V

522 Words
VPeu rassuré par cette rencontre, et ne pouvant d’ailleurs demeurer là toute sa vie, mon cousin se décida à quitter la cime de son diamant. Il mit plusieurs heures à le descendre, quoiqu’il marchât très vite. La nuit ne le surprit pas en route, car le jour dure six mois pour chaque moitié de la Lune ; et, pendant ce temps, au lieu de se lever d’un côté et de se coucher de l’autre, le soleil tourne continuellement autour de l’horizon. Laroutine rencontra plusieurs ruisseaux qui tombaient en cascades des flancs de son diamant. Il goûta de l’un : c’était d’excellent lait ; il goûta de l’autre : c’était de la limonade ; il goûta d’un troisième : c’était de l’orgeat. Mon cousin fit une grimace de possédé, car tout cela lui parut délicieux. Enfin, non loin d’une fontaine d’eau sucrée, ombragée de framboisiers et de fraisiers de trente pieds de haut, il remarqua, sur les émeraudes qui en tapissaient les bords au lieu de sable, une centaine de jolies grenouilles, divisées par petits groupes, et qui paraissaient diversement occupées. Les unes se promenaient et conversaient aussi gravement entre elles que des diplomates qui parlent chorégraphie. Les autres coassaient un duo, entremêlé de chœurs, avec autant de justesse que des chanteuses d’opéra. Celles-ci jouaient à la patte chaude, au collin-maillard, à cache-cache, aux quatre-coins, au cheval-fondu aux barres, à une foule d’autres jeux innocents. Celles-là valsaient ou dansaient, avec force entrechats. La musique était composée d’une demi-douzaine de cricris et de cigales, qui paraissaient être les virtuoses de l’espèce. Les débris d’un copieux festin, tels que framboises, fraises, petites mouches, petits insectes de toute sorte, étaient encore gisants, et témoignaient que la compagnie n’était point à jeun. Autant qu’il en put juger par l’ensemble de ces circonstances, mon cousin pensa que cette société amphibie était composée de deux familles qui célébraient les noces d’une jolie grenouillette. Le maintien réservé de celle-ci, ses yeux timidement baissés, son air candide, les hommages délicats dont on l’entourait, tout donnait de la vraisemblance à cette chimère. Les manières de ses compagnes étaient d’ailleurs du dernier bon goût, et n’auraient point été déplacées dans les plus élégants salons de Paris. Aucune d’elles ne jurait ni ne fumait. Mais Laroutine n’était pas à bout de surprises. La première chose qu’il rencontra dans la plaine, au bas de son diamant, ce fut une carrière dont les alentours étaient couverts d’immenses blocs de sucre naturellement raffiné. Il aperçut ensuite, dans un taillis de citronniers, une meute de lièvres qui couraient à la piste d’un énorme bouledogue. Il aperçut enfin, dans une prairie située à l’opposite, un troupeau de loups, de tigres, de lions, de panthères et de rhinocéros. Un gros mouton, accroupi près du berger, veillait à la conduite de ce singulier troupeau, et courait çà et là, de temps en temps, pour ramener dans la bonne voie quelque tigre échappé, ou telle autre de ses ouailles, en pinçant à belles dents les pattes du réfractaire. Laroutine crut aussi voir, un peu plus loin, une b***e de renards que conduisait une poule. Toutefois il m’a confessé vingt fois qu’il n’oserait lever la main en justice touchant la réalité de ce dernier fait. Le trouble toujours croissant où le jetaient tant de nouveautés supercoquentieuses, a pu le rendre dupe d’une illusion. Cette réserve fait le plus grand honneur à sa franchise, et témoigne hautement de sa véracité sur tout le reste.
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