Chapitre II Avance, bon vieillard ; que le bras de ta fille
Soit dorénavant ton soutien.
Lorsque du temps l’implacable faucille
A moissonné le chêne aérien,
Le rejeton qui lui doit la naissance,
Déployant ses jeunes rameaux,
Du vieux tronc abattu couvre la décadence,
Et le rend respectable aux yeux de ses rivaux.
Lorsque le sermon fut terminé, le prédicateur militaire s’essuya le front, car, malgré le froid de la saison, la véhémence de ses discours et de ses gestes l’avait échauffé. Il descendit alors de la chaire, et dit quelques mots au caporal qui commandait le détachement. Celui-ci lui répondit par un signe d’intelligence fait d’un air grave, et puis rassemblant ses soldats, il les reconduisit en bon ordre au quartier qu’ils occupaient dans la ville.
Celui qui avait prêché sortit lui-même de l’église, comme si rien d’extraordinaire ne fut arrivé, et se promena dans les rues de Woodstock avec l’air d’un étranger qui aurait voulu voir la ville, sans paraître remarquer qu’il était lui-même à son tour examiné avec inquiétude par les habitants ; leurs regards furtifs, mais fréquents, semblaient le considérer comme un être suspect et redoutable, et dont il serait dangereux de provoquer le ressentiment. Il ne fit aucune attention à eux, et continua sa promenade avec la manière affectée des fanatiques de ce temps, c’est-à-dire d’un pas lent et solennel, et avec un air sérieux et sévère, en homme mécontent des interruptions momentanées que la vue des objets terrestres apportait à ses méditations sur les choses célestes. Ces enthousiastes méprisaient et condamnaient les plaisirs les plus innocents, de quelque genre qu’ils fussent, et un sourire leur paraissait une abomination.
C’était pourtant cette disposition d’esprit qui formait les hommes à de grandes actions ; car, au lieu de chercher à satisfaire leurs passions, ils dirigeaient leur conduite d’après les principes qu’ils avaient adoptés, et ces principes n’avaient rien d’égoïste. Il se trouvait sans contredit parmi eux des hypocrites qui couvraient leur ambition du voile de la religion ; mais il en existait qui étaient réellement doués du caractère religieux et de la sévérité d’une vertu républicaine, que les autres ne faisaient qu’affecter. Le plus grand nombre étaient placés entre ces deux extrêmes ; ils éprouvaient jusqu’à un certain point le pouvoir de la religion, et ils se conformaient au temps en outrant leurs sentiments réels.
L’individu dont les prétentions à la sainteté, visibles comme elles l’étaient sur son front et dans sa démarche, ont occasionné la digression qui précède, arriva enfin à l’extrémité de la principale rue, aboutissant au parc de Woodstock. Une porte fortifiée défendait l’entrée de l’avenue.
L’architecture gothique de cette porte, quoique composée de styles de différents siècles, suivant les époques où l’on y avait fait des additions, était d’un effet imposant. Une énorme grille en longues barres de fer, décorée d’un grand nombre d’ornements, et surmontée du malheureux chiffre C.R., était dans un état de dégradation qui accusait à la fois la rouille et la violence républicaine.
Le soldat s’arrêta, comme s’il n’eût trop su s’il devait entrer sans demander la permission. Il vit à travers la grille une avenue bordée de chênes majestueux, et qui s’éloignait en serpentant, comme pour aller se perdre dans la profondeur d’une vaste et antique forêt. Le guichet de la grande grille ayant été laissé ouvert par mégarde, il le franchit, mais en hésitant et en homme qui se glisse dans un lieu dont il sent que l’entrée lui serait refusée. Dans le fait, ses manières montrèrent plus de respect pour ces lieux qu’on n’aurait pu en attendre de son caractère et de sa profession. Il ralentit son pas, déjà si solennel, et enfin il s’arrêta et regarda autour de lui.
À quelque distance de la grille, il vit s’élever au-dessus des arbres deux antiques et vénérables tourelles, dont chacune était surmontée par une girouette d’un travail curieux, et qui réfléchissaient les rayons du soleil d’automne : elles indiquaient la situation de l’ancien rendez-vous de chasse, la Loge, comme on l’appelait, qui, depuis le temps de Henry II, avait été de temps en temps le séjour des monarques anglais, quand il leur plaisait d’aller chasser dans les bois d’Oxford, où il y avait tant de gibier que, suivant le vieux Fuller c’était le lieu de prédilection des chasseurs et des fauconniers. La Loge s’élevait sur un terrain plat, maintenant couvert de sycomores, non loin de l’entrée de ce lieu magnifique où le spectateur s’arrête pour contempler Blenheim, ce souvenir des victoires de Marlborough, et admirer ou critiquer la lourde magnificence du style de Vauburgh.
Là aussi s’arrêta notre prédicateur militaire, mais avec des pensées bien différentes et dans un autre dessein que celui d’admirer. Quelques instants après il vit deux personnes, un homme et une femme, s’approcher à pas lents ; et ils étaient si occupés de leur conversation qu’ils ne levèrent pas les yeux, et n’aperçurent pas l’étranger qui se trouvait devant eux à quelque distance. Le soldat profita de leur distraction, et, désirant épier leurs mouvements sans en être aperçu, il se glissa derrière un gros arbre qui bordait l’avenue, et dont les branches, balayant la terre, empêchaient qu’il ne fût découvert, à moins qu’on ne le cherchât tout exprès.
Cependant nos deux nouveaux personnages continuaient à s’avancer, en se dirigeant vers un berceau encore éclairé des rayons du soleil, et appuyé contre l’arbre derrière lequel le militaire était caché.
L’homme était un vieillard, mais qui semblait courbé plus encore par le poids des chagrins et des infirmités que par celui des années. Il portait un manteau noir sur un habit de même couleur, de cette coupe pittoresque que Vandyck a rendue immortelle ; mais quoique son costume fût décent, il le portait avec une négligence qui prouvait que son esprit n’était pas dans une situation tranquille. Ses traits, où l’on reconnaissait l’empreinte de l’âge, n’étaient pourtant pas encore sans beauté, et sa physionomie avait un air distingué d’accord avec son costume et sa démarche. Ce qui frappait le plus dans son extérieur était une longue barbe blanche qui lui descendait au-dessus de la poitrine sur son pourpoint à taillades, et qui formait un contraste singulier avec la couleur sombre de ses vêtements.
La jeune dame qui donnait le bras à ce vénérable personnage, et qui semblait en quelque sorte le soutenir, avait les formes légères d’une sylphide et des traits d’une beauté si exquise qu’on aurait dit que la terre sur laquelle elle marchait était un sol indigne d’être foulé par une créature si aérienne ; mais toute beauté mortelle doit tribut aux chagrins de ce monde. Les yeux de cet être charmant offraient des traces de larmes ; ses joues étaient couvertes de vives couleurs, et il était évident, d’après l’air triste et mécontent de celui qu’elle écoutait, que la conversation lui était aussi désagréable qu’à elle. Lorsqu’ils se furent assis sur le banc dont nous venons de parler, le soldat aux écoutes ne perdit pas un mot de tout ce que disait le vieillard ; mais il entendit un peu moins distinctement les réponses de la jeune personne.
– Cela n’est pas supportable, dit le vieillard avec véhémence ; il y aurait de quoi rendre les jambes à un paralytique et en faire un soldat ; oui, je l’avoue, la guerre m’a privé d’un grand nombre des miens ; d’autres se sont éloignés de moi dans ces temps désastreux. Je ne leur en veux point pour cela ; que pouvaient faire les pauvres diables quand il n’y avait ni pain à l’office ni bière dans le cellier ? – Mais il nous reste encore quelques braves forestiers de la vraie race de Woodstock, la plupart aussi vieux que moi, et qu’importe ! Le vieux bois se déjette rarement à l’humidité. – Je tiendrai bon dans le vieux château, et ce ne sera pas la première fois que je m’y serai maintenu contre une force dix fois plus considérable que celle dont nous entendons parler à présent.
– Hélas ! mon cher père ! dit la jeune personne avec un son de voix qui semblait indiquer qu’elle regardait ces projets de résistance comme un acte de désespoir imprudent.
– Et pourquoi cet hélas ? répliqua le vieillard d’un ton courroucé ; est-ce parce que je ferme ma porte à trente ou quarante de ces hypocrites altérés de sang ?
– Mais leurs maîtres peuvent aisément envoyer contre vous un régiment ou même une armée, et à quoi servirait votre résistance, si ce n’est à les exaspérer et à rendre votre ruine plus complète ?
– Soit, Alice ; j’ai vécu assez et trop longtemps. J’ai survécu au meilleur des maîtres, au plus noble des princes. Que fais-je sur la terre depuis le malheureux 30 janvier ? Le parricide commis en cette journée était pour tous les vrais serviteurs de Charles Stuart le signal de venger sa mort ou de mourir dès qu’ils en trouveraient une occasion honorable.
– Ne parlez pas ainsi, mon père, dit Alice Lee ; il ne convient ni à votre jugement ni à votre mérite de sacrifier une vie qui peut encore être utile à votre roi et à votre pays. L’état actuel des choses ne durera pas toujours ; il ne peut toujours durer. L’Angleterre ne supportera pas longtemps les chefs que lui a donnés le malheur des temps. En attendant… – Ici quelques mots échappèrent aux oreilles du soldat. – Et méfiez-vous de cette impatience qui ne fait qu’empirer les choses.
– Les empirer ! s’écria le vieillard impétueux ; et que peut-il arriver de pire ? Le mal n’a-t-il pas atteint son dernier degré ? Ces gens ne nous chasseront-ils pas de notre seul abri ? – Ne dilapideront-ils pas le reste des propriétés royales confiées à ma garde ? – Ne feront-ils pas du palais des princes une caverne de brigands ? et alors ils se passeront la main sur les lèvres, et ils rendront grâces au ciel comme s’ils avaient fait une bonne œuvre.
– L’avenir n’est pas encore sans espoir pour nous, mon père. J’espère que le roi est en ce moment hors de leur portée ; et nous avons lieu de croire que mon frère Albert est en sûreté.
– Oui, Albert ! s’écria sir Henry d’un ton de reproche ; nous y voilà encore. Sans toutes vos prières, je serais allé moi-même à Worcester ; mais il a fallu que je restasse ici comme un vieux limier hors de service qu’on laisse derrière en partant pour la chasse. Et qui sait de quelle utilité j’aurais pu être ? La tête d’un vieillard vaut quelquefois son prix, même quand son bras ne vaut plus grand-chose. – Mais vous et Albert vous désiriez tellement que je restasse ! – Et maintenant qui peut savoir ce qu’il est devenu ?
– Mais, mon père, dit Alice, nous avons tout lieu d’espérer qu’Albert a échappé à cette fatale journée : le jeune Abney l’a vu à un mille du champ de bataille.
– Le jeune Abney a menti, je suppose, répliqua le père avec le même esprit de contradiction ; – la langue du jeune Abney fait plus de besogne que son bras ; et cependant elle court encore moins vite que les jambes de son cheval quand il fuit devant les Têtes-Rondes. – J’aimerais mieux que le cadavre d’Albert fût resté étendu entre Charles et Cromwell que d’apprendre qu’il ait pris la fuite aussi promptement que le jeune Abney.
– Mon cher père, s’écria Alice en pleurant, que puis-je donc vous dire pour vous consoler ?
– Pour me consoler, dites-vous, mon enfant ? je suis las de consolations. Une mort honorable et les ruines de Woodstock pour tombeau, voilà toute la consolation qu’attend Henry Lee. – Oui, par la mémoire de mon père, je défendrai la Loge contre ces brigands rebelles.
– Écoutez votre raison, mon père ; soumettez-vous à ce qu’il nous est impossible d’empêcher. Mon oncle Éverard…
Le vieillard l’interrompit en répétant ces derniers mots. – Ton oncle Éverard ! s’écria-t-il ; eh bien, continue : qu’as-tu à me dire de ton précieux et affectionné oncle Éverard ?
– Rien, mon père, si ce sujet d’entretien vous déplaît.
– S’il me déplaît ! Et pourquoi me déplairait-il ? et quand il me déplairait, pourquoi affecter de t’en inquiéter ? Pourquoi quelqu’un s’en inquiéterait-il ! Qu’est-il arrivé depuis quelques années qui ne doive me déplaire ? Quel astrologue pourrait me prédire dans l’avenir quelques évènements plus heureux ?
– Le destin peut nous réserver le plaisir de voir la restauration de notre prince banni.
– Il est trop tard pour moi, Alice. S’il se trouve une si belle page dans les registres du ciel, j’aurai quitté la terre longtemps avant qu’elle me soit montrée. – Mais je vois que tu veux éluder de me répondre. – En un mot, qu’as-tu à dire de ton oncle Éverard ?
– Dieu sait, mon père, que j’aimerais mieux me condamner au silence pour toujours que de dire des choses qui, dans la situation actuelle de votre esprit, pourraient augmenter votre indisposition.
– Mon indisposition ! Oh ! tu es un médecin des lèvres duquel le miel découle. Tu prodigueras l’huile, le vin et le baume pour guérir mon indisposition, – si c’est le terme convenable pour désigner les souffrances d’un vieillard dont le cœur est presque brisé. – Encore une fois, que voulais-tu dire de ton oncle Éverard ?
Il éleva la voix en prononçant ces derniers mots avec aigreur ; et Alice répondit à son père d’un ton soumis et craintif.
– Je voulais seulement dire que je suis certaine que mon oncle Éverard, quand nous quitterons Woodstock…
– Dis donc quand nous en aurons été chassés par ces misérables tondus de fanatiques qui lui ressemblent, – Eh bien ! continue. – Que fera ton généreux oncle ? – Nous accordera-t-il la desserte de sa table économique ? Nous donnera-t-il, deux fois par semaine, les restes du chapon qui y aura paru trois fois, en nous laissant jeûner les cinq autres jours ? – Nous permettra-t-il de coucher dans son écurie à côté de ses chevaux affamés ? Leur retranchera-t-il une partie de leur paille, afin que le mari de sa sœur, – faut-il que j’aie à parler de l’ange que j’ai perdu ! – et la fille de sa sœur ne soient pas obligés de se coucher sur la pierre ? – Ou bien nous enverra-t-il à chacun un noble d’or en nous recommandant de le faire durer longtemps, parce qu’il n’a jamais vu l’argent si rare ? – Quelle autre chose ton oncle Éverard fera-t-il pour nous ? Nous obtenir une permission de mendier ? Je puis le faire sans cela.
– Vous ne lui rendez pas justice, répondit Alice avec plus de vivacité qu’elle n’en avait encore montré ; et, si vous vouliez interroger votre propre cœur, vous reconnaîtriez vous-même, je parle avec respect, que votre bouche prononce des paroles désavouées par votre jugement. Mon oncle Éverard n’est ni avare ni hypocrite. Il n’est ni assez attaché aux biens de ce monde pour ne pas fournir amplement à tous nos besoins, ni assez entiché d’opinions exagérées pour n’avoir pas de charité pour les gens d’une autre secte que la sienne.
– Oui, oui ! l’Église anglicane est une secte à ses yeux, je n’en doute pas ; et peut-être aux tiens aussi, Alice. Que sont les Mugglemans, les Ranters les Brownistes ? – des sectaires ; et ta phrase les place tous, avec Jack Presbyter à leur tête, sur le même niveau que nos doctes prélats et nos dignes ministres. Tel est le jargon du siècle où tu vis ; et pourquoi ne parlerais-tu pas comme une des vierges sages, comme une des sœurs psalmodiantes ? Quoique tu aies pour père un vieux Cavalier profane, tu es nièce de l’oncle Éverard.
– Si vous parlez ainsi, mon père, que puis-je vous répondre ? Écoutez seulement quelques mots avec patience, et je me serai bientôt acquittée de la commission de mon oncle.
– Oh ! il y a donc une commission ! Oh ! certes, je m’en doutais dès le commencement ; j’avais même quelques soupçons relativement à l’ambassadeur. Allons, miss Lee, remplissez vos fonctions, et vous n’aurez pas à vous plaindre que je manque de patience.
– Eh bien, mon père, mon oncle Éverard vous engage à recevoir avec politesse les commissaires qui viennent mettre le séquestre sur le parc et le domaine de Woodstock, ou du moins de vous abstenir d’apporter obstacle ou opposition à leurs opérations. Cela ne peut, dit-il, faire aucun bien même dans vos propres principes, et ce serait leur donner un prétexte pour vous persécuter avec la dernière rigueur, ce qu’il croit qu’on peut éviter en agissant autrement. Il espère même que, si vous suivez ses conseils, le comité pourra, par suite du crédit dont il y jouit, se déterminer à lever le séquestre mis sur vos biens, et à y substituer une amende modérée. C’est ainsi que parle mon oncle ; et je n’ai pas besoin de fatiguer votre patience par d’autres arguments.
– Tu as raison de n’en rien faire, Alice, répondit sir Henry avec un ton de courroux étouffé ; car, par la sainte croix ! tu m’as presque fait tomber dans la croyance hérétique que tu n’es pas ma fille. – Ô toi, ma chère compagne ! loin aujourd’hui des chagrins et des soucis de ce misérable monde, aurais-tu jamais pu croire que la fille que tu pressais contre ton sein deviendrait, comme la méchante femme de Job, la tentatrice de son père à l’heure de son affliction ; qu’elle lui conseillerait de sacrifier sa conscience à son intérêt, pour demander aux mains encore couvertes du sang de son maître, et peut-être à celles des meurtriers de son fils, un misérable reste des biens dont il a été dépouillé ! – Quoi ! s’il faut que je mendie, crois-tu que je m’adresse à ceux qui ont fait un mendiant ? Non ! jamais. Cette barbe blanche, que je porte en témoignage de mon deuil du meurtre de mon souverain, jamais je n’irai la montrer pour émouvoir la pitié des orgueilleux qui ont séquestré mes biens, et qui étaient peut-être du nombre des parricides. Non ! si Henry Lee doit demander son pain, ce sera à quelque loyal royaliste comme lui, qui ne refusera pas de partager le sien avec lui. Quant à sa fille, elle peut suivre le chemin qui lui convient. Ce chemin la conduira à se réfugier chez ses riches parents Têtes-Rondes ; mais qu’elle n’appelle plus son père celui dont elle dédaigne de partager la pauvreté.
– Vous êtes injuste envers moi, mon père, répondit Alice d’une voix animée, quoique défaillante, – cruellement injuste. Dieu sait que le chemin que vous suivrez sera le mien, quoiqu’il conduise à la ruine et à la mendicité ; et mon bras vous soutiendra, si vous acceptez un si faible secours.
– Tu me paies de paroles, mon enfant ; tu me paies de paroles, comme le dit William Shakspeare : tu parles de me prêter ton bras, et ta secrète pensée est de t’appuyer sur celui de Markham Éverard.
– Mon père, mon père ! s’écria Alice avec le ton d’un v*****t chagrin, – qui peut avoir ainsi égaré votre sain jugement, et changé votre bon cœur ? Maudites soient ces commotions civiles qui non seulement coûtent la vie à tant d’hommes, mais qui dénaturent leurs sentiments, et qui rendent méfiants, durs et cruels les gens les plus braves, les plus nobles, les plus généreux. – Quel reproche avez-vous à me faire relativement à Markham Éverard ? L’ai-je vu, lui ai-je parlé depuis que vous lui avez interdit ma présence en termes moins doux – je dirai la vérité – que ne l’exigeait votre parenté avec lui ? Pourquoi vous imaginer que je sacrifierais à ce jeune homme tout ce que je vous dois ? Sachez que, si j’étais capable d’une faiblesse criminelle, Markham Éverard serait le premier à me mépriser.
Elle appuya son mouchoir sur ses yeux ; mais elle ne put ni retenir ses sanglots, ni cacher l’angoisse qui les occasionnait. Le vieillard en fut ému.
– Je ne sais qu’en dire ni qu’en penser, dit-il ; – tu parais sincère, et tu as toujours été bonne fille. Je ne conçois pas comment tu as souffert que ce jeune rebelle s’insinuât dans ton cœur. Peut-être est-ce une punition que le ciel m’inflige, pour avoir pensé que la loyauté de ma maison était pure comme l’hermine ; et cependant voilà une malheureuse tache sur le plus beau de ses joyaux, sur ma chère Alice. – Ne pleure pas, mon enfant ; nous avons assez de causes d’affliction. – Dans quelle pièce Shakspeare dit-il