IIIToutes les personnes de la famille s’étant ainsi partagé les provisions matérielles, ce fut à madame Robert qu’échut naturellement la partie morale des préparatifs. Elle y pourvut avec ce goût et cette raison qui distinguaient chacun de ses actes. D’excellents livres furent choisis par elle, où son fils pût trouver quelque utile distraction pendant la traversée, et qui, au besoin, lui tinssent lieu de professeurs pour l’achèvement de son éducation. Enfin, comme c’était une femme aussi remarquable par ses lumières acquises que par son bon sens naturel, elle se plut à jeter sur le papier quelques idées morales qu’elle intitula : « Conseils à mon fils pour lui servir de règle, dans les circonstances heureuses ou malheureuses où il plaira à la Providence de le placer. » Madame Robert, qui n’avait pas la prétention de se croire une Sévigné après avoir fait cela, comptait, pour l’efficacité de ses préceptes, bien moins sur leur mérite littéraire que sur leur maternelle origine. C’est qu’en effet, être séparé de sa mère par un océan de deux mille lieues, et cependant, là-bas, pouvoir lire quelques lignes tracées de sa main, et toutes remplies de ce prophétique instinct dont le cœur est si merveilleusement doué pour l’avenir de ceux qu’il aime, en vérité, c’est la voir, c’est l’entendre encore, c’est retrouver au loin la protection de sa tendresse. Un fils ne saurait se soustraire à l’autorité de cette voix écrite. Avec quel respect ne reçoit-il pas les avertissements d’une affection qui n’est point restée tout entière sur l’autre rivage, et qui l’a suivi comme un ange gardien jusqu’en ces lointains pays ! Avec quel abandon de piété filiale ne prosterne-t-il pas sa volonté devant cette volonté tutélaire ! Avec quelle joie ne s’abrite-t-il pas sous cette pensée qui, à travers l’immensité, continue de s’étendre sur lui ! C’est ainsi que le petit oiseau se réfugie pendant l’orage sous l’aile toujours ouverte de sa mère.
Robert-Robert fut pénétré de reconnaissance en recevant ce petit traité de conduite, et dès ce moment il le porta sur lui sans vouloir s’en séparer jamais.