Chapitre IIIÔ vaillants fier-à-bras, qui, prenant pour théâtre
Quelque vil cabaret tapissé par le plâtre,
Célébrez les hauts faits de ce siècle maudit,
Vantez des factions le désastreux conflit,
Les périls que courut votre insigne vaillance,
Et que sut éviter votre rare prudence
Quand les balles sifflaient en passant près de vous,
Et que vous combattiez ou pour ou contre nous ;
C’est de vous que je parle.
Légende du capitaine Jones.
Joseph Tomkins et le garde forestier Joliffe restèrent quelque temps en silence, les yeux fixés sur le sentier par lequel le chevalier de Ditchley et la jolie mistress Alice venaient de disparaître à travers les arbres. Ils se regardèrent ensuite l’un l’autre en hommes qui semblaient douter s’ils devaient se considérer comme amis ou comme ennemis, et qui ne savaient trop comment entamer la conversation. Ils entendirent le vieux Cavalier siffler pour appeler Bevis. Le chien tourna la tête et dressa les oreilles en entendant ce son bien connu ; mais il n’obéit pas au signal, et il continua à flairer les habits du soldat.
– Il faut que tu sois doué d’une science rare, dit Jocelin à sa nouvelle connaissance. J’ai entendu parler de gens qui possèdent des charmes pour voler à la fois les chiens et les daims.
– Ne t’inquiète pas de mes qualités, l’ami, répondit Tomkins ; mais songe à exécuter les ordres de ton maître.
Jocelin ne répondit pas sur-le-champ ; mais enfin, comme en signe de trêve, il posa sur la terre le bout de son gourdin, et, s’y appuyant, dit d’un ton assez brusque : – Ainsi donc, mon vieux maître et vous, vous étiez aux couteaux tirés, par manière d’office du soir, sire prédicateur ? Il est heureux pour vous que je ne sois pas arrivé pendant que les lames étaient croisées, car j’aurais sonné un fameux carillon sur votre tête.
– C’est toi qu’il faut en féliciter, l’ami, répondit l’indépendant avec une espèce de sourire amer, – car jamais carillonneur n’aurait été si bien payé de ses peines. – Au surplus, pourquoi y aurait-il guerre entre nous ? pourquoi ma main s’élèverait-elle contre la tienne ? Tu n’es qu’un pauvre diable exécutant les ordres de ton maître, et je n’ai nulle envie que ton sang ou le mien coule dans cette affaire. Tu dois, à ce qu’il me semble, me mettre en possession paisible du palais de Woodstock, puisqu’on l’appelle ainsi, quoiqu’il n’y ait plus maintenant de palais en Angleterre et qu’on ne doive plus y en voir à l’avenir jusqu’à ce que nous entrions dans celui de la nouvelle Jérusalem, et que le règne des saints commence sur la terre.
– Il est déjà joliment commencé, maître Tomkins, dit le garde forestier. – De la manière dont vont les choses, il ne s’en faut guère que vous ne soyez des rois. Je ne sais trop ce que sera votre Jérusalem ; mais Woodstock est un joli nid pour débuter. – Eh bien ! voulez-vous marcher ? avancez-vous ? – Voulez-vous prendre saisine et délivrance ? – Vous avez entendu les ordres que j’ai reçus.
– Umph ! répliqua Tomkins, je ne sais trop que faire. – Je suis seul, et je dois me méfier des embuscades. – D’ailleurs, c’est aujourd’hui le jour fixé par le parlement, et reconnu par l’armée, pour de solennelles actions de grâces ; – ensuite ce vieillard et cette jeune fille peuvent avoir à réclamer leurs vêtements et quelques objets à leur usage personnel, et je ne voudrais pas que ma présence y mît obstacle. – C’est pourquoi, si tu veux me mettre en possession demain matin, cette formalité sera remplie en présence du détachement qui m’accompagne et du maire presbytérien, afin que tout se passe devant témoins, au lieu que, s’il n’y avait que toi pour me livrer possession et moi pour la recevoir, les enfants de Bélial pourraient dire : – Allez, allez, Tomkins le Fidèle a été un Édomite ; Joé l’Honnête a été un Ismaélite, se levant de bonne heure pour partager les dépouilles avec ceux qui servaient l’Homme, – oui, ceux qui portent de longues barbes et des pourpoints verts, comme en souvenir de l’Homme et de son gouvernement.
Jocelin fixa ses yeux vifs et perçants sur le soldat pendant qu’il parlait ainsi, comme pour tâcher de découvrir s’il parlait de bonne foi. Enfonçant alors ses cinq doigts dans sa chevelure touffue, et se grattant la tête comme si cette opération eût été nécessaire pour le mettre en état de tirer une conclusion : – Tout cela est bel et bon, l’ami, lui dit-il ; mais je vous dirai clairement qu’il se trouve à la Loge quelques plats, quelques pots et quelques gobelets d’argent, échappés au déblaiement qui a envoyé à la fonte toute notre vaisselle quand notre chevalier a voulu lever une compagnie. Or, si vous n’en prenez pas livraison sur-le-champ, je puis me trouver dans l’embarras, car on pourra croire que j’en aurai diminué le nombre, tandis qu’étant un aussi honnête garçon que –
– Qu’aucun voleur de daims qui ait jamais existé, dit Tomkins. – Continue ; – je te devais une interruption.
– Va-t’en au diable ! répliqua Jocelin ; s’il m’est arrivé par hasard d’abattre un daim qui se trouvait sur mon chemin, ce n’était point manque de probité ; c’était uniquement pour empêcher la casserole de ma vieille ménagère de se rouiller. Mais, quant à l’argenterie, comme plats, pots, etc., j’aurais avalé le métal fondu plutôt que d’en dérober un seul. Ainsi donc, je ne voudrais m’exposer en cette affaire à aucun blâme ni à aucun soupçon. Si vous désirez que je vous mette en possession sur-le-champ, suivez-moi, sinon, garantissez-moi de tout blâme.
– Fort bien ; mais qui m’en garantira moi-même, si l’on vient à soupçonner que quelque chose ait été soustraite ? Ce ne seraient pas les honorables commissaires pour qui ce domaine est à présent comme s’il leur appartenait. Nous devons donc, comme tu le dis, agir avec précaution dans cette affaire. Fermer les portes et nous en aller, ce serait une œuvre de simplicité. Mais si nous y passions tous deux la nuit ? L’un de nous ne pourrait toucher à rien sans que l’autre le sût. Qu’en dis-tu ?
– Quant à cela, il faudrait que je fusse déjà dans ma chaumière, afin de la mettre en état de recevoir sir Henry et mistress Alice ; car ma vieille Jeanne est un peu sourde, et elle ne saura pas comment s’y prendre. Et cependant, pour dire la vérité, j’aimerais autant ne pas revoir mon maître cette nuit, car ce qui lui est arrivé aujourd’hui lui a échauffé la bile, et il y a gros à parier que ce qu’il trouvera dans ma hutte ne sera pas propre à le calmer.
– C’est bien dommage qu’un homme qui a l’air si grave et si vénérable soit un Cavalier, un malveillant, et que, comme le reste de cette génération de vipères, il se soit ceint les reins d’une habitude de jurer.
– Qu’il se soit fait un habit de jurements, vous voulez dire, repartit Jocelin en riant d’un calembourg qui a été répété plus d’une fois depuis ce temps ; qu’y voulez-vous faire ? c’est une affaire de coutume. S’il vous arrivait à vous-même de vous trouver tout d’un coup, en personne, en face d’un mai orné de clochettes et de rubans, autour duquel une joyeuse jeunesse danserait au son de la flûte et du tambour, les garçons gambadant, les jeunes filles se trémoussant, et sautant de manière à vous laisser voir la jarretière écarlate qui attache leur bas bleu de ciel, je crois qu’un sentiment plus sociable l’emporterait même sur votre gravité, l’ami ; vous jetteriez d’un côté ce grand chapeau de cocu en forme de clocher, de l’autre cette longue rapière altérée de sang, et vous danseriez comme les fous de Hogs-Norton quand les pourceaux jouent de l’orgue.
L’indépendant se tourna vers le garde forestier, et lui dit avec fierté ; – Que veut dire ceci, M. Pourpoint Vert ? Oses-tu tenir un pareil langage à un homme qui a mis la main à la charrue spirituelle ? je te conseille d’imposer un frein à ta langue, ou tes côtes s’en trouveront mal.
– Ne prends pas un ton si haut avec moi, mon frère, répondit Jocelin, souviens-toi que tu n’as plus affaire à un vieux chevalier de soixante-cinq ans, mais à un gaillard aussi actif et aussi vigoureux que toi, peut-être même un peu davantage ; plus jeune, dans tous les cas. – Mais pourquoi prendre ainsi ombrage pour un mai ? Je voudrais que tu eusses connu un certain Phil Hazeldin dans ce canton : c’était le meilleur danseur qu’on pût trouver entre Oxford et Burford.
– Tant pis pour lui, répondit l’indépendant ; mais j’espère qu’il a reconnu l’erreur de ses voies, et qu’il s’est rendu (comme il le pouvait aisément, si c’était un homme doué d’activité) digne de figurer en meilleure compagnie que celle de rôdeurs de bois, de voleurs de daims, de filles Mariane, de rodomonts, de débauchés, de querelleurs, de farceurs, de baladins, de libertins crapuleux, de femmes légères, de fous, de joueurs de violon, et de créatures charnelles de toute espèce ne cherchant qu’à gratifier leurs sens…
– Fort bien, dit Jocelin ; mais l’haleine vous a manqué à propos ; car nous voici devant le fameux mai de Woodstock.
Ils s’arrêtèrent dans une grande prairie, formant une clairière entourée de toutes parts de grands chênes et de beaux sycomores. Un de ces arbres, qui semblait le roi de la forêt, s’élevait seul à quelque distance des autres, comme s’il n’eût pu souffrir le voisinage d’un rival. Ses branches desséchées étaient rabougries ; mais son tronc antique attestait encore quelle avait été la taille gigantesque de ce monarque des forêts d’Angleterre.
– C’est cet arbre qu’on appelle le Chêne du Roi, dit le garde forestier. Les plus vieux habitants de Woodstock ne sauraient dire quel est son âge. On dit que Henry avait coutume de s’asseoir sous ses branches avec la belle Rosemonde, pour voir toute la jeunesse danser et se disputer les prix de la course et de la lutte, qui étaient des ceinturons et des bonnets.
– Je n’en doute nullement, l’ami ; un tyran et une prostituée étaient dignes de présider à de telles vanités.
– Tu peux dire tout ce que tu voudras, pourvu que tu me laisses parler à ma guise. Voilà le mai, comme tu le vois, à une demi-portée de mousquet du Chêne du Roi, au milieu de la prairie. Le roi donnait tous les ans un arbre de la forêt et dix shillings pour en faire un nouveau ; mais à présent tu le vois vermoulu, pourri, courbé comme une branche de ronce flétrie. On avait soin de bien tondre la prairie, et d’y passer le rouleau, de sorte qu’elle avait l’air d’un manteau de velours vert ; mais à présent l’herbe y pousse inégalement, et personne ne songe à la faucher.
– Fort bien, fort bien, ami Jocelin, mais où trouver de l’édification dans tout cela ? Quelle doctrine pouvait-on tirer d’une flûte et d’un tambour ? Quelle leçon de sagesse peut donner une cornemuse ?
– Tu peux le demander à de plus savants que moi ; mais il me semble qu’on ne peut toujours être grave et avoir le chapeau enfoncé sur les yeux. Il est aussi naturel à une jeune fille de rire qu’à un bouton de fleur d’éclore, et un jeune homme ne l’en aimera que mieux pour cela ; précisément comme c’est le même printemps qui fait chanter les petits oiseaux et gambader les jeunes faons. Mais, le bon vieux temps est passé ; le temps d’aujourd’hui ne le vaut pas. Je te dis que, dans les jours de fêtes que toi et les tiens vous avez supprimées, M. Longue-Épée, j’ai vu cette prairie couverte de jeunes filles joyeuses et de jeunes garçons satisfaits. Le bon vieux recteur lui-même ne croyait pas pécher en venant assister quelques instants à nos divertissements, et l’habit qu’il portait nous maintenait dans l’ordre, et nous apprenait à retenir notre gaieté dans les bornes de la discrétion. Peut-être nous permettions-nous quelquefois une plaisanterie un peu saugrenue ; peut-être nous laissions-nous aller à boire un coup de trop dans la coupe de l’amitié ; mais tout cela c’était franche gaieté et bon voisinage. Oui, et si par hasard on jouait des poings, ou que les bâtons se missent de la partie, c’était de bonne amitié et sans rancune ; quelques coups de gourdin après avoir bu valaient mieux que les coups de sabre qui ont été donnés avec sérieux et gravité depuis que le chapeau du presbytérien s’est élevé au-dessus de la mitre de l’évêque, et que nous avons changé nos bons recteurs et nos savants docteurs, dont les sermons étaient assaisonnés de tant de latin que le diable lui-même en aurait été confondu, pour des tisserands, des savetiers et d’autres volontaires prédicateurs comme – comme celui que nous avons entendu ce matin : il faut que cela m’échappe.
– Eh bien ! l’ami, dit Tomkins avec une patience qu’on ne devait guère attendre de lui, si ma doctrine ne t’inspire que du dégoût, je ne te chercherai pas querelle pour cela. Ton oreille étant tellement chatouillée par le bruit du tambour et de la flûte, tes yeux si vivement épris de la danse, il n’est pas vraisemblable que tu puisses trouver une saveur agréable dans une nourriture plus simple et plus salutaire. Mais rendons-nous à la Loge, afin d’y terminer nos affaires avant le coucher du soleil.
– Sur ma foi, c’est aussi mon avis, et pour plus d’une raison ; car il court sur la Loge des bruits qui font qu’on ne se soucie guère d’y rester après la chute du jour.
– Ce vieux chevalier et sa fille n’avaient-ils pas coutume d’y demeurer ? On me l’avait dit ainsi.
– On vous a dit la vérité ; et quand ils menaient un grand train, tout y allait assez bien ; car rien ne bannit la crainte comme la bonne ale. Mais quand la fleur de nos gens fut partie pour la guerre, et qu’ils eurent été tués dans la déroute de Naseby, ceux qui étaient restés trouvèrent la Loge bien solitaire, et le vieux chevalier fut abandonné par plusieurs de ses serviteurs ; car, ma foi ! il peut se faire que depuis un temps l’argent lui ait manqué pour payer palefreniers et laquais.
– Puissante raison pour la diminution d’une maison !
– Sans doute, monsieur, sans doute. Alors on parla d’un bruit de pas qu’on entendait à minuit dans la grande galerie ; de voix qui chuchotaient à midi dans les appartements d’apparat, et les domestiques prétendaient que tout cela les effrayait et les forçait à demander leur congé. Mais, suivant mon pauvre jugement, quand la Saint-Martin et puis la Pentecôte arrivèrent sans qu’il fût question des gages, les livrées bleues commencèrent à penser qu’ils feraient bien de chercher un gîte ailleurs avant que le froid vînt les geler. – Il n’y a pas de diable plus effrayant que celui qui danse dans la poche, lorsqu’il ne s’y trouve pas une pièce de monnaie marquée d’une croix pour l’en chasser.
– Et vous fûtes alors réduits à un petit nombre de domestiques ?
– Comme vous dites ; et cependant nous restâmes encore une dizaine, tant des livrées bleues de la Loge que des chenilles vertes du parc, dont fait partie votre serviteur ; de sorte que nous continuâmes à y vivre jusqu’à un beau matin que nous reçûmes ordre de faire un tour de promenade, n’importe de quel côté.
– Du côté de la ville de Worcester, sans doute, où vous fûtes écrasés comme des vers de terre que vous êtes.
– Vous pouvez dire ce qu’il vous plaira ; je ne contredirai jamais un homme qui a ma tête sous son ceinturon. Nous sommes au pied du mur, sans quoi vous ne seriez pas ici.
– Bien, l’ami, dit l’indépendant ; tu ne risques rien en me parlant avec confiance et liberté. Je puis être bon camarade d’un bon soldat, même après l’avoir combattu jusqu’au coucher du soleil. – Mais nous voici en face de la Loge.
Ils s’arrêtèrent devant le vieux bâtiment gothique, construit irrégulièrement, et à différentes époques, suivant que le caprice des monarques anglais les portait à venir se livrer aux plaisirs de la chasse à Woodstock et à faire à la Loge les augmentations qu’exigeait le luxe croissant de chaque siècle. La partie la plus ancienne de l’édifice avait été nommée par tradition la Tour de la belle Rosemonde. C’était une petite tourelle très élevée, éclairé par d’étroites fenêtres, et dont les murs étaient d’une rare épaisseur. Cette tourelle n’avait pas d’ouverture au rez-de-chaussée, et n’offrait aucune issue, étant construite en maçonnerie solide jusqu’à certaine hauteur : on ne pouvait y pénétrer, disait encore la tradition, que par le moyen d’une espèce de pont-levis qu’on jetait d’une petite porte pratiquée près du sommet de cette tour, sur la plate-forme d’une autre tour de semblable construction, à peu de distance, mais à vingt pieds plus bas environ, et qui ne contenait qu’un escalier tournant qu’on appelait à Woodstock l’Échelle de l’Amour, parce que, disait-on, c’était en montant par cet escalier, et en se servant du pont-levis, que Henry arrivait dans l’appartement de sa maîtresse.
Cette tradition avait été vivement contestée par le docteur Rochecliffe, dernier recteur de Woodstock, qui prétendait que ce qu’on appelait la Tour de la belle Rosemonde n’était autre chose qu’une citadelle intérieure, dans laquelle le seigneur ou le gouverneur du château pouvait se retirer quand les autres points de sûreté lui auraient manqué, et où il pouvait prolonger sa défense, ou du moins se faire accorder une capitulation raisonnable. Les habitants de Woodstock, attachés à leur ancienne tradition, ne goûtaient pas cette explication nouvelle qui la mettait au rang des fables ; et l’on dit même que le maire, dont nous avons déjà parlé, s’était fait presbytérien pour se venger des doutes que le recteur avait jetés sur cet important sujet, aimant mieux abandonner la liturgie de l’Église anglicane que sa croyance à la Tour de la belle Rosemonde et à l’Échelle de l’Amour.
Le reste de la Loge était d’une étendue considérable et de différents siècles, comprenant un labyrinthe de petites cours, entourées de bâtiments communiquant les uns aux autres, tantôt par les angles, tantôt en traversant les cours, et quelquefois de l’une et l’autre manière. La hauteur inégale des diverses parties du bâtiment annonçait que la communication ne pouvait avoir lieu que par cette multiplicité d’escaliers, qui, construits, disait-on, dans ce seul but, exerçaient la patience de nos ancêtres dans le seizième siècle et à une époque encore plus reculée.
Les façades variées de cet édifice irrégulier étaient, comme le docteur Rochecliffe avait coutume de le dire, un véritable banquet pour l’amateur d’architecture antique ; car elles offraient certainement des modèles de tous les styles, depuis le pur Normand de Henry d’Anjou jusqu’au Composite moitié gothique, moitié classique, d’Élisabeth et de son successeur. En conséquence le recteur était aussi épris de Woodstock, que Henry l’avait jamais été de la belle Rosemonde, et comme son intimité avec sir Henry Lee lui donnait libre entrée en tout temps dans la Loge, il y passait des jours entiers à en parcourir les antiques appartements, examinant, mesurant, étudiant, et commentant avec science des bizarreries d’architecture qui ne devaient probablement leur existence qu’à l’imagination fantasque d’un artiste gothique.
Mais le vieil antiquaire avait été expulsé de son bénéfice par l’intolérance et les troubles du temps ; et son successeur Nehemiah Holdenough, s’il se fût livré à l’examen de l’architecture et des sculptures profanes du papisme, ou s’il avait donné un instant à l’histoire des amours impudiques des anciens monarques normands, se serait regardé à peu près aussi coupable que l’Israélite prosterné devant les veaux de Béthel, ou buvant dans la coupe des abominations. – Mais reprenons la suite de notre histoire.
Quand l’indépendant Tomkins eut examiné avec attention la façade du bâtiment, – Je vois, dit-il, un monument remarquable de l’iniquité dans ce qu’on appelle si mal à propos la Loge royale. Que j’aurai de plaisir à la voir renverser, brûler, réduire en cendres ! oui, et les cendres jetées dans le ruisseau de Cédron, ou dans tout autre, afin que le terrain soit purifié, et que les habitants puissent oublier l’impiété des péchés de leurs pères.