Chapitre PremierLes uns voudraient un ministre à rabat ;
Mais le reste contre eux s’élève,
Croyant sans doute d’un soldat
La main plus propre au double glaive
De l’Écriture et du combat.
BUTLER. Hudibras.
Il y a une belle église paroissiale dans la ville de Woodstock, – on me l’a dit du moins, car je ne l’ai jamais vue ; à peine, lorsque j’y allai, si j’eus le temps de visiter le magnifique château de Blenheim, ses salles décorées par la peinture, et les riches tapisseries de ses appartements. – J’avais promis d’être de retour pour prendre place à un dîner de corporation avec mon docte ami le prévôt de ; – et c’était une de ces occasions où ce serait se manquer à soi-même que de laisser la curiosité l’emporter sur la ponctualité. Je me fis faire une description exacte de cette église dans le dessein de m’en servir dans cet ouvrage ; mais comme j’ai quelque raison pour douter que celui qui me donnait ces renseignements en ait jamais lui-même vu l’intérieur, je me contenterai de dire que c’est maintenant un bel édifice, dont on a reconstruit la majeure partie il y a quarante à cinquante ans ; mais on y voit encore quelques arcades de l’ancienne chantrerie, fondée, dit-on, par le roi Jean, et c’est avec cette partie plus ancienne du bâtiment que mon histoire a quelque rapport.
Un matin de la fin de septembre, ou des premiers jours d’octobre 1652, jour fixé pour rendre au ciel des actions de grâces solennelles de la victoire décisive remportée à Worcester, un auditoire assez nombreux était assemblé dans la vieille chantrerie ou chapelle du roi Jean. L’état de l’église et le caractère des assistants attestaient également les fureurs de la guerre civile et l’esprit du temps. Le saint édifice offrait plus d’une marque de dévastation. Les croisées, autrefois fermées de vitraux peints, avaient été brisées à coups de piques et de mousquets, comme ayant servi et appartenu à l’idolâtrie. La sculpture de la chaire était endommagée, et deux belles balustrades en bois de chêne avaient été détruites pour la même raison concluante. Le maître-autel avait été enlevé, avec les débris de la grille dorée qui l’entourait jadis. On voyait encore épars dans l’église les fragments des statues mutilées et arrachées à divers monuments ; c’étaient des guerriers ou des saints
De leur niche arrachés… indigne récompenseDe leurs sages conseils, ou leur noble vaillance.Le vent froid de l’automne sifflait à travers le vide des bas-côtés de ce saint lieu, où des restes de pieux, des traverses de bois grossièrement taillées, et une quantité de foin épars et de paille foulée aux pieds, semblaient indiquer que le temple du Seigneur, dans une crise encore récente, avait servi de caserne à un corps de cavalerie.
L’auditoire avait, comme l’édifice, beaucoup perdu de sa splendeur. Aucun des fidèles d’un temps plus paisible ne se montrait alors comme jadis dans les bancs sculptés, une main sur le front pour se recueillir, priant dans le lieu où ses pères avaient prié, et suivant les mêmes formes de culte. Les yeux du fermier et du paysan cherchaient en vain la taille athlétique du vieux sir Henry Lee de Ditchley, qui autrefois, couvert d’un manteau brodé, la barbe et les moustaches frisées avec soin, traversait lentement les ailes de l’église, suivi de son chien chéri, dont la fidélité avait autrefois sauvé la vie de son maître, et qui l’accompagnait régulièrement à l’église. Il est vrai que Bevis prouvait la justesse du proverbe qui dit : – C’est un bon chien que celui qui va à l’église ; – car si ce n’est qu’il était accidentellement tenté de joindre sa voix à celle du chœur, il se conduisait avec autant de décorum qu’aucun des membres de la congrégation, et sortait aussi édifié peut-être que quelques-uns d’entre eux. Les jeunes filles de Woodstock cherchaient aussi inutilement les manteaux brodés, les éperons retentissants, les bottes à taillades et les grands panaches des jeunes cavaliers de cette maison et d’autres familles nobles, qui traversaient naguère les rues et le cimetière avec cet air d’aisance et d’insouciance annonçant peut-être un peu trop de confiance en soi-même, mais non sans grâce quand il est accompagné de bonne humeur et de courtoisie. Où étaient elles-mêmes les bonnes vieilles dames avec leurs coiffes blanches et leurs robes de velours noir, et leurs filles,
Astres charmants qui fixaient tous les yeux ;
où étaient-elles maintenant celles qui, lorsqu’elles entraient dans l’église, dérobaient habituellement au ciel une moitié des pensées des hommes ? – Mais, hélas ! toi surtout, Alice Lee, toi si douce, si sensible, et si aimable par tes prévenances, – ainsi s’exprime un annaliste contemporain dont nous avons déchiffré le manuscrit, – pourquoi suis-je destiné à écrire l’histoire de ta fortune déchue ? Pourquoi ne pas remonter plutôt à l’époque où, descendant de ton palefroi, tu étais accueillie comme un ange qui serait arrivé du ciel, tu recevais autant de bénédictions que si tu avais été le messager céleste des plus heureuses nouvelles ? – Tu n’étais pas une créature inventée par l’imagination frivole d’un romancier, un être bizarrement décoré de perfections contradictoires ; je te chérissais à cause de tes vertus, et quant à tes défauts, je crois qu’ils te rendaient encore plus aimable à mes yeux !
Avec la maison de Lee, d’autres familles de sang noble et honorable, les Freemantles, les Winklecombes, les Drycotts, etc., avaient disparu de la chapelle du roi Jean ; car l’air d’Oxford était peu favorable aux progrès du puritanisme, qui s’était plus généralement étendu dans les comtés voisins. Il se trouvait pourtant dans la congrégation une ou deux personnes qui, par leurs vêtements et leurs manières, semblaient des gentilshommes campagnards de considération. On y voyait aussi quelques-uns des notables de la ville de Woodstock, la plupart couteliers ou gantiers, à qui leur habileté à travailler l’acier et la peau avait procuré une honnête aisance. Ces dignitaires portaient de longs manteaux noirs, à collets plissés ; et au lieu de flamberge et de couteau, leur Bible et leur agenda étaient suspendus à leur ceinture.
Cette partie respectable, mais la moins nombreuse de l’auditoire, se composait de bons bourgeois qui avaient, pour adopter la profession de foi presbytérienne, renoncé à la liturgie et à la hiérarchie de l’Église anglicane, et qui recevaient les instructions du révérend Nehemiah Holdenough, prédicateur célèbre par la longueur de ses discours et par la force de ses poumons. Près de ces graves personnages étaient assises leurs épouses, femmes de bonne mine, en manchettes et en gorgerette, semblables aux portraits qui sont désignés dans les catalogues de tableaux sous le titre de – femme d’un bourgmestre ; – et leurs jolies filles qui, comme le médecin de Chaucer, ne faisaient pas leur étude exclusive de la Bible, mais qui, au contraire, quand un regard pouvait échapper à la vigilance de leurs honorables mères, laissaient égarer leur attention, et causaient des distractions aux autres.
Avec ces personnes élevées en dignité, il y avait dans l’église une réunion nombreuse d’assistants des classes inférieures, quelques-uns attirés par la curiosité, mais la plupart ouvriers sans éducation, égarés dans le dédale des discussions théologiques du temps, et membres d’autant de sectes différentes qu’il y a de couleurs dans l’arc-en-ciel. L’extrême présomption de ces savants Thébains égalait leur extrême ignorance. Leur conduite dans l’église n’était ni respectueuse ni édifiante. La plupart d’entre eux affectaient un mépris cynique pour tout ce qui n’est regardé comme sacré que par la sanction des hommes. L’église n’était pour eux qu’une maison surmontée d’un clocher ; le ministre, un homme comme les autres ; ses instructions, une nourriture grossière, indigne du palais spirituel des saints ; et la prière, une invocation au ciel, à laquelle chacun s’unissait ou ne s’unissait pas, suivant que son sens critique le trouvait convenable.
Les plus âgés, assis ou debout sur leurs bancs avec leurs grands chapeaux à forme pyramidale, enfoncés sur leurs visages renfrognés, attendaient en silence le ministre presbytérien, comme des mâtins attendent le taureau qui va être attaché au pieu. Les plus jeunes ajoutaient à leur hérésie des manières plus hardies, et se donnaient plus de licence : ils tournaient la tête de tous côtés pour regarder les femmes, bâillaient, toussaient, causaient à demi-voix, mangeaient des pommes et cassaient des noix, comme s’ils eussent été au spectacle, dans la galerie, avant le lever du rideau.
Il se trouvait aussi dans la congrégation quelques soldats, les uns portant le corselet et le casque d’acier ; les autres en justaucorps de buffle, et quelques-uns en uniforme rouge. Ces guerriers avaient la bandoulière sur l’épaule, leur giberne pleine de munitions, et ils étaient appuyés sur leurs piques ou sur leurs mousquets. Ils avaient aussi leurs doctrines particulières sur les points les plus difficiles de la religion, et ils mêlaient les extravagances de l’enthousiasme au courage et à la résolution la plus déterminée dans le combat. Les bourgeois de Woodstock regardaient ces militaires avec une sorte de crainte respectueuse ; car, quoique ceux-ci s’abstinssent généralement de tout acte de pillage et de cruauté, ils avaient pouvoir absolu de s’en permettre, et les citoyens paisibles n’avaient d’autre alternative que de se soumettre à tout ce que pouvait suggérer l’imagination mal dirigée et en délire de leurs guides armés.
Après quelque temps d’attente, M. Holdenough commença à traverser les ailes de la chapelle, non de ce pas lent et avec cet air vénérable que prenait autrefois l’ancien Recteur pour maintenir la dignité du surplis, mais d’une marche rapide, en homme qui arrive trop tard à un rendez-vous, et qui se hâte pour réparer le temps perdu. C’était un homme grand, maigre, au teint brûlé, et la vivacité de ses yeux annonçait un caractère tant soit peu irascible. Son habit était brun, et non pas noir ; et par-dessus ses autres vêtements il portait, en l’honneur de Calvin, le manteau de Genève, de couleur bleue, qui flottait sur ses épaules tandis qu’il courait à sa chaire. Ses cheveux gris étaient coupés ras, et ils étaient couverts d’une calotte de soie noire, tellement collée sur sa tête qu’un mauvais plaisant aurait pu comparer ses deux oreilles en l’air à deux anses propres à enlever toute sa personne. Le digne prédicateur portait des lunettes ; sa longue barbe grise se terminait en pointe, et il avait en main une petite Bible de poche garnie de fermoirs d’argent. En arrivant à la chaire, il s’arrêta un instant pour reprendre haleine, et se mit ensuite à gravir les marches deux par deux.
Mais il fut arrêté par une main vigoureuse qui saisit son manteau. C’était celle d’un homme qui s’était détaché du groupe des soldats. Il était de moyenne taille, mais robuste, il avait l’œil vif, et une physionomie qui, quoique commune, avait une expression remarquable. Son costume, sans être régulièrement militaire, annonçait son état de soldat. Il avait de grands pantalons de cuir, portait d’un côté un poignard, et de l’autre une rapière d’une longueur effrayante, ou un estoc, comme on l’appelait alors. Son ceinturon de maroquin était garni de pistolets.
Le ministre, interrompu ainsi à l’instant où il allait commencer ses fonctions, se retourna vers celui qui l’arrêtait, et lui demanda d’un ton qui n’était rien moins que doux le motif de cette interruption.
– L’ami, répondit le soldat, ton devoir est-il de prêcher ces bonnes gens ?
– Sans doute, dit le ministre, c’est mon dessein et mon devoir. Malheur à moi si je ne prêche pas l’Évangile ! Laisse-moi, l’ami, et ne m’arrête pas dans mes travaux.
– Mais j’ai le projet de prêcher moi-même, répliqua l’homme à l’air guerrier : tu feras donc bien de me céder la place, et, si tu veux suivre mon avis, reste pour partager avec ces pauvres oisillons les miettes de saine doctrine que je vais leur jeter.
– Retire-toi, homme de Satan, s’écria Holdenough rouge de colère ; respecte mon ordre, mon habit.
– Je ne vois rien, répondit le militaire, ni dans la coupe, ni dans l’étoffe de ton habit, qui exige de moi plus de respect que tu n’en as eu toi-même pour le rochet de l’évêque. Ses vêtements étaient noirs et blancs, les tiens sont bruns et bleus. Vous êtes tous des chiens couchants, paresseux, n’aimant qu’à dormir ; des bergers qui font jeûner leur troupeau, mais qui ne le surveillent pas, chacun d’eux ne songeant qu’à son profit.
Les scènes indécentes de ce genre étaient si communes à cette époque que personne ne songea à intervenir dans cette querelle. L’auditoire regardait en silence ; la classe supérieure était scandalisée, et dans la classe inférieure, les uns riaient, les autres soutenaient le soldat ou le ministre, suivant leur opinion. Cependant la contestation devint plus vive, et M. Holdenough demanda du secours à grands cris.
– M. le maire de Woodstock, s’écria-t-il, serez-vous du nombre de ces magistrats corrompus en vain armés du glaive ? citoyens, ne viendrez-vous pas au secours de votre pasteur ? dignes aldermen, me verrez-vous étrangler sur les marches de la chaire par cet homme vêtu de buffle, par cet enfant de Bélial ? mais j’en triompherai, je briserai les liens dont il me charge.
Tout en parlant ainsi, Holdenough s’efforçait de gravir les marches, en s’aidant de la rampe de l’escalier. Son persécuteur tenait toujours son manteau d’une main ferme, et le tirait avec une telle force que le prédicateur était presque étranglé. Mais en prononçant ces derniers mots d’une voix à demi étouffée, le ministre eut l’adresse de dénouer le cordon qui attachait le manteau autour de son cou, de sorte que, le manteau cédant inopinément, le soldat tomba à la renverse sur les marches, et Holdenough, en liberté, monta dans sa chaire, où il entonna un psaume de triomphe pour célébrer la chute de son antagoniste. Mais le tumulte qui régnait dans l’église vint mêler de l’amertume à la douceur de sa victoire, et quoiqu’il continuât, avec son clerc fidèle, à chanter une hymne d’allégresse, leurs voix ne se faisaient entendre que par intervalles, comme le cri du courlieu pendant un ouragan.
Voici quelle était la cause de ce tumulte : le maire était un zélé presbytérien, et dès l’origine il avait vu avec beaucoup d’indignation la conduite du soldat, quoiqu’il hésitât à se déclarer contre un homme armé, tant qu’il le vit ferme sur ses jambes et en état de résister. Mais dès que le champion de l’indépendance fut étendu sur le dos tenant encore en main le manteau genevois du prédicateur, le magistrat s’élança vers la chaire, en s’écriant qu’une telle audace était intolérable, et il ordonna à ses constables de saisir le champion abattu, en ajoutant avec toute la magnanimité du courroux : – Je ferai arrêter jusqu’au dernier de ces Habits-Rouges ; je l’enverrai en prison, fût-il Noll Cromwell lui-même.
L’indignation du digne maire l’avait emporté sur sa raison quand il fit cette rodomontade déplacée ; car trois soldats qui étaient restés jusqu’alors immobiles comme des statues firent sur-le-champ un pas en avant, ce qui les plaça entre les officiers municipaux et leur compagnon qui se relevait. Ils exécutèrent simultanément le mouvement de poser les armes, comme on le pratiquait alors, et les crosses de leurs mousquets, en retentissant sur les pierres qui pavaient l’église, tombèrent à peu de lignes des pieds goutteux du magistrat. Le fonctionnaire énergique dont les efforts en faveur de l’ordre se trouvaient ainsi paralysés, jeta un regard sur ceux qui devaient le soutenir, et c’en fut assez pour lui prouver que la force n’était pas de son côté. Tous avaient fait un pas rétrograde en entendant ce bruit de mauvais augure produit par le choc du fer contre la pierre. Il fut donc obligé de s’abaisser à une explication.
– Que voulez-vous, mes maîtres ? dit-il ; convient-il à des soldats honnêtes et craignant Dieu, qui ont fait pour le pays des exploits tels qu’on n’en avait jamais vu ; leur convient-il de causer du scandale et du tumulte dans l’église, et de devenir les fauteurs et souteneurs d’un profane qui, un jour de solennelles actions de grâces, voudrait empêcher le ministre de monter dans sa chaire ?
– Nous n’avons rien à démêler avec ton église, comme tu l’appelles, répondit un militaire qui, d’après une petite plume dont le devant de son morion était orné, paraissait être le caporal du détachement ; nous ne voyons pas pourquoi des hommes que le ciel a doués d’inspiration ne seraient pas entendus dans ces citadelles de superstition aussi bien que les porteurs d’habits noirs d’autrefois, et ceux qui prennent le manteau de Genève aujourd’hui. C’est pourquoi nous arracherons votre Jack Presbyter de sa guérite en bois ; notre camarade le relèvera de garde, y montera en sa place, et n’épargnera pas ses poumons.
– Eh bien ! messieurs, dit le maire, si tel est votre dessein, nous ne sommes pas en état de vous résister, gens paisibles que nous sommes, comme vous le voyez. Mais permettez-moi d’abord de parler à ce digne ministre, Nehemiah Holdenough, afin de le déterminer à céder sa place pour aujourd’hui sans plus de scandale.
Le magistrat pacifique interrompit alors les accords chevrotants d’Holdenough et de son clerc, en les priant tous deux de se retirer, pour empêcher, leur dit-il, qu’on n’en vînt aux coups.
– Aux coups ! répéta le prédicateur presbytérien ; il n’y a nul danger qu’on en vienne aux coups avec des gens qui n’osent s’élever contre cette profanation ouverte de l’Église et ces principes d’hérésie audacieusement avoués.
– Allons, allons, M. Holdenough, n’occasionnez pas du tumulte et ne criez pas aux bâtons. Je vous le dis encore une fois, nous ne sommes pas des hommes de guerre ; nous n’aimons pas à verser le sang.
– Non, répondit le prédicateur avec mépris, pas plus qu’on ne pourrait en tirer avec la pointe d’une aiguille. Ô tailleurs de Woodstock ; – car qu’est-ce qu’un gantier, sinon un tailleur qui travaille en peau ? – je vous abandonne par mépris pour la lâcheté de vos cœurs et la faiblesse de vos bras ; je chercherai ailleurs un troupeau qui ne fuira pas loin de son pasteur en entendant braire le premier âne sauvage sortant du grand désert.
À ces mots, le prédicateur mécontent descendit de sa chaire ; et, secouant la poussière de ses souliers, il sortit de l’église avec autant de précipitation qu’il y était entré, quoique pour une raison différente. Les citoyens virent sa retraite avec chagrin, et non sans un sentiment de componction qui semblait leur faire reconnaître qu’ils n’avaient pas joué le rôle le plus courageux du monde. Le maire et plusieurs autres quittèrent l’église pour suivre le ministre et tâcher de l’apaiser.
L’orateur indépendant, naguère étendu par terre, et maintenant triomphant, s’installa dans la chaire sans plus de cérémonie ; tirant une bible de sa poche, il prit son texte dans le quarante-cinquième psaume.
– Ô Tout-Puissant, ceins ton glaive sur ta cuisse avec ta gloire et ta majesté, et prospère dans ta puissance. – Sur ce sujet, il commença une de ces déclamations exagérées, si communes à cette époque où l’on était accoutumé à dénaturer et à torturer le sens de l’Écriture pour l’adapter aux évènements récents. Le verset qui, dans son sens littéral, s’appliquait au roi David, et dans son sens mystique avait rapport à la venue du Messie, devenait, dans l’opinion de l’orateur militaire, applicable à Olivier Cromwell, général victorieux d’une république au berceau qui ne devait pas arriver à sa majorité.
– Ceins ton glaive, s’écria le prédicateur avec un ton d’emphase ; et ce glaive n’était-il pas une aussi bonne lame qu’aucune de celles qui ont jamais été suspendues à un ceinturon, ou qui ont battu contre une selle de fer ? – Oui, vous dressez les oreilles, couteliers de Woodstock, comme si vous doutiez de ce que c’est qu’un glaive. – Est-ce vous qui l’avez forgé ? J’en doute. – L’acier a-t-il été trempé dans l’eau tirée de la fontaine de Rosemonde ou la lame a-t-elle été bénite par le vieux bélître de prêtre de Godstow ? – Vous voudriez sans doute nous faire croire que vous l’avez forgée, trempée, affilée, polie, tandis qu’elle n’est jamais entrée dans une forge de Woodstock. Vous étiez trop occupés à faire des couteaux pour les prêtres fainéants et présomptueux d’Oxford, dont les yeux étaient tellement enfoncés dans la graisse qu’ils ne purent voir la Destruction que lorsqu’elle les eut saisis à la gorge. – Mais je puis vous dire, moi, où ce glaive a été forgé, trempé, affilé, poli. Tandis que vous faisiez, comme je viens de le dire, des couteaux pour des prêtres imposteurs, et des poignards pour des Cavaliers blasphémateurs et dissolus, afin qu’ils vinssent couper la gorge au peuple d’Angleterre, il fut forgé à Long-Marston-Moor, où les coups pleuvaient plus vite que le marteau ne tomba jamais sur votre enclume. – Il fut trempé à Naseby dans le meilleur sang des Cavaliers. – Il fut affilé en Irlande contre les murs de Drogheda, et émoulu en Écosse à Dunbar. – Enfin il fut tout récemment poli à Worcester ; il brille avec autant d’éclat que le soleil au milieu du firmament, et il n’y a point en Angleterre de lumière qui puisse en approcher.