V - Le Sénat de Munster

2937 Words
V Le Sénat de MunsterC’est véritablement la tour de Babylone ; Car chacun y babille et tout du long de l’aune. MOLIÈRE. Le lendemain matin, le tambour battait dans toutes les rues de la ville et toutes les cloches sonnaient pour avertir le peuple qu’il y avait assemblée. Des groupes se formèrent bientôt en tumulte aux abords de la salle où se tenait le sénat. Les renforts venus de la Gueldre, de la Hollande, du Brabant et du pays de Liège, se mêlaient partout aux habitants. Knipperdoling avait appelé de tous les pays voisins des hommes propres à soutenir l’œuvre qu’il entreprenait ; il avait fait luire à leurs yeux l’espoir d’en partager les profits. Rothmann avait ainsi beaucoup de partisans. Les femmes du peuple, qu’il flattait habilement, le défendaient surtout avec ardeur. – Il paraît, dit une vendeuse d’écrevisses, que nous allons comme la marchandise, nous reculons. – Et on nous taillera bien d’autres casaques, dit une couturière, si nous souffrons qu’on nous ôte le digne messire Rothmann. – C’est le seul qui nous dise la vérité, s’écria une jeune bohémienne. – Nous devons démonter, intervint un tisserand, les trames qu’on ourdit contre lui. – Si notre nouveau sénat ne veut pas de sa religion, dit la marchande d’écrevisses, c’est qu’on médite de nous mener de travers. – L’excellent messire Rothmann est pour le peuple, reprit vivement la jolie bohémienne. – Il est dans le vrai fil, ajouta la couturière. – Pardon, mes bonnes gens, ajouta un fripier, il a le tort de ne vouloir que du neuf. Tout ce qui est ancien, il le rejette. Dans l’ancien il y a du bon. – Et du propre ! dit le tisserand. Ce n’est toujours pas votre vieux Busch, qui a disputé l’autre jour contre lui. – Un brave militaire, s’écria un boucher. – Et même un poète, dit le tisserand. Il a fait la chanson des moines. Cela n’empêche pas qu’en théologie il n’ait embrouillé ses bobines. – D’ailleurs, ajouta le fripier, le luthéranisme que prêche Busch n’est pas de l’ancien. On aurait mieux fait d’écouter le révérend Henri Mumpert, ce dominicain que nous envoyait le prince-évêque. – Ah ! vous êtes papiste, cria la bohémienne, hors d’ici ! Et le groupe, entraîné par l’ardente jeune fille, se jeta sur le fripier, lequel s’escrima à démontrer qu’il tenait pour messire Rothmann. Cette déclaration sincère le maintint dans son droit de présence. – L’évêque, en tout cas, dit la couturière, avait bien mal pris sa mesure. Quand nous tenons la liberté de conscience, il nous adresse un prêcheur papiste. – Mais n’est-il pas papiste aussi ? riposta le tisserand. Vous avez beau dire, j’aime encore mieux le révérend dominicain qu’on n’a pas laissé parler, que le gros Fabricius. – Dame ! répondit la bohémienne, c’est un docteur luthérien. On l’avait demandé au landgrave de Hesse, qui nous a donné ce qu’il avait de mieux. – Et pour débuter, il a traité de cyclope et de pourceau notre ami Bruno le forgeron, qui voulait se prendre de bec avec lui. Il est vrai, dit le fripier, que le forgeron l’a un peu étrillé. Aussi, le pauvre diable est en prison. – Il n’y sera pas longtemps, dit la bohémienne. – Le digne messire Rothmann s’est refusé à raisonner avec ce Fabricius. Il n’y a, poursuivit la couturière, que le prédicateur Norden qui ait un peu relevé le dé. – Un bel apôtre, que ton Norden ! s’écria la femme aux écrevisses. – C’est un ami de messire Rothmann, dit le boucher, et un ministre du pur Évangile. – Ami de ce que vous voudrez et ministre de ce qui vous plaira, c’est un rien du tout, reprit la marchande. Si nous l’avions un peu plus éreinté, il ne prêcherait plus ; et ce ne serait pas une grande perte. – Qu’est-ce qu’il vous a donc fait ? dit le tisserand. – Il paraît que vous ne sortez pas tous les jours de votre trou, si vous ne le savez pas, mon bon homme. Mais pourtant vous auriez été des nôtres, vous qui aimez aussi l’ancien. Figurez-vous que ce grossier, ce manant, prêchant l’autre jour sur les saints, nous a soutenu effrontément que la vie et passion de notre bonne sainte Catherine n’était qu’un conte. En entendant traiter de la sorte notre chère patronne, nous grommelions. Il avait l’air de ne pas le remarquer, et il continuait. Mais quand il est descendu de sa guérite, il a vu de quoi il retournait pour lui, Soixante-dix Catherine, et j’étais du nombre, sont tombées sur sa laide carcasse, et à coups de sabots mous l’avons assommé aux neuf dixièmes pendant un bon quart d’heure. Mais il est comme les chats, il a la vie dure. – Et vous vous vantez d’une pareille équipée ! – Tiens ! pourquoi pas ? c’est public. Il s’est plaint au sénat. Requête dans les formes. Le sénat a répondu qu’il fallait pardonner un peu de vivacité au beau s**e. – Il est galant, notre sénat, dit le boucher. – C’est l’autre sénat, s’il vous plaît, qui a rendu cette sentence ; ce n’est pas votre sénat de marchands de beurre que vous venez d’élire. En cet instant deux charretiers arrivèrent essoufflés dans le petit cercle. – Vous ne connaissez pas encore le grand évènement, dit le plus jeune au boucher, qui paraissait être son ami ou son bourgeois. Eh bien ! l’abbesse de Nising, la fière femme, si serrée dans son papisme… – Qu’a-t-elle fait ? – Vous vous rappelez qu’il y a quelques jours on l’a forcée à recevoir des prédicateurs évangéliques à la table de ses chapelains… – C’est vrai ; elle a dû trouver cela rude. – Oui ; mais la chose a mitonné ; les évangéliques ont éclairé les pauvres religieuses. Elles ont ouvert les yeux ; elles, se sont mises en pleine révolte, et les voilà qui désertent le couvent. – Bon ! nous allons mettre la main dessus. Mais il nous faut aussi la maison des récollets. – Le sénat les a priés de la donner pour y établir une école. Ils en ont déjà cédé la moitié. – Voilà qui va bien, dit le boucher. Si les autres villes nous secondent, nous arriverons vite. Nos amis sont à Warendorp et à Cœsfeld. – Warendorp est à nous, dit le tisserand. – Et Cœsfeld, qui ne va pas au galop, répliqua le second charretier, entrera aussi dans l’ornière. Un autre incident vint alors apporter une nouvelle diversion aux idées. Des femmes circulaient parmi les groupes, quêtant pour les ministres du pur Évangile, et s’évertuant à exciter la munificence des assistants, en leur représentant, avec toute l’onction luthérienne, que les dits ministres avaient des femmes et des enfants à nourrir. Ceux qui étaient peu en humeur de donner prirent une mine grondeuse et se mirent à hurler contre le sénat. – L’assemblée devrait être ouverte ? – Où est le président ? – Il pèse sans doute son beurre ! – À bas le sénat ! qu’on ouvre les portes ! – À bas les papistes ! et les luthériens ! et Fabricius ! – Vive Rothmann ! – Vive Knipperdoling ! Tels étaient les cris confus de la multitude. Knipperdoling venait de paraître, séparé de son cher Mathys, qui était à Cœsfeld. Ni l’un ni l’autre n’avait encore atteint les grandeurs que leur prêtait Isaac, mais ils y marchaient. Knipperdoling entra dans la salle du sénat, dont les portes s’ouvrirent aussitôt. Il se fit un silence, quand le président du sénat, qui était en effet un marchand de beurre, ôta son grand chapeau pour annoncer que la séance était ouverte. La foule s’était ruée dans la salle ; – mais une centaine seulement des personnages du dehors avait pu y pénétrer. Les trois quarts de la place étaient occupés par des bourgeois entrés en faveur, comme cela se pratique. – Citoyens, dit le président, nous sommes devenus un peuple libre ; soyons dignes de l’être. Il faut pour cela tenir balance égale entre tous nos vrais intérêts et ne pas changer tous les jours de poids et de règle. On nous mène d’innovations en innovations… – À bas le papiste ! cria la foule. Il sent le fromage. – Laissez parler, dit en se levant un autre sénateur, qui était un gros charcutier ; on nous prêche des choses qui n’ont ni queue, ni tête… – À bas le luthérien ! interrompit la foule. Il met des rats dans ses saucisses. Un troisième sénateur se leva ; c’était un maître cordonnier. – Si la dignité du sénat n’est pas plus respectée, dit-il, on fera évacuer le bas de la salle. – À bas l’esclave ! dit l’un des charretiers ; c’est lui qui chaussait les chanoines. – Il pue la poix et mange du fil gros, ajouta le tisserand. – Si vous ne vous taisez pas, s’écria alors la jeune bohémienne, nous ne saurons pas ce qu’on veut de nous. – Rachel a raison, dirent les autres femmes. Écoutons les anciens. Le marchand de beurre se releva à ce bourdonnement, qui lui promettait quelques moments de bienveillance. – Citoyens, reprit-il, nous voulons tous le pur Évangile ; or, vous n’ignorez pas qu’un homme dont, les premiers, nous avons révéré l’amplitude et l’éloquence, nous prêche maintenant qu’il ne faut plus baptiser les enfants ; que le baptême des enfants est une abomination devant Dieu ; que le baptême qui nous a été donné est nul… – C’est vrai, et c’est singulier, grommelait l’assistance. – Ainsi, poursuivit le président, nous devrions tous nous faire rebaptiser… – En voilà une bonne ! cria le boucher. – Et ceux qui, n’ayant reçu que le baptême des enfants, se trouvent mariés, peuvent rompre leur mariage, attendu qu’il est nul… Des murmures confus éclatèrent de toutes parts en sens divers. – Il l’a prêché ; il a fait plus, il a imprimé cette doctrine. Il dit encore que la femme doit appeler son mari monseigneur ! Les femmes poussèrent des huées. Les hommes applaudirent. – Il veut aussi que nous cessions de célébrer le dimanche ; mais que nous fêtions le samedi. – Ah ! nous redeviendrions juifs ! hurla la marchande d’écrevisses. À bas l’orateur ! – Mais, cria vivement Rachel, le samedi est d’institution divine. Au sabbat, ce sont les hommes qui ont substitué le dimanche. – La petite a raison, dirent les autres femmes. Elles admiraient dans Rachel un oracle. Deux autres voyantes, qui prophétisaient et faisaient de la théologie, Gritte Modersohn et Hilla Phey, furent consultées ; elles décidèrent comme Rachel. – Il établit ensuite, reprit le président, que nul n’est tenu d’obéir aux magistrats. – Bon ! très bon ! vive Rothmann ! exclamèrent en nombre les assistants. – Mais si on n’obéit plus aux magistrats, dit un sénateur, tout devient désordre et nous ne sommes plus un peuple. – Bien répondu ! crièrent doucement quelques, bourgeois, dont la raison n’avait pas encore naufragé complètement ; et d’une voix peu assurée ils se hasardèrent à crier : – À bas les tapageurs ! En ce moment, la tête d’une immense cohue ; qui bousculait tout devant elle, pénétra dans la salle. C’étaient les forgerons et les armuriers. Leur chef, sans autre forme, sinon qu’il descendit de son épaule et posa à terre son grand marteau, car ils étaient tous armés de leurs outils, braqua ses yeux sur les yeux du président et lui dit d’une voix rude : – Vous allez nous rendre notre compagnon, qui n’a pas fait de mal. Et il frappa le sol de son arme pesante. Le président troublé ne répondant pas, un autre sénateur prit la parole : – Vous voyez, citoyens, dit-il, l’effet de cet axiome qu’on n’est pas tenu d’obéir aux magistrats. C’est déjà la révolte. – Mais, cria un charpentier, n’êtes-vous pas révoltés aussi ?… – Le forgeron qu’on réclame, poursuivit le sénateur, est un séditieux. Il a maltraité Fabricius, l’envoyé du landgrave, notre allié. Il corrompt la parole de Dieu. Il a mérité d’être puni ; il le sera. – Il ne le sera pas, ripostèrent les forgerons avec quelques jurements. Fabricius a eu ce qu’il méritait. Vous allez nous rendre notre compagnon. – Vous interrompez la séance, dit alors le président, qui commençait à reprendre ses esprits. On décidera votre affaire demain. – Point de demain, répondit le chef des forgerons, d’un ton résolu. Une fois, deux fois ; vous allez nous le rendre ; ou bien, ajouta-t-il avec un geste v*****t, nous le reprendrons nous-mêmes. – Faites attention, sénateurs, insinua doucement Hermann Tilbeck, l’un des consuls ou échevins de la ville, que ces gens ont tout ce qu’il faut pour ouvrir les portes. Prévenez un évènement qui compromettrait l’autorité. Le président du sénat comprit. Il se baissa sur le bureau, écrivit un ordre, et le donnant à l’orateur des forgerons : – Par égard pour une utile corporation comme la vôtre, dit-il, nous voulons bien pardonner les emportements de votre compagnon. Voici la levée de son écrou. Allez, citoyens paisibles, le mettre en liberté, et recommandez-lui la circonspection et le calme. Les forgerons poussèrent en l’honneur du sénat des hourras qui firent trembler la salle, et sortirent avec fracas. Peu d’instants après, dans un vaste cabaret, ils régalaient leur camarade en liberté, et l’engageaient à préparer de nouveaux sermons. Le sénat débarrassé se reprit comme il put ; et, voulant poursuivre son instruction contre Rothmann, le président récapitula ce qu’il avait dit et ajouta : – De plus, l’homme qui nous trouble veut bouleverser ici la propriété et les droits acquis. Il exige que tout soit en commun parmi nous, comme au temps des apôtres. À ces mots, tous ceux de l’assemblée qui ne possédaient rien trépignèrent ; leurs cris de Vive Rothmann ! ne furent pas moins éclatants que les hourras des forgerons. Mais les notables bourgeois et les honnêtes artisans se trouvaient là en majorité. Le sénat se vit soutenu. Le président, s’armant donc de fermeté, lut contre Rothmann et quelques-uns de ses adhérents une sentence d’exil. Elle fut écoutée en silence. Mais des grondements sourds se firent entendre bientôt. Tilbeck, le consul, prit la parole : – La peine est sévère, dit-il. L’excellent messire Rothmann a été mal compris. Ce partage des biens qui étonne notre avarice, il ne l’établit que comme conseil ; il ne le pose pas comme précepte. – Sa doctrine est formelle, répliqua un riche sénateur ; la voici imprimée. – Il a pu s’être trompé et mériter une réprimande. Mais, ajouta Tilbeck en élevant la voix, nous serions des ingrats de consentir pour cela à son exil. – À bas la sentence ! cria la foule en s’agitant. Knipperdoling alors tira son épée. Tous ses partisans l’imitèrent. Le but de ce mouvement convenu était, d’une part, d’intimider le sénat ; de l’autre, d’imposer au peuple. Mais le peuple criait : – À bas le sénat ! Et quelques mains lestes s’étant emparées de l’arrêt le déchiraient en pièces ; après quoi il fut foulé aux pieds. Le sénat, s’effrayant d’une telle scène, se prit de peur, leva le siège en désordre, se réfugia dans la salle du conseil et, sous l’effroi que ce tumulte faisait croître, s’y barricada. Cette panique donna à la foule des idées qu’elle n’avait peut-être pas préméditées. Elle se renforça de la faiblesse des sénateurs, se rua contre les portes de leur refuge et les assiégea. C’est ainsi que le chien court bravement après le chat qui se sauve. Les pauvres magistrats un moment ne furent défendus que par les catholiques qu’ils opprimaient, et à la tête desquels se trouvait Herman Ramers. Knipperdoling vint assez vite à son aide ; car il ne voulait pas encore abattre le sénat. Mais, malgré leurs efforts, la foule turbulente eût pu commettre quelques excès, si une sorte de géant n’eût paru tout à coup, traversant la place et accourant sur son grand cheval ; c’était Bernard Buxtorf. Il mit vivement pied à terre, courut à Knipperdoling, et se campant à côté de lui il cria : – Hors d’ici les oppresseurs ! Le sénat est sous notre sauvegarde. Sa voix puissante et la conscience qu’on avait de sa force inouïe, qui le rendait l’homme le plus redouté de Munster, calma sur-le-champ l’effervescence. Et quand on l’eût instruit en peu de mots de ce qui se passait : – Compagnons, reprit-il, c’est donc ainsi que vous risquez tout ! Sachez que nous avons besoin de notre sénat, et que ceux qui l’insulteront sans ma permission passeront par mes mains. J’arrive d’Amsterdam ; tout va bien ; la grande ville fraternise avec nous ; elle demande que nous lui députions quelques-uns de nos apôtres… – Moyen de nous débarrasser de ceux qui nous gênent, dit tout bas Knipperdoling. – Elle va nous envoyer des ambassadeurs et des troupes ; et c’est dans ce moment que nous nous mangeons nous-mêmes !… À bas les oppresseurs ! – Vive le géant ! cria la foule. – Notre cause est gagnée, reprit Buxtorf, et je vous annonce, peuple de Munster, une grande nouvelle. On a vu le Juif-Errant. – Vous savez qu’il ne passe jamais sans présager quelque heureuse révolution. On l’a vu à Ulrecht ; il se dirigeait vers nos contrées. Le présage est pour nous. – On a vu le Juif-Errant ! dirent les femmes. – Si on a vu le Juif-Errant, ajouta le tripier, c’est un fier signe. La chose ira toute seule. Mille conversations bourdonnantes et animées s’entamèrent sur un si curieux sujet. Bernard Buxtorf et Knipperdoling profitèrent de la diversion : pour rassurer les sénateurs, qui rentrèrent alors en séance. On leur fit comprendre que, vu les manifestations populaires, il était prudent de supprimer la sentence d’exil. – Mais, ajouta Knipperdoling, si vous voulez pourtant faire peser un peu votre puissance sur Rothmann, vous avez un autre moyen de le punir : ôtez-lui sa chaire. – Nous ne demandons en effet que son silence dit un sénateur. – Faites donc ainsi, dit Bernard Buxtorf ; et nous saurons maintenir votre arrêt. – À la bonne heure ! répondit avec une certaine dignité le président du sénat ; car nous ne pouvons faire grâce. Mais si on ne bannit pas Rothmann, ne pourrait-on exiler un peu Rollins et quelques autres ? – Nous nous chargeons, sous peu de jours, de vous en délivrer. – Soit ! je me fie à votre promesse. Et le chef du premier corps de l’État, ayant pris les avis de ses collègues, déclara qu’en raison de l’attachement que le bon peuple de Munster témoignait pour messire Rothmann, on voulait bien excuser à demi les excès de sa parole, dans l’espoir qu’il rentrerait au giron du pur Évangile ; mais que, pour juste châtiment de ses témérités, on lui interdisait toutefois les chaires de la ville. Quelques vieilles femmes firent des huées, en menaçant les sénateurs de leurs quenouilles, de leurs ciseaux et de leurs aiguilles à tricoter. Mais la masse s’occupant de l’apparition du Juif-Errant, on se moqua d’elles. L’assemblée se dispersa pour dîner ; les dignes magistrats regagnèrent leur logis, dans une sécurité qu’ils avaient crue un moment très exposée. Quand Bernard Buxtorf et Knipperdoling se retrouvèrent seuls : – Eh bien ! dit le second, les vraies nouvelles ? – Les vraies nouvelles sont qu’en effet nous avons dans Amsterdam quelques amis qui demandent des apôtres de la doctrine de Rothmann. Nous leur enverrons nos exaltés. – Et Jean de Leyde ? – Isaac, que j’ai rencontré, m’a solennellement promis sa prochaine arrivée. Le Juif se dirigeait sur Harlem. – Il nous ramènera Divarre. – Parmi les mille récits qu’on fait de nous par le monde, on contait à Amsterdam que Knipperdoling était devenu ici chef de justice, et que Mathys allait être roi. Je lui ai annoncé ces nouvelles. – Il a dû en être charmé, car il ne rêve que le rétablissement du règne de Salomon. C’est un vieil enfant d’Israël qui, je pense, est au moins sorcier. Il échappe merveilleusement à tous périls et ne recule devant aucune terreur. Mais ces bruits de grandeurs pour nous sont bons à répandre. Ils nous préparent la voie.
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