Leyth

1941 Words
Leyth L’été vient de passer. Et je crois, sans mentir, que c’était le plus long été depuis que je suis né. J’ai passé chaque jour à attendre un appel qui n’est jamais venu. Une lettre qui n’a jamais été reçue. Depuis le dernier jour d’école, je n’ai plus revu Harry, je n’ai plus entendu quoique ce soit qui le concernait de près ou de loin. Même maman n’a plus parlé de lui ni de sa maman, alors qu’elles étaient copines. C’est comme si maman pensait que j’avais oublié. Mais comment je pourrais oublier mon meilleur copain ? Ce n’est pas possible ! Alors j’ai attendu. Parce qu’il m’a promis. Il m’a fait la promesse du petit doigt, il n’a pas le droit de la briser. Je lui fais confiance. Alors aujourd’hui j’ai le sourire. Parce qu’aujourd’hui, je retourne à l’école. Je suis tout excité parce que je vais enfin aller à l’école des grands ! Puis, qui dit école, dit Harry ! C’est un grand lui aussi maintenant, alors il doit être là ! J’ai tellement hâte de le revoir que je me lève avant même que maman ne vienne me réveiller. Elle a été drôlement surprise de me voir si tôt dans la cuisine, mais ça lui a fait plaisir quand même. — Bah alors ma grenouille, t’es tombé du lit ce matin ? Elle demande en riant. — Mais non maman ! J’ai trop, trop, envie de retourner à l’école, c’est tout ! Je réponds, alors que ça me paraissait implacablement logique. — Mais tu sais qu’aujourd’hui c’est seulement la journée d’immersion. Ils vont vous donner vos uniformes, vos carnets, vous attribuer vos casiers et vous mettre dans vos classes. Les cours ne commencent que la semaine prochaine, le temps que certains enfants intègrent le pensionnat. — Alors il va encore falloir que j’attende une semaine ?! Je m’époumone. — Eh oui ! — Mais aujourd’hui, je vais voir tous les nouveaux élèves de l’école comme moi, non ? — Si ! — Donc aujourd’hui je vais revoir Harry ! Lorsque cette affirmation atteint ma maman, elle me jette un regard plein d’incompréhension avant de soupirer. Elle se retourne ensuite vers les placards et sort de quoi petit-déjeuner. Pourquoi elle n’a pas l’air contente maman ? Même un peu ? Je croyais qu’elle l’aimait bien, Harry ! Après qu’elle ait fini de tout préparer devant moi, elle vient m’embrasser le front et s’assoit en face avec une tasse remplie de quelque chose qui sent pas bon. — C’est quoi que tu bois maman ? Je demande, ma curiosité piquée à vif. — C’est du café. Elle me répond distraitement en feuilletant les pages de son magazine de mode. — Je peux goûter ? — Tu ne vas pas aimer, c’est une boisson de grands ! Elle rit en me tendant sa tasse. Fais attention, c’est chaud alors tu souffles. Et je m’exécute après avoir attrapé sa tasse, plus grosse, et surtout plus chaude, que la mienne. Je souffle sur le dessus de la boisson noire fumante et fronce le nez lorsque j’essaie de capter l’odeur. — Pfiou,ça ne sent pas bon ! — Mais goûte au lieu de dire ça ! Elle s’amuse. Alors doucement je prends une gorgée et grimace quasi instantanément. — Beurk, ce n’est pas bon ! Je dis en posant la tasse. Je préfère mon chocolat moi ! Si ça, c’est une boisson de grands alors je ne veux jamais grandir ! Un éclat de rire de ma maman accompagne ma déclaration. — Moi aussi je veux que tu ne grandisses jamais mon cœur. Elle sourit avant de poursuivre. Tu resteras toujours mon bébé de toute manière. — Mais maman euh ! Je râle alors qu’elle ébouriffe mes cheveux.Je ne suis pas un bébé d’abord ! Et en plus, t’as mis mes cheveux tout en bazar ! — Mais t’n’étais déjà pas coiffé ! Je ris et lui tire la langue, ce qu’elle me rend, puis je finis mon petit-déjeuner dans le presque-silence comblé par le bruit de fond de la radio. J’aime bien les matins comme ça parce que des fois, maman elle est de mauvaise humeur alors elle est toute ronchonne, puis parfois c’est moi qui ai du mal à me lever. La radio continue à lâcher des informations pas trop utiles, et c’est comme ça que j’apprends qu’aujourd’hui il risque de pleuvoir parce qu’une perturbation venant du nord de la France se déplace au-dessus de Londres, que le tunnel sous la Manche est embouteillé à tel point qu’il faut que les conducteurs multiplient leur temps de trajet par deux, mais aussi que les précédentes rafales de vent ont fait chuter un arbre sur une ligne à haute tension et que du coup tout un quartier de la banlieue de Londres se retrouve sans électricité ainsi qu’un centre commercial qui ne pourra donc pas ouvrir ses portes. Les informations m’ennuient tellement que je décide de sortir de table –après avoir demandé l’accord à maman– pour aller poser ma tasse dans l’évier. Je grimpe prudemment sur mon tabouret et me lave les mains ensuite. — Tu devrais te mettre un pull bébé, il ne va pas faire beau aujourd’hui. Je te sortirai ton écharpe avec tes gants et ton bonnet, je les poserai sur la table basse du salon. Maman annonce avant de se lever pour poser sa tasse à son tour dans l’évier et de me porter pour me faire descendre du tabouret. — Oui maman.Je dis, un peu embêté qu’elle soit autant sur mon dos, je ne suis plus un bébé, je suis un grand maintenant alors je peux le faire tout seul. Mais comme je sais qu’elle ne pense pas à mal, je ne dis rien et je m’exécute. Après être descendu du tabouret, je pars comme une flèche dans ma chambre et j’ai à peine le temps d’entendre un vague « Ne cours pas dans les escaliers ! » venant de la cuisine avant de refermer la porte de ma chambre derrière moi. J’attrape les vêtements que maman m’avait préparés hier soir et me dépêche de retirer mon pyjama pour les enfiler. Je suis ensuite allé dans la salle de bain pour me brosser les dents et me coiffer. Une fois que j’ai fini de me préparer, je jette un coup d’œil à mon reflet et ça me fait sourire. Je n’ai pas l’air fatigué et j’ai fait exprès de bien me coiffer pour faire plaisir à Harry. J’ai tellement hâte de le revoir que je n’ai pas envie qu’il ait une mauvaise image de moi vu que ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus. Une fois prêt, je n’ai pas attendu une seconde de trop pour descendre dans l’entrée après avoir attrapé mon cartable à la volée. J’ai laissé maman m’enfiler mon manteau, et mes chaussures ainsi que bonnet, gants et écharpe. Elle n’a pas arrêté de me râler après parce que je ne tenais pas en place, elle m’a plusieurs fois menacé de me « ramener au magasin parce qu’ils ont oublié de m’intégrer un bouton on/off. »Ce qui m’avait fait rire et avait réussi à me calmer pour quelques minutes au moins. Le chemin à pieds m’a paru interminable, maman n’a pas arrêté de tirer sur ma main parce que ses chaussures à talons ne lui permettaient pas de me suivre à l’allure à laquelle j’allais. La laisser une fois devant le portail ne m’a pas été très difficile, pourtant vu l’eau qui s’est accumulée dans ses yeux, ce n’était pas facile pour elle. J’ai embrassé sa joue avant de disparaître derrière les grilles. À partir de là, tout s’est enchaîné très vite. J’ai été entraîné par une adulte pour aller trouver ma classe, et j’avais beau étendre le cou pour essayer de repérer Harry, je ne l’ai pas aperçu. Le discours de début d’année m’a paru durer une éternité, pourtant c’était intéressant. J’ai rencontré plein de nouveaux enfants de mon âge, et je me suis déjà fait un copain, c’est mon voisin de table. L’uniforme était trop cool et la maîtresse nous les a distribués en laissant une note à nos parents pour les informer de comment en avoir de nouveau, enfin je crois. Une fois que tout était fini, on a été autorisés à attendre nos parents en nous amusant dans la cour, alors je me suis assis sur un muret et j’ai analysé chaque visage qui passait devant moi, mais aucune trace d’Harry. — Tu veux venir jouer avec nous ? On joue au loup avec les autres ! Un petit garçon me sort de mes pensées en souriant. Il était un peu plus grand, roux aux yeux verts, et lorsqu’il m’a souri j’ai remarqué qu’il lui manquait une dent. La petite souris avait dû passer il n’y a pas longtemps. — Je ne peux pas, j’attends quelqu’un…Je dis en soupirant, car ça m’aurait plu de jouer avec eux. — T’attends qui ? — Mon meilleur ami ! Je ne sais pas quand il va arriver, je ne l’ai pas vu depuis un moment… Il s’appelle Harry, il est brun et il a des bouclettes avec des yeux verts. Tu ne l’aurais pas vu ? Je demande, ma voix remplie d’espoir. — Non… Mais tu peux venir jouer avec nous, il nous rejoindra quand il arrivera ! Il propose en me tendant la main. J’hésite un instant avant d’attraper sa main tendue et de le suivre vers le groupe qu’il avait quitté pour me rejoindre. Après tout, il avait raison, Harry nous rejoindra ! Sauf que le temps est passé et qu’Harry n’est jamais venu. Maman est arrivée sans que j’aie le temps de le voir. J’étais terriblement déçu, c’est pourquoi le chemin retour a été incroyablement silencieux, ce qui a peut-être un petit peu inquiété maman, car lorsque nous sommes rentrés, elle m’a préparé mon goûter et elle m’a laissé le prendre devant la télévision ; c’est rare. Je voulais être seul pour réfléchir. Pourquoi Harry n’est-il pas venu ? Il a eu un empêchement ? Ou alors peut-être qu’il était là, mais qu’il m’a volontairement évité ? Et si c’était le cas : pourquoi ? Ça expliquerait pourquoi on ne s’est pas vus pendant toutes les vacances. Maman a dû en avoir marre de me voir ruminer, car après le goûter je suis monté dans ma chambre et elle est venue me rejoindre alors que j’étais assis en tailleurs au milieu de mon lit. — Ley’ ? Elle m’appelle en passant sa tête dans l’encadrement de la porte. Je peux entrer ? — Oui… Elle ne se le fait pas dire deux fois avant de venir s’asseoir sur mon lit, face à moi. — Beh alors ma grenouille qu’est-ce qu’il se passe ? Tu n’étais pas comme ça ce matin. Il s’est passé quelque chose à l’école ? Elle demande en passant une main dans mes cheveux. — C’est Harry… Il n’est pas venu aujourd’hui… J’annonce tristement. Bizarrement, maman ne releva pas cette information, comme si elle n’était pas surprise. Après un lourd silence, elle soupire et reprend la parole. — Je sais… — Quoi ? Comment ça ? Je questionne en la fixant avec mon air le plus ahuri. — Je ne savais pas comment te le dire mon cœur… — Quoi ? Mais de quoi tu parles maman ? Je m’inquiète soudainement en voyant son air triste. — Harry a déménagé, Leyth… Et je ne pourrais pas décrire la sensation qui m’a envahi à ce moment-là, mais ce n’était franchement pas agréable. Non… Il ne peut pas être parti… Il m’a promis ! — Non… Non. NON ! Je hurle en éclatant en sanglots. Il n’avait pas le droit ! Pourquoi m’a-t-il abandonné comme ça ? Qu’est-ce que j’ai fait de mal ?! — Et tu le savais ?! Je demande à maman en essuyant rageusement mes yeux. — Je l’ai appris pas longtemps après la fin de l’année scolaire dernière… Je ne voulais pas te faire de la peine, chéri… — Parce que tu crois que ça m’en fait pas ?! J’ai passé tout l’été à espérer voir Harry alors que tu savais très bien que ça n’arriverait pas ! T’n’es pas mieux que lui ! Vous m’avez tous les deux trahi ! Va-t’en, je veux plus te voir ! Je hurle en poussant son bras. Je sais que je suis allé beaucoup trop loin dans ma réaction, et que je n’aurais pas dû parler comme ça à maman, mais je suis trop déçu pour réfléchir. Et comme si elle l’avait compris, maman se lève en soupirant alors que je m’attendais à une punition pour mon manque de respect. Elle quitte ma chambre en me lançant un dernier « je suis désolée » et moi ; j’enfouis ma tête dans mes oreillers en continuant à pleurer. Je ne me suis pas arrêté de la soirée. Et, comme l’avait annoncé la météo ce matin, il s’est mis à pleuvoir. Comme si le temps s’accordait avec moi pour dire que ces trahisons font mal. Les jours suivants, je ne voulais plus parler à maman sauf pour échanger le strict minimum, et je continuais à attendre Harry à l’école, car je me suis profondément plongé dans le déni. Il ne pouvait pas briser la promesse du petit doigt. Lors des récréations, je gardais notre rituel du silence et des dessins. Mais au bout de plusieurs semaines, j’ai été forcé de me faire une raison : Harry a déménagé et il ne reviendra plus. Je ne le reverrai plus. Jamais.
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