IV - Un État qui se réforme

2957 Words
IV Un État qui se réformeSi vous n’arrêtez pas le mal à sa racine, Il rendra bientôt vain l’art de la médecine. OVIDE. Parmi les principautés ecclésiastiques de l’Allemagne, l’évêché de Munster n’était pas une des moins importantes. Le prélat souverain qui gouvernait ce petit état possédait, – outre Munster, sa capitale, riche, grande, belle et peuplée, – plusieurs autres places fortes : Cœsfeld, Meppen, Warendorp, Stromberg, Vecht, Borkelo, et toutes les plus belles portions de la Westphalie. D’heureux villages, des terres fertiles, de bons revenus, des sujets guerriers : c’était une noble souveraineté. La succession des évêques-princes remontait à saint Ludger, disciple d’Alcuin, envoyé dans ces contrées par Charlemagne ; et c’est d’un monastère illustre que l’apôtre de la Westphalie avait fondé qu’on tirait le nom de Munster, donné à la capitale. Les peuples, doucement gouvernés, placés sur un sol heureux, jouissant d’un grand bien-être matériel, n’étaient pas assez éclairés pour comprendre que les abus (et il y en avait quelques-uns) ne se redressent jamais d’une manière durable par la violence. Plusieurs des enfants perdus de la Réforme étaient venus chez eux ; ils y répandaient sourdement leurs doctrines. Ils annonçaient, comme tous les novateurs, des choses merveilleuses. À les entendre, en adoptant les idées nouvelles, en supprimant les couvents, on allait partager les biens de l’Église ; au moyen de quoi tous les pauvres deviendraient riches. Tes bonnes gens ne songeaient pas qu’un monastère répand les bénédictions et l’aisance dans les chaumières qui vivent sous son abri, et que sa suppression n’enfante que des misères. Ils ne pensaient pas assez qu’on leur offrait de posséder par le dépouillement et le vol. On leur disait, il est vrai, que les biens de l’Église étaient le patrimoine des pauvres, et qu’au lieu de l’usufruit ils avaient droit à la propriété ; mais on ne leur montrait pas leurs titres. Ces levains perfides, repoussés d’abord par les cœurs simples des villageois, fermentaient dans plusieurs cerveaux gâtés de la capitale, et de petites explosions avaient lieu de temps en temps. Par malheur, la plupart du temps les évêques souverains ne résidaient pas. C’était un des abus. Les princes, en Allemagne, cumulaient fréquemment plusieurs suzerainetés. Si l’évêque de Munster était en même temps évêque de Paderborn ou d’Osnabruck, et quelquefois élu à ces trois sièges, il habitait un manoir paisible à la campagne, et laissait administrer ses villes par des corps municipaux, sortes de sénats ou de tribunats qui jouissaient, sous des noms germaniques, de beaucoup de libertés qu’on appelait privilèges, comme le droit d’élection et le droit de voter les impôts et les milices. – Les princes ecclésiastiques avaient presque partout établi des communes et affranchi leurs sujets. À l’époque où Munster, se bouleversant pour se réformer, ne se dirigeait en effet que sur les caprices de Mathys et de Knipperdoling, dont l’influence et les progrès s’expliqueront un peu plus loin, dans ces jours où l’on attendait l’arrivée de Jean de Leyde, l’apparition de Divarre, le retour de Bernard Buxtorf et de celui qu’on appelait le père Isaac, trois hommes, un soir, étaient assis autour d’une cruche de vin du Rhin, dans la chambre principale d’une petite maison retirée, non loin de la cathédrale. Là, on n’entendait pas les tumultes des assemblées, les clameurs de la foule, les querelles, les hurlements des prophètes, les cliquetis d’armes, les batailles qui de temps en temps ensanglantaient les rues. Ces trois hommes s’entretenaient des affaires de la ville : on ne connaissait plus, à Munster, d’autres sujets de conversation. L’un, le maître du logis, Herman Ramers, était un bon bourgeois de cinquante ans, à la figure douce et timide. Attaché à sa maison, à sa ville, il avait l’air d’adopter les innovations et de suivre le torrent ; mais au fond du cœur il demeurait catholique et fidèle sujet de son prince. Seulement, sa faiblesse s’effrayant à l’idée du bannissement prononcé contre ceux qui n’acceptaient pas la Réforme, pour conserver ses biens, il allait avec les rebelles, comptant que leur règne passerait vite, et ne pouvant supposer jusqu’où ils le mèneraient. Son ami, Evrard de Morring, un peu plus jeune, était pareillement un homme effrayé, qui renfermait en lui-même sa persévérance ferme dans le catholicisme, mais qui n’était pourtant pas disposé à faire aux réformateurs autant de sacrifices que Ramers. Ce dernier demeurait à Munster avec sa femme et ses enfants. Évrard avait déjà prudemment envoyé sa famille à Iburg. Jurisconsulte habile et conciliant, homme doux et bon, il était aimé de tous. Le troisième des personnages auprès desquels nous introduisons le lecteur était un citoyen d’autre sorte. On voyait en lui un des chefs du mouvement. Il s’appelait Bernard Rothmann, et comptait environ trente-six ans. Comme Luther, il tournait entièrement contre l’Église les talents qu’il lui devait ; car il n’avait été élevé aussi que par la charité des moines. Les chanoines de Saint-Maurice de Munster lui avaient fait avoir d’abord l’école de Warendorp ; l’un d’eux avait pourvu ensuite aux frais de ses études de théologie à l’université de Mayence. Ordonné en 1524, il avait obtenu des bons chanoines une chapelle dans leur église. On lui avait reconnu, comme on disait, d’heureuses dispositions ; mais on n’avait pas prévu qu’à Mayence il s’était gâté. Il prêcha tout d’abord avec succès ; il avait ce genre d’éloquence qui, en censurant violemment les grands, attire toujours les multitudes. On lui reprocha qu’il manquait de charité ; mais il ne tint compte de la remarque et alla bientôt plus loin. Sous prétexte d’attaquer les abus, il lança des propositions si hasardées, que ses supérieurs crurent qu’il n’avait pas fait de suffisantes études. Ils formèrent entre eux une somme assez ronde et la lui donnèrent, en l’engageant à consacrer une année encore à se fortifier dans la saine théologie, non plus à Mayence, mais à l’université de Cologne, où l’hérésie n’avait fait jusqu’alors aucune brèche. Rothmann prit l’argent ; puis, au lieu d’aller à Cologne, il courut à Wittemberg et aux autres villes infectées ; il se lia avec Mélanchton ; il eut des conférences avec les autres chefs du protestantisme, et revint, ne prêchant plus que les dogmes de Luther, qu’il voulait pousser à leurs dernières conséquences. S’appuyant sur ces masses turbulentes qui croient gagner au trouble, il avait bientôt apostasié publiquement. Il avait fait chasser les chanoines, ses bienfaiteurs ; il avait mis la grande cité en pleine insurrection contre son évoque. Il gouvernait dans un effroyable gâchis avec quelques hommes de sa trempe. Il était venu chez Ramers pour lui demander de recevoir sans bruit en sa demeure un ami qu’ils attendaient. C’était de Jean de Leyde qu’il voulait parler. – Le timide bourgeois redoutait trop Rothmann pour lui refuser un service qu’il pouvait exiger ; et quoique, soupçonnant bien ce que pouvait être un ami de ces gens-là, il le vît venir à contre cœur dans sa famille, il avait répondu que sa maison était à la disposition de l’ami du peuple. En disant cela, pour cacher la rougeur qui, malgré lui, couvrait son visage, il avait fait volte-face vers une étagère où il avait pris trois verres, et demandé en même temps à sa servante un broc de vin. – Pensez-vous, maître, dit Evrard après quelques vagues propos, que nous aurons bientôt quelque fixité dans nos affaires ? – Il faut premièrement, répliqua aussitôt l’orateur, que nous soyons délivrés de l’Antechrist, et des appréhensions dont il est l’objet. Il désignait sous ce nom le prince-évêque. – Mais, dit Ramers en faisant bonne contenance, ne négocions-nous point, et n’y a-t-il plus de paix possible ? – La paix, répliqua Rothmann, suppose une réconciliation, qui ne peut se faire qu’au moyen de concessions mutuelles. Sur les abus nous céderons peu ; sur la réforme nous ne céderons rien. Nous ne voulons donc pas la paix ; nous voulons vaincre. De nombreux appuis nous viendront avant peu ; et nous sommes sûrs de nos démarches. Mais comme il faut attendre, nous négocions pour gagner du temps. Il y eut sur cette déclaration un moment de silence. – Et quand nous aurons vaincu ? reprit Evrard. – Alors l’âge d’or, dit vivement Rothmann. Nous serons libres de lui donner la meilleure forme. Ou nous ramènerons, comme le désirent plusieurs, les mœurs des patriarches, ou nous prendrons pour modèles les premiers chrétiens. – Les mœurs des patriarches ne pourraient guère revivre que dans les campagnes, dit Ramers. Dans des villes compactes, peuplées d’artisans et de riches… – Là ce sera plutôt la vie des chrétiens primitifs qu’il nous faudra rétablir. Ne sommes-nous pas tous en effet frères et sœurs ? Pourquoi donc des riches et des pauvres ? Les premiers chrétiens ne mettaient-ils pas leurs biens et leur misère en commun ?… Sur ce thème, Rothmann parla une demi-heure et fit une diatribe redoutable à des gens qui possédaient encore quelque chose. Le malaise de ses deux auditeurs fut soulagé, comme il tirait ses conclusions ; une jeune femme de sa secte, Élisabeth Dreyers, vint le prévenir qu’on l’attendait au logis. Ramers offrit à la jeune dame un quatrième verre et vida le broc ; ce qui parut décider l’orateur à lever le siège plus vite. Quand les deux amis se retrouvèrent seuls, ils se regardèrent longtemps sans parler. Enfin, Évrard, après un profond soupir, rouvrit la bouche : – Ce qui nous consterne aujourd’hui, dit-il, nous aurions dû le prévoir ; et maintenant quelle en sera la fin ? Dès l’année 1525, il y a huit ans déjà, nous avons vu débuter ici trois docteurs de la Réforme ; à leur premier prêche, les tisserands ont voulu brûler sous nos yeux le monastère de Nising, sous prétexte que les religieuses nuisaient à leur industrie en faisant de la toile… – J’avoue qu’à un tel début nos sénateurs ont été faibles ; ils ont enlevé les onze petits métiers de ces pauvres filles. Mais ils voulaient éviter l’irritation. – On ne l’évitait pas. On l’animait par ce singulier triomphe, si facilement décerné. Partout les novateurs ont commencé de la sorte. Et peu après, rappelez-vous que des masses s’ameutaient librement, demandant le renvoi des clercs inutiles, la suppression des monastères et des confréries, l’inamovibilité des vicaires ; tout cela mêlé, il est vrai, de justes réclamations qu’on eût pu satisfaire. Mais on ne cédait que sur les points qu’il fallait maintenir. – Nos magistrats ne furent habiles qu’une fois, lorsqu’ils donnèrent un bénéfice au luthérien Dewinch, qui cessa aussitôt de luthéraniser. – Et cet étranger, ce drapier chassé de Leyde, ce Knipperdoling, qui est aujourd’hui si puissant et qui emploie à ses manœuvres je ne sais quel Juif vagabond, qu’ils appellent Isaac ; si on l’avait pendu, il y a sept ans, lorsqu’il arracha des prisons un condamné de notre sénat, bien des choses n’auraient pas eu lieu. – Non certes ! car il a depuis dirigé tous les complots. Mais, au contraire, lorsque les troupes du prince, l’ayant pris en campagne, voulaient l’expédier, ce fut notre sénat qui le réclama. On croyait tout apaiser par la douceur. En effet, après ces évènements que vous retracez, nous avons eu trois années de calme. – De calme trompeur ; car en 1530 les évènements se sont réveillés bien autrement. La réforme avait grossi ses recrues, au point que Charles-Quint fut obligé d’écrire à nos magistrats de faire exécuter les lois. L’année d’après, l’homme que nous avions là tout à l’heure leva entièrement le masque. – Deux ans seulement ont passé, et quel chemin il a fait ! – Rappelez-vous comme il attaqua sans réserve tous les rites de l’Église romaine. – Comme il décria la confession, qu’il appelait un piège. – Comme il railla la nécessité des bonnes-œuvres. – Comme il établit que pour se sauver il ne fallait que croire, et vivre ensuite à son gré. – Comme il soutint qu’on devait même secouer le joug des lois humaines. – Alors seulement nos magistrats se remuèrent, lorsqu’ils étaient devenus impuissants contre lui. – L’évêque instruit le frappa d’interdiction. Il dut se taire. Mais il s’en dédommagea bien, en faisant imprimer sa confession de foi, que l’un de nos officiers municipaux, Jean Langermann, a répandue à profusion. Il y proclamait, comme dans sa chaire, l’inutilité des bonnes-œuvres. – Il ne reconnaissait que deux sacrements, le Baptême et la Cène. – Il supprimait l’abstinence et le jeûne. Il traitait d’idolâtrie l’invocation des saints. Il proscrivait les vœux. – Ce n’était que le préambule de ce qui se fait aujourd’hui. Une servante entra alors, voyant la nuit venue et apportant deux lampes. À la manière dont les deux amis poursuivaient leur entretien, malgré la présence de cette fille, on eût pu juger qu’ils étaient sûrs de leurs fidèles serviteurs. – Et dites qu’on a marché vivement, continua Evrard. Après la publication de ce libelle, Rothmann, pour qui les églises étaient fermées, sut s’en passer et s’en venger. Il prêcha le peuple au cimetière de Saint-Lambert. À la suite de son sermon, – j’ai encore ces horreurs sous les yeux, – toutes nos églises furent saccagées, nos autels détruits, les saints tabernacles profanés. – Frédéric de Wéda, notre évêque alors, abdiqua le 24 mars 1532 ; vous vous en souvenez ; il était effrayé. – Mais les agitateurs triomphèrent à cette nouvelle. Se croyant héritiers du pouvoir, ils ne demandèrent plus la liberté de suivre la doctrine de Rothmann ; ils exigèrent que cette doctrine fût imposée. Ils réduisirent au silence les prédicateurs de la foi romaine, « à moins qu’ils ne voulussent disputer contre le savant myn heer Rothmann. » – Chose triste à dire ! Dans nos rangs abattus, il ne se trouva pas un homme qui osât se lever pour se mesurer avec le champion du mal. – Lorsqu’au mois de juin suivant, notre chapitre eut élu évêque de Munster le sérénissime François de Waldeck, aujourd’hui régnant, tout eût pu se réparer encore, si le Prince fût venu sur-le-champ dans nos murs, soutenu convenablement. – Mais, évêque d’Osnabruck, administrateur de Minden, surchargé de trop de soins, il s’est contenté d’écrire et de négocier. – C’est alors que Knipperdoling, voulant brusquer encore plus les choses, persuada à nos tribuns, Moderson le boucher et Redecker le peaussier, qu’ils avaient le droit d’assembler le peuple sans l’avis du sénat. – Et à la première assemblée, l’honnête Jean Mennemann fut : à demi assommé, pour avoir dit quelques paroles modérées qui n’allaient pas aux novateurs. – Sur quoi nous avons jugé, vous et moi, qu’on n’avait plus dans notre pauvre ville la liberté d’émettre son opinion. – Et tous les bons bourgeois, comme nous, ont laissé ; faire. – C’est un tort ; car enfin, si nous nous entendions ? – Nous ne sommes pas les plus nombreux. – La peur nous le fait croire. Il en va de la sorte dans toutes les révolutions. – Le sénat lui-même se ; troubla ; il craignait les peuple et il craignait le : Prince-Évêque. Il écrivit à Sa Sérénité pour déclarer qu’il ne soutenait pas Rothmann, et pour demander un homme habile qui pût discuter avec lui et décider les questions, puisque tous les savants de la ville s’obstinaient à ne pas entrer en lutte contre : ce grand orateur. – L’évêque ne répondit encore autre chose, sinon qu’il viendrait incessamment prendre possession de sa capitale. – Les corporations, qui redoutaient son entrée, réclamèrent aussitôt la médiation du landgrave Philippe de Hesse, ce soutien dissolu de Luther. – Le sénat se compromit davantage en nommant aux églises six prédicateurs luthériens, et Rothmann à leur tête. Le clergé catholique fut proscrit. Un luthérien, un étranger, Jean de Wyck, fut nommé syndic du peuple. – À travers ces mouvements, au lieu d’arriver, le Prince-Évêque, qui a toujours sincèrement désiré la paix, a continué ses négociations et ouvert des conférences. – Cependant, lorsqu’il a vu trop évidemment qu’on le jouait, il a ordonné à ses drossarts de sévir contre les bourgeois de Munster, en saisissant leurs propriétés. On nous a enlevé un troupeau de bœufs gras. – Pour ce seul grief, le peuple irrité s’est déclaré indépendant. Aujourd’hui il bat monnaie : il a organisé une petite armée ; il s’est décidé à guerroyer. – Le sénat, de son côté, charge Jean de Wyck, qui est Brémois, de solliciter l’alliance et les secours de la ligne de Smalkalde, ce qui complète la rébellion… – Sur ces entrefaites, le provincial des frères mineurs de Cologne est arrivé pour réfuter Rothmann. Il a dit, en termes trop scolastiques, j’en conviens, les choses les plus irréfutables. L’ami du peuple ne lui a répondu que par des injures contre le Pape, contre Rome, contre les catholiques ; et ses auditeurs lui ont donné raison… – Mais en décembre dernier tout allait pourtant finir par la douceur ; il nous le semblait du moins. Le Prince était à Telgt, à deux lieues d’ici. Il demanda, le 24, une commission du sénat pour régler son entrée. Au lieu de sénateurs, six cents hommes armés vont, la nuit de Noël, tenter de l’enlever, le manquent et amènent ici comme otages ses conseillers pris en guet-apens. Le Prince indigné réclame les secours de tout le corps germanique. Luther même écrit au sénat de Munster pour le redresser. Mélanchton écrit à Rothmann pour le modérer. Autre prodige qu’on n’eût jamais cru pouvoir espérer ! le Prince-Évêque, dans de telles circonstances, accepte la médiation du landgrave de Hesse ; il accorde une paix ; il donne à Munster la liberté de conscience ; il permet au peuple de choisir à son gré ses prédicateurs ; il supprime toutes les actions intentées pour cause de religion. – Et pour ravoir ses conseillers, il paye les bœufs enlevés. Le sénat proclame cette paix et donne à Rothmann le titre de surintendant, qui correspond en luthéranisme à l’épiscopat dans l’Église. On renouvelle le sénat pour l’épurer de quelques membres catholiques qui s’y trouvaient encore. Les luthériens pensent avoir tout gagné quand leur tour vient, comme vous allez voir ; car c’est… – et le bourgeois baissa la voix, – c’est l’anabaptisme pur que veut Rothmann. Il l’établira. Il est soutenu par Knipperdoling et par Mathys. Il est plus puissant que le sénat. – En ce moment, on frappa vivement à la porte ; elle ne fut pas plutôt ouverte, qu’un homme de haute taille s’élança en quelque sorte dans la salle où causaient les deux amis. Ils se levèrent à son aspect. Cet homme avait des traits réguliers, mais durs et forts ; ses yeux noirs gardaient leur fixité calme parmi ses mouvements les plus brusques. Quelque chose d’impitoyable semblait écrit sur ses lèvres. Sous une toque large et bouffante pendaient ses longs cheveux noirs ; il n’avait pas de barbe ; sa robe courte était relevée de fourrure et façonnée avec soin ; il portait une lourde épée et maniait de ses doigts robustes un gourdin ferré. C’était Knipperdoling. – On compte sur vous demain, honnêtes bourgeois, cria-t-il en entrant. Demain, Rothmann en est prévenu, il doit soutenir avec le sénat une lutte décisive. Ceux qui ne seront pas pour Rothmann, auront contre eux le peuple. – Quoi ! demain même, dit Ramers troublé. – Demain ! on a cru saisir, pour nous abattre, une heureuse occasion. Jean de Wyck, en effet, et avec lui plusieurs autres de nos amis, sont en mission à Cœsfeld. Mais nous ne succomberons pourtant pas. À demain ! Knipperdoling sortit aussitôt, courant sans doute chez d’autres bourgeois. Lorsqu’il fut dehors, Evrard demanda : à son ami : – Que ferez-vous ? – Que voulez-vous que je fasse ? dit Ramers. Je suis bien contraint d’y aller. – Et moi, reprit Évrard, je n’irai certainement pas. – Comment vous en tirerez-vous ? – Votre famille vous retient, mon ami ; mais moi, plus heureux que vous, je suis libre ; et je vous fais mes adieux. Évrard de Morring, ayant embrassé Ramers, sortit promptement, et par des chemins détournés s’échappa de Munster.
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