Ici les soldats qui formaient une partie de l’auditoire firent entendre un murmure d’approbation. Ce murmure, analogue aux – écoutez ! écoutez ! – de la chambre des communes d’Angleterre, devait naturellement ajouter à l’enthousiasme de l’orateur, en lui apprenant que ses auditeurs le partageaient.
– Et maintenant, continua le belliqueux apôtre avec une énergie croissante, que dit le texte ? – Prospère dans ta puissance. – Ne t’arrête pas dans ta course. – N’ordonne point de halte. – Ne quitte pas la selle. – Poursuis les fuyards dispersés. – Sonne de la trompette, et que ce soit, non pas une vaine fanfare, mais le boute-selle, le départ, la charge. – Poursuis le Jeune Homme – Qu’y a-t-il de commun entre lui et nous ? – Tue, prends, détruis, partage les dépouilles. – Tu es béni, Olivier, à cause de ton honneur. – Ta cause est juste, et il est évident que tu es appelé à la soutenir. Jamais la défaite n’a approché de ton bâton de commandement ; jamais désastre n’a suivi ta bannière. Marche donc, fleur des soldats anglais ; marche, chef élu des champions de Dieu ; ceins tes reins de résolution, et vole sans t’arrêter vers le but auquel tu es appelé par le ciel.
Un autre murmure d’approbation, que répétèrent les échos de la vieille église, permit au soldat prédicateur de reprendre haleine un instant ; mais ensuite les habitants de Woodstock l’entendirent, non sans inquiétude, diriger d’un autre côté le torrent de son éloquence.
– Mais pourquoi vous parler ainsi, à vous, habitants de Woodstock, qui ne réclamez pas une portion d’héritage avec notre David ; qui ne prenez aucun intérêt au fils de Jessé de l’Angleterre ? vous qui combattiez de toutes vos forces, – et elles n’étaient pas bien formidables, – vous qui combattiez pour l’Homme sous ce papiste altéré de sang, sir Jacob Aston, ne complotez-vous pas maintenant, ou n’êtes-vous pas prêts à comploter, pour rétablir le Jeune Homme, comme vous l’appelez, le fils impur du tyran qui n’est plus ? – Pourquoi votre chef tournerait-il sa bride de notre côté ? dites-vous dans vos cœurs ; nous ne voulons pas de lui ; et, si nous pouvons en venir à bout, nous préférons nous vautrer dans le bourbier de la monarchie avec la truie qui vient d’être lavée. – Eh bien ! habitants de Woodstock, je vous le demande, répondez-moi. – Avez-vous encore faim des – potées de chair des moines de Godstow ? Vous me direz non. Mais pourquoi ? parce que les pots sont fendus et brisés, et que le feu qui chauffait leur four est éteint. – Je vous le demande encore ! continuez-vous à boire l’eau de la fontaine des fornications de la belle Rosemonde ? Vous direz non. Mais pourquoi ?…
Ici l’orateur, avant de pouvoir répondre à sa manière à la question qu’il faisait, fut interrompu par la réplique suivante, prononcée d’un ton ferme par un membre de la congrégation.
– Parce que vous et vos pareils ne nous avez pas laissé une goutte d’eau-de-vie pour mêler avec cette eau.
Tous les regards se retournèrent vers l’audacieux interrupteur qui était debout, appuyé contre un des piliers massifs d’architecture saxonne, avec lesquels il avait lui-même quelque ressemblance, car c’était un homme de petite taille, mais vigoureux, ayant les épaules carrées, une espèce de Little-John tenant en main un gros gourdin, et dont l’habit, usé et fané, avait été jadis de drap vert de Lincoln, et conservait quelques restes d’ancienne broderie. Il avait un air d’insouciance, d’audace et de bonne humeur ; et, malgré la crainte que leur inspiraient les militaires, quelques citoyens ne purent s’empêcher de s’écrier : – Bien répondu, Jocelin Joliffe !
– Jocelin Jolly, l’appelez-vous ? continua le prédicateur sans paraître ni confus ni mécontent de cette interruption, j’en ferai Jocelin de la prison s’il s’avise encore de m’interrompre. C’est sans doute quelqu’un de vos gardes forestiers, qui ne peuvent oublier qu’ils ont porté les lettres C.R. gravées sur leurs plaques de cuivre et sur leurs cors de chasse, comme chien porte le nom de son maître sur son collier : joli emblème pour des chrétiens ! Mais la brute l’emporte sur l’homme, car la brute porte l’habit qui lui appartient, et le misérable esclave porte celui de son maître. J’ai vu plus d’un de ces mauvais plaisants brandiller au bout d’une corde. – Où en étais-je ? Ah ! je vous reprochais votre apostasie, habitants de Woodstock. – Oui, vous me direz que vous avez renoncé au papisme, que vous avez abandonné le culte épiscopal ! Vous vous essuyez la bouche en pharisiens que vous êtes, et qui peut vous le disputer en pureté de religion ? – Moi je vous dis que vous n’êtes que comme Jéhu, fils de Nimsi, qui détruisit le temple de Baal, mais qui ne se sépara point des fils de Jéroboam. Ainsi vous ne mangez pas de poisson le vendredi avec les aveugles papistes, ni des gâteaux aux raisins le 25 décembre avec les insouciants épiscopaux ; mais vous vous gorgez de vin toutes les nuits de l’année avec votre guide infidèle presbytérien ; et vous parlez mal de ceux qui sont élevés en dignité ; vous vomissez des injures contre la république, et vous vous glorifiez de votre parc de Woodstock, en disant : – N’est-ce pas le premier qui ait été entouré de murs en Angleterre, et ne l’a-t-il pas été par Henry, fils de Guillaume, surnommé le Conquérant ? et n’y avez-vous pas un palais que vous appelez la Loge Royale, et un chêne que vous nommez le Chêne du Roi ? et vous volez les daims du parc, vous en mangez la chair, et vous dites, – C’est la venaison du roi, nous l’arroserons de bon vin que nous boirons à sa santé. Il vaut mieux que nous en profitions que ces coquins de républicains Têtes-Rondes. Mais écoutez-moi, et faites-y bien attention, car nous venons pour controverser avec vous sur toutes ces choses. Notre nom sera un boulet de canon ! Votre Loge, dans le parc de laquelle vous prenez vos ébats, s’écroulera ; et nous ferons un coin pour fendre votre Chêne du Roi destiné à chauffer le four du boulanger. Nous renverserons les murs du parc ; nous tuerons les daims, nous les mangerons nous-mêmes, et vous n’en aurez ni hanche ni échine, vous n’en aurez pas même les bois pour en faire des manches de couteaux, ni la peau pour y tailler une paire de culottes, quoique vous soyez couteliers et gantiers ; et vous ne recevrez ni secours ni soutien du traître Henry Lee, dont les biens sont séquestrés ; vous ne recevrez aucun secours ni de celui qui se nommait grand-maître de la capitainerie de Woodstock, ni de personne en son nom ; car celui qui vient ici sera nommé Maher-Shalal-Hash-Baz, parce qu’il se hâte de venir prendre possession du butin.
Ainsi se termina ce discours bizarre, dont la dernière partie remplit de consternation le cœur des pauvres habitants de Woodstock, comme tendant à confirmer un bruit désagréable qui circulait depuis peu. Les communications avec Londres étaient lentes à cette époque ; les nouvelles qui en arrivaient étaient aussi peu sûres que les temps eux-mêmes étaient incertains, et elles étaient exagérées par les espérances et les craintes des diverses factions qui les répandaient. Mais le bruit qui courait concernant Woodstock était uniforme, et ne se démentait pas. Il ne se passait pas un seul jour qu’on ne dît que le parlement avait rendu un fatal décret pour vendre le parc de Woodstock, en abattre les murs, démolir la Loge, et détruire autant que possible les traces de son ancienne renommée.
Cette mesure devait être préjudiciable aux habitants de cette ville, un grand nombre d’entre eux jouissant, par tolérance plutôt que par droit, de différents privilèges dont ils se trouvaient fort bien, comme de faire pâturer leurs bestiaux dans le parc, d’y couper du bois de chauffage, etc. D’ailleurs tous les citoyens de ce petit bourg étaient mortifiés en songeant que l’ornement de leurs environs allait être détruit, un bel édifice réduit en ruines, l’honneur de leur voisinage anéanti. Ce sentiment patriotique se retrouve souvent dans les endroits que d’anciennes distinctions et des souvenirs fidèlement conservés rendent si différents des villes d’une date plus récente. Les habitants de Woodstock l’éprouvaient dans toute sa force. La calamité qu’ils prévoyaient les avait fait trembler ; mais à présent qu’elle était annoncée par l’arrivée de ces soldats tout-puissants, à figure austère et sombre, à présent qu’ils l’entendaient proclamer par la bouche d’un de leurs prédicateurs militaires, ils regardaient leur destin comme inévitable. Les causes de dissension qui pouvaient exister entre eux furent oubliées pour le moment, et la congrégation, congédiée sans psalmodie et sans bénédiction, se retira à pas lents et d’un air triste ; chacun regagna sa demeure.