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Chroniques et traditions surnaturelles de la Flandre

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Extrait : "N'est-il pas vrai ? Antonio, c'est déjà un spectacle plein d'émotions que ces hommes debout autour d'une table de jeu, ces hommes avec leurs physionomie que contracte une impassibilité convulsive. Et puis l'or qui tinte et qui brille ! Le grand silence d'un coup décisif ! Le murmure sourd qui suit une partie gagnée ! Les mains que l'on tend ! Les voix qui réclament ! Les joueurs qui jettent l'or sur le tapis !"

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.

● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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I - La partie gagnée
I La partie gagnéeN’est-il pas vrai ? Antonio, c’est déjà un spectacle plein d’émotions que ces hommes debout autour d’une table de jeu, ces hommes avec leurs physionomies que contracte une impassibilité convulsive. Et puis l’or qui tinte et qui brille ! Le grand silence d’un coup décisif ! Le murmure sourd qui suit une partie gagnée ! Les mains que l’on tend ! Les voix qui réclament ! Les joueurs qui Jettent de For sur le tapis ! Les félons qui s’éloignent furtivement avec leur mesquine proie et qui bravent le mépris pour cent ducats ! Des transes, des transports, des tourments, des sarcasmes : et tout cela renfermé soigneusement dans sa poitrine, caché à tous les yeux ; pour soi, pour soi seul ! Tout cela, durant une fête parmi des femmes à la poitrine nue, au milieu d’une atmosphère tiède et molle, tout cela aux vagues accords des guitares, des flûtes et des v****s, aux bruissements de mille voix. Mais se mêler soi-même à ce groupe ; soi-même jeter une grosse somme parmi les tas d’or ; soi-même tenir dans ses mains tremblantes, les cartes qui vont adjuger ces richesses, soi-même panteler d’attente, soi-même tressaillir à chacune des rapides chances qui se succèdent : être l’objet de vœux ardents ; devenir quelques minutes, puissant comme le destin, s’entendre maudire comme Satan, ou bénir comme le Sauveur. Oh ! ce sont là encore bien d’autre émotions ! C’est là vivre, c’est là sentir, n’est-il pas vrai ? Antonio. Eh ! bien, il y a un quart d’heure, j’ai joué mieux qu’au Lansquenet, mieux que de l’or. J’ai joué ma vie, ma vie de jeune homme de vingt-cinq ans. Ma vie de capitaine Espagnol, avec ses extravagances, ses orgies, ses bruyantes équipées ; ma vie avec ses sérénades, nocturnes, ses duels, ses rendez-vous ; et tout cela en un moment, en une seconde. Une seconde a suffi ; une chance a décidé. J’ai plus vécu en une seconde que toi dans toute ta vie. Et j’ai gagné. Allons ! allons ! du vin : de belles filles ! appelle tous nos camarades ! Allons, des guitares, des danses, des baisers, des cris, de l’ivresse ! Bombance jusqu’à demain, jusqu’après demain, tant qu’on le voudra ! J’ai gagné ! J’ai gagné ! Je l’ai gagnée, te dis-je, je l’ai gagnée cette partie, et à un jeune homme comme moi, à mon beau cousin Pezarre del Montes, à celui qui devait partager avec moi l’héritage de mon vieil oncle don Gordos, à celui qui devait épouser la belle Marguerite Raparlier ! Et à présent l’héritage, Marguerite et ma vie de jeune homme de vingt-cinq ans, tout, cela est à moi, à moi seul. Il vint me trouver tout à l’heure, l’insensé : – Je suis jaloux de toi, car tu aimes Marguerite. Je te hais, car tu dois partager avec moi l’héritage de mon oncle. Tant que tu vivras, je ne saurais goûter les baisers de Marguerite ; il me souviendra toujours du regard qu’elle t’a jeté tantôt. Toi, non plus, tu ne saurais être heureux tant que Marguerite dormira dans mes bras, tant que pâle de jalousie et de désespoir tu roderas autour de mon logis. Toi non plus, tu ne saurais dissiper gaiement une fortune partagée avec moi. Voyons, le veux-tu ? Bonheur complet à l’un de nous deux : pour l’un l’héritage, Marguerite et la mort d’un rival ; pour l’autre, le poignard ou bien pire : le cloître. Que cette pièce décide. Le veux-tu ? – Tope. Il jeta en l’air la pièce d’or. Le cœur palpitant, la poitrine serrée, je criai machinalement un mot, je suivis de mes yeux hébétés le ducat qui s’élevait en tournoyant. Il retomba, bondit et s’arrêta. Antonio, je ne savais plus lequel des deux mots j’avais dit : pile ou face ? Et lui était là, debout, fixant sur la pièce des regards convulsifs, des regards si étranges que je ne pouvais deviner si c’était de la joie ou du désespoir ! Tout à coup il s’écria : « Malédiction ! Ah ! »… Ce cri effroyable me fit bondir de joie, m’enivra d’un bonheur qui ressemblait à de la rage. J’avais gagné, gagné, oui gagné. Comme il l’avait dit, à moi l’héritage, Marguerite, et la mort d’un rival. Du vin ! du vin ! des baisers, de folles joies ! orgie ! orgie ! jusqu’à demain, jusqu’après demain. Appelle nos camarades, qu’ils viennent tous. J’ai gagné ! J’ai gagné ! À ces cris de joie, plusieurs officiers Espagnols accoururent et entourèrent don Carlos avec empressement. Car don Carlos à l’imagination ardente, aux propos dévergondés et spirituels, car don Carlos cavalier preste, fougueux, parfait, était pour tout le régiment un objet d’envie et d’affection. Chacun citait ses bons mots, chacun énumérait ses maîtresses, et nul n’aurait essayé de croiser le fer avec lui ; attendu que pour l’avoir tenté plus d’un gissait à toujours sur le dos. Don Carlos, par un geste, recommanda la discrétion à Antonio, et puis il se mit à conter je ne sais quelle folle histoire à ses camarades, pour expliquer sa bruyante allégresse. Bientôt des bottrines de vin couvrir eût la longue table du cabaret ; des parties de Lansquenet s’organisèrent, et un murmure de voix apprit aux pacifiques voisins du Lion d’or, que, malgré la nuit et le couvre-feu, les dragons espagnols faisaient orgie : Un tel tintamarre se passait bien proche de la maison habitée par la gente demoiselle Marguerite Raparlier. Et néanmoins, il ne troubla en aucune façon la profonde rêverie de cette jeune fille. Oh ! voyez-vous, c’est que l’amour et la vanité la berçaient de leurs plus doux prestiges ! Plongée dans un de ces grands et voluptueux fauteuils de l’époque, elle n’avait point seulement pris garde que le jour s’en était allé et qu’il faisait nuit sombre. Heureuse au-dela de ce qu’on peut exprimer elle se laissait aller aux plus fantasques projets de son imagination, et à tous ses projets venait s’associer l’idée de don Pezzare, de don Pezzare son fiancé. Fière de l’amour d’un cavalier aussi accompli, fière de son haut rang et de son noble lignage, elle se livrait avec abandon aux caressantes promesses de l’avenir. Riche, belle, aimée, il ne lui manquait que la couronne de marquise, et Pezarre, son Pezarre la lui posait sur le front. Et le jour des noces est enfin fixé, irrévocablement fixé. À huit jours de là, elle recevra les félicitations de tout Cambrai qui s’empressera de venir complimenter la fille de l’échevin et l’épouse du marquis. Mais le voilà… Et se levant avec une prestesse joyeuse, elle courut au-devant de lui. – Pezarre ! mon Pezarre ! – Pourquoi cette pâleur ? pourquoi ce silence ? Votre main frissonne dans la mienne ! Sainte Vierge Marie, pourquoi ? dites, dites. Pezarre détourna la tête et se porta convulsivement au front une main qui tremblait. Après cela il fit quelques pas sans but, puis il dit : – Adieu ! – Pezarre ! juste ciel, pourquoi cet effroi ? pourquoi cet embarras ? pourquoi cet adieu ?… Il s’en va ! il ne m’écoute pas ! Pezarre ! mon fiancé ! – je ne le suis plus ! – Oh ! fit-elle en joignant les mains. Oh ! quelles paroles ! Quoi ! l’ai-je bien entendu ? Écouté, Pezarre, malheur à toi ! J’ai avoué, moi, à la face de tous, que je t’aimais ; j’ai prié, moi, j’ai supplié pour être à toi ; ils ont dit tous : elle épouse, elle, la vaniteuse fille de l’échevin, elle épouse un capitaine qui ne possède au monde que la cape et l’épée ; ils l’ont dit jusque devant moi ; j’ai souffert tout cela sans un murmure. Et maintenant lâche et félon, tu m’abandonnes ! Oh ! oui, malheur à toi ! Éperdue, tremblante de rage et de douleur, Marguerite ne put contenir davantage ses larmes qui s’échappèrent et se répandirent sur ses joues brûlantes. – Malheur à moi ! répéta Pezarre après un long silence, et absorbé par le plus poignant désespoir. Malheur à moi, oui, malheur à moi ! Tu as souri tout à l’heure à ce frivole dameret Carlos, tu as reçu avec vanité son insolent hommage. Il est de sang royal, il est le plus brillant cavalier de toute l’armée, il va partout répétant qu’il t’aime… Je n’ai pu me contenir, et j’ai dit que l’un de nous d’eux meure aujourd’hui, à l’instant ! La blessure que j’ai au bras, ne me laissait pas, d’ici à plus d’un mois, la possibilité me fallait sortir de cette exécrable anxiété. Alors j’ai dit : « que le sort décide ! » Malédiction ! Carlos l’emporte ! Alors il conta longuement à Marguerite ce qui s’était passé entre lui et son rival. Marguerite le laissa dire, et quand il eut fini : – Et vous croyez sans doute, noble seigneur del Montès, vous croyez sans doute que je vais ratifier ce beau traité, vous croyez que je vais devenir humblement, le gain d’un joueur, comme on ferait d’un double ou d’une piécette. Allons, allons, vous voulez rire de moi, et vous oubliez qui je suis. Jouez votre héritage, tant qu’il vous plaira, mais vous êtes bien osé de mêler mon nom à de telles folies. – Adieu, Marguerite ! Ces mots étouffés par le désespoir, furent la réponse de don Pezarre. La fille de l’échevin lui laissa faire quelques pas, mais quand elle entendit la porte se refermer sur Pezarre, tout son beau courage fit place à la crainte, et elle courut vers son amant qu’elle ramena. Écoute, dit-elle, tu ne peux pas mourir. Je ne le veux pas. Tu es à moi, tu m’appartiens, tu es mon fiancé, mon époux. Tout ce que vous avez fait est folie de jeunes hommes. Don Carlos ne peut sérieusement exiger l’accomplissement d’un pareil traité. Allons le trouver. Qu’il prenne ta fortune, la mienne, tout ce que je possède. Mais toi, toi… Un regard qu’elle jeta sur Pezarre, apprit à la pauvre fille qu’il ne lui restait plus d’espoir de ce côté. Eh bien ajouta-t-elle en se jetant aux genoux de don Pezarre, fuyons. La nuit, est obscure : prends cet or, ces diamants, partons sans prévenir personne, pas même mon père, et puisse-t-il ne pas en mourir. Tu changeras de nom ; nous irons chercher un asile dans quelque pays inconnu ; où tu voudras, n’importe… Tu hésites ? Oh ! tu ne m’aimes pas ; car crois-tu, moi, qu’il ne m’en coûte rien, de m’enfuir comme une fille perdue, pour permettre à tous de dire ici demain : « Marguerite Raparlier qui faisait tant la fière s’est laissée enlever par un cadet espagnol. » Allons, allons ne t’en va pas : reste, reste ! Encore un moment ! l’heure de la mort n’est pas fixée à cette heure, à aujourd’hui. Attends jusqu’à demain : prends pitié de la pauvre Marguerite. Vois, elle est à tes genoux. Mon dieu ! mon dieu ! que ces hommes sont impitoyables ! oh ! reste, reste. Écoute : voici un moyen : Fuyons ! et nous jetterons dans l’Escaut mon voile et ton mantel. On dira : ils se sont noyés ! ah ! voilà un bon moyen, n’est-ce pas ? tu ne peux plus refuser à présent, ton honneur sera sauvé. Mais, non, mais non, il refuse encore ! Reviens, reviens, je n’ai pas tout dit. Mon Dieu inspirez-moi, faites qu’il m’écoute ! Oh ! je ne te quitte pas, je ne te laisse point aller : traine-moi, après toi, couvre-moi de ton sang, frappe, tue-toi dans mes bras si tu l’oses. Pourquoi n’oserais-tu pas ? tu me repousses bien ici ? Courage, voyons, j’embrasse tes genoux, repousse-moi du pied, courage ! tu as déjà trop bien fait pour hésiter à frapper du pied, qui ? une femme. – Ô mon Dieu ! mon Dieu, touchez son cœur !… Pezarre, tu m’as dit qu’il te laissait à choisir entre la mort et un couvent. Eh bien ! fais-toi moine… Ils ne diront pas que tu manques de cœur, tu es brave, chacun lésait, et puis, Dieu te bénira… Ah ! il m’échappe, il fuit, Dieu ! mon Dieu ! Elle tomba sans connaissance et Pezarre qui s’était arraché de ses bras, disparut.

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