette circonstance de pouvoir cacher le brusque mouvement dont elle fut remuée, lors de l’annonce du retour de sir Patrice, ainsi que la soudaine pâleur qui gagna ses joues. Un instant elle ferma les yeux, puis, sentant ses jambes se dérober sous elle, elle fut obligée de s’appuyer au fauteuil du vieillard. Celui-ci devina plutôt qu’il ne sentit ce mouvement et se retourna ; la jeune fille avait déjà repris son empire sur elle-même, et quand Mac Allan, imitant son hôte, porta les yeux du côté de Jenny, il trouva des traits encore déplacés, mais souriant déjà, et un regard plein d’éloquentes et suaves caresses. Néanmoins la secousse avait été assez forte pour n’avoir point complètement échappé à lord Wellinster : – Ne vous fatiguez pas ainsi, miss Jenny, lui dit le bon vieillard. Pourquoi rester debout et ne pas prendre place à côté de votre élève ? – Venez, miss, appuya la jeune fille très affectionnée à sa belle institutrice. Malgré tout son courage, malgré l’empire qu’elle paraissait posséder sur elle-même, Jenny accepta le secours qu’on lui offrait. Elle s’assit, se versa une tasse de thé, en avala quelques gorgées et se retrouva plus vaillante et plus fraîche que naguère. Mais à partir de ce moment, son impatience de quitter l’hôtel se manifesta chaque jour sous une forme qui variait de l’agitation jusqu’à la terreur. N’osant pas insister au-delà de certaines limites auprès de son fiancé, elle employait des moyens détournés pour engager celui-ci à ne plus différer son départ, à prendre ou à lui laisser prendre un parti décisif. L’Irlandais, dominé par son amour, attendant loyalement cependant, et patiemment aussi, la conclusion désormais inévitable de son mariage, ne comprenait rien au sentiment d’inquiétude, à la hâte fébrile que témoignait Jenny et dont il lui fallait bien parfois s’apercevoir. Quoique vivement contrarié de perdre Jenny, de la voir abandonner l’œuvre qu’elle avait parfaitement commencée, de l’éducation de miss Oratia, l’excellent Wellinster, mis au courant des projets des deux amoureux en avait approuvé complètement et de la façon la plus gracieuse les jolis rêves dorés. – Dans quelques jours, leur disait-il le surlendemain, sir Patrice sera de retour. Jenny pourra quitter son élève et la laisser à la garde de son père et de son aïeul, qui verront de se pourvoir ailleurs d’une autre institutrice. Et comme le digne homme professait la plus grande estime pour le savoir et l’habileté de l’Irlandaise, il ajouta : – Nous aurons de la peine à vous remplacer Jenny, mais la certitude de votre bonheur nous sera une consolation bien douce. Jenny écoutait ces consolations bienveillantes avec une impatience contenue. Elle comptait les jours avec une ardeur fiévreuse, parlait sans cesse des courriers d’Irlande qui n’arrivaient pas, et quand il devint évident pour elle que les formalités exigées par la loi française ne pourraient être remplies avant le retour de sir Patrice, elle éprouva comme un v*****t accès de désespoir. Dès lors son parti fut arrêté. Elle prit la résolution de brusquer le dénouement que Mac Allan semblait attendre avec tant de calme et de patient amour. Obéissant à des raisons qu’elle connaissait seule et qui seront révélées au lecteur quand il en sera temps, elle s’enfuit un soir de chez son protecteur. En rentrant chez lui, dans un petit appartement meublé qu’il occupait vers le milieu de la rue de Provence, Mac Allan trouva la jeune fille installée chez lui, pleurant, la figure cachée dans les mains. – Vous ! s’écria l’Irlandais voyant Jenny assise sur un canapé, vous Jenny ? Vous ici, et à cette heure ? – Oui, Edward, répondit la jeune fille en montrant son visage baigné de larmes. Est-ce que vous refuseriez à votre amie un asile qui soit pour elle un refuge ? – Vous refuser asile ! reprit Mac Allan sur un ton qui ne laissait aucun doute à propos des sentiments qu’il éprouvait, vous êtes la maîtresse ici, comme vous l’êtes de moi-même. Au ton dont ces paroles furent prononcées, la jeune fille, quel que fut son projet, comprit qu’elle était sûre de remporter la victoire : – Je vous ai dit cent fois, Edward, combien la vie que je mène à l’hôtel Wellinster m’était lourde et pénible. Aujourd’hui le fardeau a dépassé mes forces, je l’ai quitté pour toujours, et n’ayant à Paris qu’un seul ami, je me suis réfugiée chez lui. Ai-je bien, ai-je mal fait ? Aveuglé par sa passion, Mac Allan ne comprit pas tout ce qu’il y avait d’étrange dans la conduite de la jeune fille ; il ne vit que la douleur dont témoignait son attitude. – Vous ne pouvez mal agir, Jenny, répondit-il. Aussi bien, dans les termes où nous sommes, quel défenseur plus zélé trouveriez-vous ? Ce logis est le vôtre, usez-en à votre fantaisie. La situation ne laissait pourtant pas que d’être assez embarrassante. Mac Allan était logé comme le sont les jeunes gens de passage à Paris ; de plus il avait à lutter contre l’ardeur de son amour, que la démarche pleine de confiance de Jenny et la douleur qu’elle semblait ressentir venaient d’accroître jusqu’aux plus extrêmes limites. Quelques jours après, sir Patrice Wellinster arrivait de Londres et se rendait d’abord chez son père. Les premiers moments d’effusion passés, le jeune homme demanda sa fille ; on la lui amena, et comme malgré les caresses qu’elle lui prodiguait, sir Patrice s’aperçut que miss Oratia avait dans les traits quelque chose de triste et de contraint, il s’enquit de la cause : – Ah ! vous ne savez pas la nouvelle, lui dit lord Wellinster ; Oratia est triste parce que son institutrice, miss Jenny, nous a subitement abandonnés. – Miss Jenny vous a quittés ! s’écria le nouveau venu dont la voix s’altéra sensiblement, tandis qu’il essayait en vain de cacher une douloureuse surprise. – Oui, reprit le vieillard se trompant à l’expression du visage de son fils, et je comprends tout l’ennui que vous cause, pour votre chère petite, cette nouvelle inattendue. Quand nous serons seuls, je vous raconterai ce petit roman. – Mais, c’est plus qu’un ennui, mon père, dit le jeune Wellinster en essayant de reprendre son empire sur lui-même, c’est une véritable catastrophe pour ma fille. Jamais nous ne remplacerons miss Jenny. – Je suis tout à fait de votre avis, Patrice ; mais que voulez-vous ! miss Jenny était jeune, et les jeunes gens !… À part lui, et comme s’il n’avait pu s’habituer complètement au départ de l’Irlandaise, lord Wellinster ajouta, assez haut pour que son fils l’entendît : – Celle-ci cependant m’a trompé. Et Mac Allan. Qui l’aurait dit ? Miss Oratia partie, l’Anglais entreprit de raconter à son fils l’aventure singulière et passablement scandaleuse dont, pendant son absence, l’hôtel avait été le théâtre. Quelques instants après avoir reçu cette confidence, sir Patrice ayant réfléchi sur sa conduite et s’étant fixé à lui-même le parti qu’il avait à prendre, se présentait au logis d’Edward : – Sir Mac Allan est parti depuis quelques jours, lui répondit un personnage qui tenait à la fois du concierge et du maître d’hôtel. – Seul ? demanda l’Anglais. – Non certes, reprit son interlocuteur, mais avec une jeune fille, sa compatriote, qu’il doit épouser. – Et… savez-vous quelle route ils ont prise ? – Je le sais parfaitement. Nos amoureux doivent être en ce moment à Genève, sur le point de procéder à la cérémonie nuptiale. Le soir même, sir Patrice Wellinster se mettait en route pour la Suisse.
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