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654 Words
ILes excursions que mon cousin fit par la ville le mirent à même d’étudier plus intimement encore la civilisation de notre planète. La ville de Krrrrrrstvlmfbchqdngzx est certainement une des plus magnifiques cités de l’univers. Elle a cent lieues de circonférence, car chaque édifice n’a qu’un étage. Les Lunatiques pensent qu’il serait stupide de s’empiler les uns sur les autres comme des bûches de bois dans un chantier. Les maisons sont spacieuses, parfaitement aérées et d’une excessive propreté. Elles sont construites en porcelaine, en porphyre, en marbre diapré, et même en pierres précieuses de différentes espèces. Les balcons, les serrures, les gonds, les marteaux et les toits sont en or. Tout cela produit au soleil le plus éblouissant coup d’œil. On croit voir une immense escarboucle qui étincelle de mille couleurs. Les rues sont droites et spacieuses ; elles sont garnies, pour les piétons, de trottoirs en nacre de perle, aussi larges que la chaussée, pavée de rubis, qui est réservée aux voitures et aux cavaliers. Elles sont ornées à chaque pas de bornes-fontaines d’où s’échappent naturellement des flots de ratafia, d’eau-de-vie, de punch et d’huile de rose. Elles sont éclairées la nuit par de gros vers luisants, placés dans des lanternes d’or de distance en distance, et qui jettent bien plus d’éclat que nos ténébreux réverbères. Le ver luisant est le seul éclairage que l’on connaisse dans la Lune. C’est pareillement de vers luisants qu’on se sert dans l’intérieur des maisons, au lieu de nos huiles fumeuses et de nos suifs nauséabonds. Enfin, les boutiques sont élégantes comme les nôtres, avec cette différence que le dehors n’en vaut pas cent fois plus que le dedans. Les librairies ont surtout cela de remarquable, que ce n’est pas du papier blanc qu’on y vend sous prétexte de livres. Les livres lunatiques sont remplis de matières, et n’ont de marge que le strict nécessaire. Une autre particularité qui distingue toutes ces boutiques, c’est que les marchands ne surfont jamais d’un centime, et se contentent de cent pour cent de bénéfice. Tout cela étonna beaucoup mon cousin. Pour comble d’agrément et de salubrité, chaque quartier de la ville est orné d’une promenade entourée de grilles d’or, avec des fleurs, de la verdure et des fontaines de jus divers, où chaque voisin est toujours sûr de trouver du bon air, du frais, de l’ombre, et un verre de coco gratis. Elles sont plantées de choux séculaires, d’allées de betteraves et de bosquets de chardons. L’immense feuillage de ces végétaux, qui sont les plus grands arbres du pays, produit un effet imposant dont le parc même de Versailles ne pourrait vous donner l’idée. Ces promenades, vraiment publiques, ne sont jamais fermées au public, comme le sont si souvent les nôtres, qui n’ont guère de public que leurs dépenses d’entretien. La population de cette cité présentait à mon cousin le spectacle d’une immense ruche d’abeilles. Tout s’y mouvait avec ordre, avec activité. Point de flâneurs, point de vagabonds, point de mendiants. Tout y respirait le travail, l’aisance, le contentement, la liberté, l’égalité, la fraternité, l’hilarité. Les passants évitaient de se coudoyer, se rendaient avec empressement les petits services qu’exigeait la circonstance, et, chose admirable ! on n’entendait pas une seule dispute, on ne voyait pas une seule batterie. Ce qui édifia surtout mon cousin, ce fut la politesse avec laquelle cavaliers et cochers conduisaient leurs sauterelles. Des lois très sévères répriment là-haut ces lâches et atroces brutalités dont tant de butors se rendent coupables ici-bas envers les animaux. Ces brutalités sont toujours l’indice d’un mauvais cœur. Quand on est barbare avec les bêtes, on est bien près de l’être avec les hommes. Mon cousin aperçut pareillement en l’air des fiacres, des coucous, des diligences, des malles-postes, des omnibus, que des ballons soutenaient dans l’espace, et que traînaient et dirigeaient de grosses fourmis ailées. Les fiacres marchaient avec une incroyable vitesse ; les coucous étaient propres ; les diligences ne versaient pas ; les malles-postes n’écrasaient personne ; les omnibus étaient vastes et commodes. On pouvait y tenir deux cents personnes à l’aise. Il y avait, dans l’intérieur, des salles de billard, des restaurants, des cafés, des salons de lecture. Enfin, on y voyait d’autres omnibus, de petite dimension, pour conduire chaque voyageur depuis l’entrée jusqu’à la place qu’il choisissait. En voilà, du progrès !
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