IV

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IVSUITE DE LA SUITE À LA SUITE DE L’HISTOIRE FANTASTIQUE DE MON COUSIN LAROUTINE. ET DE SON GRAND VOYAGE AU FIN FOND DE LA LUNE. « Or donc, » dit le Parisien, nous avons laissé mon cousin Laroutine sur la cime du gros diamant où le déposa son ballon, après quinze heures trente-cinq minutes d’ascension de Paris à la Lune. Mon cousin jeta les yeux autour de lui, du haut de ce magnifique bijou, qui était trois fois plus haut que les plus hautes montagnes de la Terre. Un instant lui suffit pour se convaincre que ce nouveau séjour ne ressemblait nullement à celui qu’il venait de quitter. Les formes, les goûts, les odeurs, les nuances, tout était différent. Il trouva tout stupide. D’abord et d’une, le soleil de la Lune lui parut être d’un violet tendre, ni plus ni moins que s’il l’eût regardé à travers des lunettes de cette couleur. La grandissime campagne qui s’étalait devant ses yeux, lui parut aussi fort cocasse. Il y vit deux rivières, dont l’une ressemblait à du rhum et l’autre à du cassis. Il y vit une foule de villages qui resplendissaient comme s’ils eussent été bâtis avec des perles, et recouverts de larges émeraudes en guise de tuiles. Il y vit des forêts de citronniers, dont chaque arbre était dix fois plus grand que nos peupliers, et dont les fruits étaient gros comme de grosses barriques. Les arbres qu’il aperçut, près de lui, sur la cime de son diamant, et qui en couvraient tous les alentours, lui semblèrent également des plus originaux. Ils n’avaient guère que cent pieds de hauteur. C’étaient, pour ainsi dire, les broussailles de l’endroit. Leur petitesse tenait sans doute à ce que le diamant n’est pas un aussi bon terrain que l’or mêlé de rubis qui formait le sol de la plaine. Il y en avait du reste de toutes les nuances : les uns étaient gris, les autres jaunes, ceux-ci amarante, ceux-là coquelicot. C’était un coup d’œil enchanteur. Mon cousin tendit la main vers le plus proche, et cueillit un de ses fruits. C’était une prune, ou plutôt un pruneau, car certains fruits poussent naturellement cuits dans la Lune. Mon cousin le porta à sa bouche, par la force de l’habitude, puis le rejeta avec horreur. Il n’avait jamais rien mangé d’aussi succulent, mais c’était du nouveau. Le geste qu’il fit alors éveilla l’attention d’une foule de petits oiseaux qui dormaient dans le feuillage de ce prunier. Il y en avait de toutes sortes : de petits aigles, de petits vautours, de petits éperviers ; tous, pas plus gros que le pouce, et gentils à croquer vifs, tant leur plumage était flatteur. Ces petites bêtes ne l’eurent pas plus tôt aperçu qu’elles vinrent s’abattre familièrement sur ses épaules, sur sa tête, sur ses mains, et le béquetèrent avec amitié. Un seul petit corbeau demeura tranquillement sur son arbre, où il se mit à gazouiller infiniment mieux que nos rossignols d’ici-bas. Malheureusement un énorme canari, dont les ailes avaient au moins cinquante pieds d’envergure, vint à paraître dans les airs. La vue de ce canari de proie effraya les aigles, les éperviers et les vautours, qui se sauvèrent dans le feuillage. Le jeune corbeau cessa ses mélodieux croassements. L’hébétement de mon cousin augmenta encore lorsque, s’étant senti piquer à la joue, il y porta vivement la main, et en retira un petit éléphant de la grosseur à peine d’une fourmi de nos climats. C’était cet éléphant, parfaitement conformé du reste, qui s’amusait à le picoter avec sa trompe, et à prendre sur lui sa nourriture. Mon cousin l’écrasa de colère entre ses deux pouces. Mais il n’était pas quitte de l’espèce ! Il regarda, et se vit tout couvert d’autres petits éléphants semblables, qui avaient formé une traînée depuis le collet de son habit jusqu’au pied du prunier où ces intéressants insectes avaient placé leur nid. « – Mais, mon Dieu ! où suis-je donc ? » s’écria-t-il ; « où suis-je ? où suis-je ? où suis-je ? Ça ne s’est jamais vu. » « La peur le talonna bien plus encore lorsqu’il entendit une espèce de froufrou dans les airs, et que deux grandes ombres rasèrent vivement le sol, en même temps que ce colloque parvenait à son oreille. » « – Vois donc, ma femme, quel bizarre animal, là-bas, sur ce rocher ! Qu’est-ce donc que cela peut être ? » « – Je ne sais, mon ami, » répondit une voix plus flûtée que l’autre, mais qui cependant eût suffi à briser toutes les vitres d’une de nos maisons. « – Ma foi ! » reprit la première, « je suis vraiment fâché de n’avoir pas sur moi ma paire de canons de poche : je l’aurais volontiers abattu, pour en faire présent au cabinet d’histoire naturelle de Krrrrstvlmpfbchqdngzx. » (NOTA. Ce dernier mot, qui est le nom de la capitale de la Lune, ne peut pas se prononcer dans notre langue, par la raison qu’il n’est composé que de consonnes ; mais c’est un des plus harmonieux qui se puissent imaginer.) « – Ce serait, en effet, un véritable cadeau à lui faire, après l’avoir empaillé, » repartit la seconde voix ; « car c’est un animal bien curieux ! Et d’abord ça ne s’est jamais vu. » Ici mon cousin Laroutine n’entendit plus rien. Il leva les yeux pour voir d’où partait cette conversation étrange, mais il n’aperçut que deux énormes masses qui s’envolaient avec une incroyable rapidité, là-bas, là-bas, par-dessus la plaine. Quoique leurs paroles ne fussent qu’une espèce de patois, relativement au français, il en avait suffisamment compris le sens, et se doutait bien que la menace s’adressait à lui.
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