III

485 Words
IIIMadame Robert fut vivement touchée des amicales sollicitations de son frère ; mais je doute qu’elle eût cédé, si de malheureuses circonstances ne fussent survenues qui rendaient plus précieux que jamais les avantages de fortune qu’on lui offrait pour son fils. Le tuteur éprouvait journellement des pertes considérables dans son commerce de quadrupèdes. Plusieurs maisons de maquignonnage lui avaient fait banqueroute de la plus grande partie de ses étalons. Ses taureaux étaient devenus si horriblement chétifs, qu’ils ne valaient plus rien, à force d’avoir été perfectionnés ; et quant à ses moutons-modèles, la plupart étaient morts de la clavelée. Il avouait lui-même qu’il ne comprenait rien à ses meilleures recettes. Ces déplorables résultats avaient causé de grands déficits dans les revenus de la famille. M. Dupré ne voyait rien d’ailleurs que de très raisonnable dans la demande de l’oncle. – « Pars ! » disait-il à son pupille. « Nous aimerions beaucoup mieux, sans doute, te garder auprès de nous ; mais sois heureux, n’importe où, et nous serons heureux. Tu es encore bien jeune, dit-on. Rassure-toi : c’est un défaut dont j’ai toujours ouï dire qu’on se corrige avec le temps. » Ainsi parlait le tuteur, brave homme, qui ne dédaignait pas de glisser le petit mot pour rire dans les circonstances les plus graves. C’était un de ses moindres défauts. Quant à Robert-Robert, il y avait longtemps que les lettres de son oncle lui inspiraient le vague désir d’aller le rejoindre. Ces contrées si lointaines, ces grandes mers à traverser, cette vie aventureuse, ces mœurs nouvelles, toute cette autre nature dont le récit des voyageurs lui avait encore exagéré le grandiose et l’étrangeté, tout cela avait fermenté dans son imagination. Il s’était tu pourtant, dans la crainte d’affliger sa mère ; mais enfin ce voyage ne devait plus être une simple affaire de fantaisie, de curiosité, d’agitation romanesque ; c’était désormais une entreprise utile, indispensable même. « Car, » se disait Robert-Robert dans l’excellence de son cœur, « travailler à ma fortune, c’est peut-être assurer celle de ma famille, pour les chances d’un avenir que la décadence actuelle de son ancienne prospérité ne rend déjà que trop imminentes. » Robert-Robert appuya donc de tout son désir l’opinion dont son tuteur avait pris l’initiative. Madame Robert ne pouvait résister davantage à des instances si nombreuses, si répétées, et dont sa haute raison lui faisait sentir la justesse. Son âme se brisait d’avance à la pensée d’une séparation qui devait durer longtemps, qui devait être éternelle peut-être ; mais sa tendresse était trop éclairée, trop pure même de ce touchant égoïsme qui peut remplir le cœur jaloux d’une mère, pour qu’elle ne fit point le sacrifice de son bonheur présent aux intérêts d’avenir qui réclamaient son fils. Le voyage de Robert-Robert fut résolu. Restait à en faire les apprêts ; restait à composer son trousseau, son office, sa cave et sa bibliothèque de voyage ; restait à lui trouver un compagnon convenable, car madame Robert jugeait inutile sans doute de lui adjoindre aucune espèce de sociétés, ainsi que son frère lui en avait fait la proposition. Nous l’avons dit, c’était une femme de beaucoup de sens. Chapitre deuxièmePréparatifs. – Les jeunes sœurs de Robert-Robert. – Sa tante Gertrude. – Ce que c’est que Toussaint Lavenette. – Ses apprêts. – Départ.
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