Le chapelainCHRONIQUE
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– Et la vengeance, dit la sorcière, la vengeance !… N’est-ce pas le meilleur morceau qui ait jamais été préparé dans la cuisine de l’enfer ?
– Eh bien ! que le diable le garde pour son dîner, car je veux être pendu si j’aime la sauce que vous y mettez.
– La vengeance ! c’est la plus douce récompense que le diable puisse jamais nous accorder. J’ai fait bien des choses pour goûter ce plaisir ; mais je le goûterai, ou il n’y a de justice ni sur la terre ni dans l’enfer.
WALTER SCOTT, la Prison d’Édimbourg,
Depuis le commencement de la saison d’automne, jamais si grands coups de tonnerre qu’il s’en faisait alors n’avaient grondé ; jamais tels éclairs, jamais telle pluie d’orage, jamais tel vent ni telle tempête n’avaient produit une soirée si terrible, et mieux fait valoir combien un gîte est bon.
C’est pourquoi les varlets, les fauconniers, les gens de vènerie et les hommes d’armes se tenaient en la grande salle du châtel de Béthencourt, Madamoiselle Alix, fille unique du châtelain, assise parmi ses femmes d’atour, récitait force oraisons. De temps à autre la jouvencelle bien apprise jetait de l’eau bénite avec un rameau de buis, ainsi qu’il est recommandé par la Sainte Église ; et à chaque grand éclat de foudre elle se signait dévotement.
Monseigneur de Béthencourt allait de l’un à l’autre dans la salle : tantôt il s’arrêtait afin de voir de quelle façon les hommes d’armes faisaient reluire les mailles de leurs camisoles d’acier ; tantôt il réprimandait celui qui ne s’y prenait pas comme il faut pour émouler une épée ou bien pour donner une pointe à un épieu.
Le chapelain, le père Benoît, qui comptait au plus trente années, suivait monseigneur côte à côte, et plus que le maître il gourmandait et reprenait les serviteurs.
Par la raison ci-dessus contée, nul au châtel n’avait pour lui la moindre affection. Bien loin de là, car chacun allait répétant que ce grand moine à la tête rase où se voyait seulement une mince couronne de cheveux roux éclatants, que ce moine aux yeux creux et au teint brûlé était un maléficier félon, employant à de vilains usages de sorcellerie les pratiques de la très sainte messe.
À dire le vrai, le père Benoît avait des secrets merveilleux de baumes pour lénifier les feux de la fièvre, pour guérir le mal Saint-Guislain, et pour fermer les blessures larges et malvenues. Vous dire comment et de qui le père Benoît avait appris ces secrets, Dieu m’en garde ! Mais une science si fort étonnante ne peut, selon mon faible jugement, provenir purement et simplement des études et des recherches d’un mortel.
Le père Benoît s’arrêta devant un vieux soudard qui mettait une arbalète en état, et se vantait à mi-voix de n’avoir jamais lâché la corde de sa bonne arme sans avoir atteint où il voulait.
– Aussi, ajouta-t-il, saint Sébastien m’est témoin que depuis l’âge de sept ans, jamais il ne s’est passé un jour sans que je n’aie mis une flèche sur l’arbalète, pour en navrer le corps d’un ennemi ou la tête de bois d’une quintaine.
– J’ai connu autrefois, dit le chapelain, en mon pays d’outremer, un archer napolitain qui vous valait, sur mon âme ! et qui ne s’était pourtant jamais évertué après la tête de bois d’une quintaine : il récitait tout bonnement les paroles qu’il avait apprises d’un sorcier célèbre.
Le vieil homme cligna de l’œil à la façon de saint Thomas quand il lui fut conté la résurrection de notre Sauveur.
– Par la Sainte-Messe ! reprit le moine, tu mets en doute ce que rapporte un homme de clergie !… Or ça, regarde : j’ai retenu ces paroles, et quoique mes mains n’aient guère tendu de corde d’arbalète depuis que je suis au monde, vois si le secret est bon.
Disant cela, il prit l’arme, se recula au bout de la grande salle, mâchonna : – Dieu y ait part et le diable à la sortie. Non tradas dominum nostrum malthon. Amen. – Puis désignant pour but la barrette du vieillard, il la lui enleva de dessus la tête avant que celui-ci eût songé à se tenir en garde contre une si dangereuse épreuve.
Chacun se mit à regarder le chapelain, avec terreur, et le chapelain sembla s’en réjouir. Pour le sire de Béthencourt, il fit l’observation qu’employer des maléfices ne convenait point à des gens-d’armes courageux et bons chrétiens ; à quoi le père Benoît répondit que tout moyen était bon pour la plus grande gloire de Dieu.
Monseigneur de Béthencourt répliqua en homme sage et en chrétien fidèle, à la grande édification de chacun, mais non du père Benoît qui s’en était allé deviser du coup merveilleux avec damoiselle Alix ; quoiqu’à vrai dire elle ne l’écoutât pas avec plaisir ; bien au contraire.
Le son d’un cor tira tout à coup Alix d’une aussi fâcheuse compagnie : le cor se faisait ouïr à la poterne du châtel.
C’était un chevalier pris par l’orage et qui venait demander un gîte. Monseigneur de Béthencourt ordonna que ce chevalier fût amené sans retard.
– Bien venu, trois fois bien venu ! dit le châtelain en saluant son hôte… Or sus ! que notre prévôt hâte les queux et fasse dresser promptement le souper. Vous, ma fille Alix, préparez l’hypocras, et vous, beau sire, quittez ce mantel alourdi d’orage et cette robe pesante de pluie ; laissez mes varlets défaire les anneaux de votre camisole de guerre ; mettez-vous à votre aise et pour le mieux.
Le chevalier requit de monseigneur, en termes bienséants, qu’il lui fût octroyé de garder sa capuche de mailles ainsi que sa camisole de guerre.
– J’ai fait vœu, dit-il, que nul chrétien au monde ne verrait ma face avant d’avoir parachevé mon emprise.
Monseigneur de Béthencourt fit cette réponse sage :
– Saint Michel jette au plus profond de l’enfer quiconque ne respecte pas une emprise ! Or sus donc, sire chevalier, asseyez-vous, et qu’une coupe d’hypocras vous réconforte…
Dieu me soit en aide ! Alix, vous n’avez point encore préparé l’hypocras ! Que pensera le sire que voici de notre hospitalité bâtarde ?
Damoiselle Alix, en grand émoi, se tenait tremblante et comme perdue de raison.
Mais enfin elle se réconforta de son mieux ; et à grande hâte d’elle et de ses femmes d’atour, l’hypocras se trouva fait à la fin des fins. Après quoi, damoiselle Alix en versa dans une coupe d’argent, et l’offrit gracieusement à l’hôte de monseigneur son père.
Sans que nul le vît, le chevalier pressa doucement la blanche main qui lui présentait l’hypocras, et damoiselle Alix murmura si bas, si bas qu’aucune oreille ne l’entendit, si ce n’est celui à qui elle parlait :
– Henryot, Henryot, point n’êtes prudent ! Déjà le maître-queux avait dressé sur la grande table, au banc d’honneur, un vaste plat d’argent porté par quarante hap-lopins ; dans ce plat, nommé Couvert pour cette raison qu’il était fermé ni plus ni moins qu’un coffret, se trouvaient confits avec grand art vingt-et-neuf mets et ragoûts différents.
Le chapelain récita le Benedicite ; et il n’avait pas fait son dernier signe de croix que ledit maître-queux découvrait le Couvert, se bûchait sur la table, taillait de son coutelas, et versait dans les pains-tailloirs de bons lopins de chair de sangliers, de lièvres et autres gibiers de renom. Bien entendu que monseigneur de Béthencourt, damoiselle Alix, le chevalier et le chapelain en avaient seuls leur part tandis que les femmes d’atour, les chambrières, les varlets, les pages, les veneurs et les hommes-d’armes, assis le long de la table au lieu, que valait à chacun son office plus ou moins relevé, se voyaient servir, sous l’inspection du prévôt, des portions de porc, de bœuf et d’autres viandes fortes et moins savamment apprêtées.
Durant tout le souper, le sire inconnu fut moins empêché de manger que de fixer vers Alix deux yeux qui brillaient comme de vraies escarboucles à travers les mailles de sa capuche de guerre. Pour Alix, à la fois joyeuse et en transes, elle ne mangea guère davantage, donnant lopin à lopin tout ce qui fut mis en son pain-tailloir, et le pain-tailloir lui-même, à une jolie levrette qui appuyait son blanc museau sur les genoux de sa maîtresse.
Après le souper, les oraisons du soir furent récitées par le chapelain debout au milieu de tous les autres agenouillés. Ensuite des pages menèrent avec honneur le chevalier dans une belle chambre jonchée de verdure fraîche et de feuilles de chêne.
Demeurée seule avec monseigneur son père, Alix requit la bénédiction du vieillard. Le noble sire imposa les mains sur le front d’Alix, et pria de bénir sa fille Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit, Notre-Dame, mère du Sauveur, et saint Berlin, patron de Béthencourt. La jeune fille salua respectueusement, et puis elle monta l’escalier en spirale qui menait à sa chambrette, et au bout duquel l’attendaient ses femmes d’atour et ses chambrières.
La chambrette de damoiselle Alix était un vrai séjour de plaisance. Le sire de Béthencourt s’était complu à la faire meubler et disposer au gré de son enfant chérie et ainsi qu’il convenait à une damoiselle de grande lignée.
Placée tout en haut d’une petite tourelle, cette chambrette prenait jour d’une fenêtre unique dont les vitraux de pourpre et d’azur, blasonnés à l’écu de Béthencourt, ne laissaient rien voir au dehors de ce qui se faisait en ce séjour virginal.
Un expert ouvrier avait façonné, en chêne brun et bien luisant, les colonnes du lit qu’enveloppaient de lourds rideaux, les sièges et les armoires à buffets. Le prie-dieu, dont chaque appui était sculpté d’une manière admirable, servait à la fois de support à un crucifix d’argent massif et à un miroir d’acier poli finement. Sur les tablettes sans nombre de ce prie-dieu se voyaient des agnus, des chapelets et des reliquaires ; sans compter les anneaux, les ceintures, et les pelottes à longues épingles d’argent : le tout parsemé de pommes de Blanduriau qui exhalaient des senteurs fines et douces.
Les dames d’atour ôtèrent d’abord à leur maîtresse sa large robe écarlate de dessus, dont les fausses manches pendaient par derrière ; après quoi, elles la dévêtirent de sa camise de dessous, qui ne laissait voir tout à l’heure que ses manches de couleur claire.
Tandis que deux chambrières faisaient cet office avec prestesse, deux autres relevaient et enfermaient en un grand chaperon de nuit les beaux cheveux noirs de leur maîtresse. En vérité, c’était conscience, car ces cheveux s’étendaient de si gente façon sur chaque tempe, pour former deux nattes retombant jusqu’à la naissance d’un cou d’ivoire ! Là, ils se relevaient dans leur double longueur, et s’arrondissaient en couronne sur le sommet de la tête, où leurs nœuds se mêlaient aux plis d’un long voile.
Un si bel ouvrage fut défait par les chambrières. Ensuite Alix renvoya ses femmes, détachant elle-même les agrafes du corps qui serrait sa taille élégante. Cela fait, elle demeura durant un long moment pensive et préoccupée. Henryot, qu’elle n’avait pas revu depuis son retour de chez sa tante, la dame d’Heninlietard, Henryot de Carvins au châtel du sire de Béthencourt !… Henryot, dont le père a tué le frère du sire de Béthencourt !…
Mon doux Jésus ! si l’on venait à savoir quel chevalier se cache sous son chaperon de mailles !… À quel point cet amant fidèle s’expose rien que pour la revoir !… Sainte Vierge, protégez Henryot !
À ces pensées, elle s’agenouilla sur son prie-dieu et dit l’oraison qu’on va voir :
« Mère immaculée du Sauveur, patronne sainte et miséricordieuse des vrais amants, Notre-Dame, octroyez-moi votre aide ! Henryot s’est hasardé pour moi à venir au château de monseigneur mon père : Sainte Vierge, qu’il s’en retourne sans mal encontre, et je vous promets, tant que la vie me sera laissée, de parer chaque jour d’un chaperon de fleurs votre divine image ; sans compter que je ne laisserai jamais finir de brûler le cierge que j’ai mis en votre chapelle. »
Elle récita encore plusieurs oraisons, après quoi elle se mit à regarder à travers les vitraux, tâchant de voir quelque lueur de la lampe qui brûlait dans la chambre de Henryot. Le front appuyé contre la fenêtre, elle était là pensive et oubliant de dormir, quand elle tressaillit tout à coup.
Des pas se faisaient entendre derrière elle.
– Sainte Vierge ! un homme ! le père Benoit !… Que vient-il faire ? comment est-il entré ?
Elle couvrit de ses bras et de ses mains sa poitrine demi-nue, car le moine s’était mis entre elle et les vêtements qu’elle venait de quitter tout à l’heure.
– Alix ! demanda-t-il, estimes-tu comme il faut les périls auxquels je m’expose pour te voir seule ?
La damoiselle baissa les yeux, car elle ne pouvait soutenir le regard diabolique du moine, et elle manqua de défaillir.
Réunissant néanmoins toutes ses forces et s’appuyant contre la profonde fenêtre qui se renfonçait en manière de petit cabinet :
– À l’aide ! à l’aide ! cria-t-elle… Lydorie ! Perrette ! Marie ! Berthe ! toutes, toutes à l’aide !
Le moine croisa les bras en souriant, et la laissa s’évertuer en clameurs.
– Elles dorment, dit-il enfin : elles ne se réveilleront que quand je le voudrai, car mon pouvoir les a endormies.
Il sortit, revint en traînant par le bras sur la jonchée une chambrière, que ne firent point éveiller les rudes secousses qui la heurtaient : ensuite le moine la jeta là, dans un coin, où elle demeura dormant toujours et sans faire seulement un soupir.
– Alix, reprit alors le moine, tu es seule avec moi ; écoute donc : je t’aime, tu le sais, depuis que je t’ai vue. Tu as voulu dire à ton père que je t’aimais : la crainte de mon pouvoir magique t’en a empêchée, et, par Belzébuth ! tu as bien fait, car des esprits d’enfer t’auraient tourmentée nuit et jour.
Lorsqu’en disant un seul mot de magie je pouvais t’avoir pour mienne, loin de là j’ai supporté tes dédains et tes dures façons, ainsi qu’aurait pu le faire un timide vassal enamouré d’une haute dame… Enfin, pour la première fois aujourd’hui, tu as laissé voir que tu prenais en pitié mes peines et mes langueurs : ton pied a cherché le mien durant le souper… Et vois : plus rien ne m’a été de quelque chose : périls, hart, bûcher, j’ai tout bravé… Me voici !
– Seigneur Dieu ! quelle erreur funeste !… Quoi ! c’était le pied du chapelain ! s’écria la pauvre Alix.
– Tu cherchais le pied d’un autre !… Tu es enamourée d’un autre !… Lequel ? lequel ? Ah ! oui : ce chevalier.
N’importe ! tu seras mienne !
Disant ces mots, le chapelain étendit ses bras pour l’étreindre : dans ce mouvement une courte dague cachée dans les plis de sa manche tomba sur la jonchée : Alix s’en saisit et la tourna si promptement vers son sein, qu’elle s’y fit une piqûre et qu’une large goutte de sang en coula.
– Marche encore un pas, s’écria-t-elle, et je me tue !
– Fais ainsi : mieux te vaut défunte à moi que vivante à ton chevalier.
Et il avança.
Alix recommandait son âme à Dieu et s’apprêtait à mourir, quand tout à coup le moine s’arrêta comme par une soudaine réflexion, sortit en faisant un geste de vengeance, et ferma la porte de manière à ce que la jeune fille ne pût l’ouvrir. Elle eut beau crier : nulle de ses femmes ne se réveilla, endormies qu’elles étaient par les maléfices du chapelain.
Il se rendit vers la chambre du chevalier : sans le faire sortir de son profond sommeil, il put à son aise considérer son visage et le reconnaître pour le sire Henryot de Carvins.
Le lendemain, à l’heure de Matines, le chapelain entra dans la chambre de monseigneur de Béthencourt.
– Notre Seigneur Jésus-Christ vous soit en aide, et vous octroie du courage ! Il vous en est grand besoin !
Le chevalier d’hier, c’est Henryot de Carvins, le fils du meurtrier de votre frère Paul d’Esnes.
Monseigneur de Béthencourt se leva hors de lui ; puis il se remit soudain en sa couche, disant : – Il a reçu l’hospitalité chez moi : saint Julien le protège. Qu’il s’en aille sain et sauf. Je vengerai mon frère une autre fois. Dieu m’en donnera l’occasion.
Le moine croisa les bras, et se prit à sourire comme il avait souri dans la chambrette de damoiselle Alix ; et puis il parla comme on va le voir :
Henryot de Carvins a déloyalement outragé une hospitalité aussi généreuse : durant, cette nuit, il a été reçu dans la chambrette de damoiselle Alix.
– Moine ! moine ! des preuves, ou je t’occis ! cria monseigneur de Béthencourt dressant sa dague.
– Je l’ai vu ! j’en jure sur les saints du paradis, répliqua le moine avec calme et sans rompre d’un pas… Je l’ai vu !
Et puis en sortant il a laissé tomber ce voile, qui pendait hier aux cheveux de damoiselle Alix.
– Vrai ! par trop vrai !… Mon armure ! donnez-moi mon armure !
– Félonie doit être occise par félonie… Il dort : marchons !
– Moine ! ce serait là se venger à la façon d’un moine ; et c’est une vengeance de chevalier qu’il me faut !… Mon armure !… De ce pas allez chercher le traître, et amenez-le à l’entrée du bois.
Dans une joie horrible à voir, le moine fit hâte, pour courir à la chambre de sire Henryot de Carvins.
– Oh ! oh ! beau sire, il n’est plus besoin de mystère : on sait que vous êtes sire Henryot de Carvins. Pour bien faire, vous auriez dû garder au lit votre chaperon de mailles… Or sus ! cette camisole de guerre aux épaules et cette dague au poing, vous êtes attendu au bois, pour recevoir la récompense que l’on vous doit.
Henryot fit un signe de désespoir.
– Je ne me servirai point de cette épée contre le père de madame Alix, dit-il.
– Sur mon âme ! répliqua le moine, vous aurez mieux à faire qu’au poing faible et aux jambes tremblantes de monseigneur de Béthencourt : vous êtes attendu là-bas par un jeune et vaillant sire, le fiancé de damoiselle Alix, jeune preux neveu de monseigneur messire Oldebrand de Cagnoncles.
– Ah ! fit le chevalier, le fiancé de damoiselle Alix !…
Il s’arma vitement, et il fallut que le moine attachât les courroies des boucles, car les mains de Henryot tremblaient de rage.
Conduit à l’entrée du bois par le chapelain, Henryot se rua sur son adversaire ; mais il ne put en voir le visage, attendu que le chevalier avait un chaperon de mailles. Le combat ne dura point longtemps : blessé d’abord quelque peu au flanc, le sire de Carvins fit tomber son ennemi percé de part en part… Son chaperon se dégagea de sa tête et laissa son visage à découvert… Henryot reconnut le sire de Béthencourt.
Et comme, dans le plus affreux désespoir qui ait broyé un cœur d’homme, il se retournait pour tuer le moine félon, le moine n’était plus là ; mais Henryot le vit, à travers la feuillée, serrant dans ses bras damoiselle Alix demi-nue et jetant des cris.
Henryot se mit à poursuivre le moine. Le poids de son armure, une douleur cruelle et la défaillance qui venait de sa blessure rendirent inutiles ses efforts : ses genoux plièrent sous lui, et il tomba.
Le moine vint alors auprès de lui, et cria à la mourante Alix qu’il étreignait toujours :
– Il a tué ton père… Il est blessé par une dague empoisonnée… Tu seras mienne, et nous trépasserons ensemble, toi dans mes bras… Suis-je vengé ?…