IIILavenette marchait derrière, coiffé de son immense bonnet de coton, comme s’il se fût agi de monter en diligence. Il portait sa canne sous le bras droit, et son parapluie sous le bras gauche. Il s’arrêtait à chaque pas, se tâtant, se fouillant encore, faisant mine de retourner à l’hôtel, comme s’il eût oublié quelque chose, et continuant son chemin, après avoir reconnu que sa pacotille était complète.
La vue de la mer, qui dans ce moment était peu rassurante, causa à Lavenette le léger sentiment de colique auquel il était sujet dans toutes les grandes circonstances. Comme il avait emballé par mégarde le télescope dont il s’était muni, et qu’il était extrêmement ingénieux, il s’en fit un de ses deux mains, en les fermant à demi, les accolant l’une à l’autre, et s’en servant pour regarder au travers. « C’est singulier ! » s’écria-t-il en apercevant la Rapide qui se balançait majestueusement au fond du port ; « c’est singulier ! M. de La Harpe prétend que les vaisseaux sont des villes flottantes. Je ne vois pourtant pas que celui-ci ressemble beaucoup à une ville !
– Vous vous amuserez à batifoler dimanche ! » interrompit Simon Barigoule. « Voici la frégate qui nous fait signe. Filons ! Le bouillon commence à s’agiter. Dans un instant notre coquille de noix risquerait d’y boire un coup, et nous avec. Sans compter que les écrevisses, ces chenapans d’Anglais, nous guettent à la sortie du port, là-bas, et qu’il ne sera pas mal de profiter du brouillard et de la nuit qui tombe, pour leur passer incogénito devant le bec. Ni vu ni connu, je t’embrouille. Allons ! houpp ! filons ! filons ! »
Robert-Robert et Lavenette sautèrent du quai dans le canot, qui se mit aussitôt en mouvement.
M. Dupré revint ensuite à l’hôtel où il se garda de rien dire des mauvais pronostics qui avaient été signalés par le marin. Il trouva tout son monde aux fenêtres des appartements qui donnaient sur le port.
Madame Robert agitait son mouchoir blanc en l’air, et faisait de grands signes de tête.
Mademoiselle Gertrude parlait encore à son neveu comme s’il eût été là pour l’entendre.
Les jolies petites sœurs lui envoyaient avec la main des milliers de baisers.
Le canot rejoignit enfin la frégate ; mais, chose étrange, quelques instants s’étaient à peine écoulés, qu’on vit de loin un objet informe s’élever et s’abaisser tour à tour le long des parois du vaisseau.
Quelle était cette masse mobile, qui certainement ne faisait point partie des signaux ordinaires d’un navire ?
Les avis furent partagés sur le port, d’où l’on considérait ce spectacle insolite. Ceux-ci prétendirent que c’était un homme ; ceux-là prétendirent que c’était un gros singe ; enfin d’excellents esprits, comme il s’en trouve partout pour trancher à l’amiable les questions douteuses, prétendirent que ce n’était rien du tout.
Chapitre quatrièmeCe que c’était. – Premier accident de Lavenette. – Appareillage. – La rade de Brest. – Mélancolie. – Départ. – Lavenette commence ses mémoires nautiques. – Deuxième accident. – Première apparition du Parisien dit la Blagueur fini. – Propos sinistres. – Mystère. – Robert-Robert et Lavenette reçoivent de Simon Barigoule leur première leçon de marche. – Troisième accident. – Danger. – Comment faire ? – Le commandant Flottard. – Bravo ! – La famille Robert. – Cruels bavardages. – Canonnade nocturne. – Affreuse incertitude. – Ô mon Dieu !