V

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VOr donc, que faisait pendant ce temps l’Académie des sciences ? L’Académie des sciences ne faisait rien du tout, pensant que c’était là ce qu’elle avait de mieux à faire. Elle avait entendu le rapport de son rapporteur, et s’était mise à en discuter gravement les conclusions. Ces conclusions, comme d’habitude, ne concluaient d’aucune façon. Il y eut des orateurs pour. Il y en eut contre. Il y en eut sur. Il y en eut aussi à côté. Ce fut même le plus grand nombre. Quoiqu’ils eussent vu de leurs propres yeux le monstre dont il était question, les uns prétendirent que ce monstre n’existait pas réellement, parce que son existence était contraire à tout ce qu’on avait vu jusqu’alors. Quoiqu’ils ne l’eussent pas vu, les autres prétendirent, en revanche, qu’il leur suffisait, pour y croire, que les premiers n’y crussent pas. Enfin, qu’ils l’eussent vu ou non, les plus modérés prétendirent qu’il n’était pas impossible que ce fût possible, mais qu’il était possible que ce fût impossible ; et que, par conséquent, jusqu’à ce qu’on eût fait valoir pour ou contre, non pas des preuves matérielles, ce qui n’a aucune valeur en bonne philosophie, mais un syllogisme, un dilemme, un argument quelconque, ils resteraient sagement dans le doute, c’est-à-dire s’abstiendraient de croire, sans toutefois ne pas croire. Ces différents orateurs alléguèrent de si éloquentes raisons en faveur de leurs différentes thèses, qu’après avoir entendu chacun d’eux, on ne pouvait s’empêcher de penser comme lui, alors même qu’il ne pensait d’aucune manière. Il y en eut aussi quelques-uns qui ne prirent point part à ces intéressants débats : ils dormirent pendant toute leur durée, et même encore longtemps après C’est ainsi que les choses se passent ordinairement dans les assemblées délibérantes de la Lune. Enfin, après plusieurs jours de lumineuses discussions, les doctes académiciens s’aperçurent qu’à force de s’expliquer sur le point en litige, ils arrivaient à n’y plus rien comprendre. Ils allèrent aux voix, et, chose singulière ! ceux qui avaient parlé pour votèrent contre, tandis que ceux qui avaient parlé contre votèrent pour. Quant à ceux qui s’étaient montrés les plus ardents, ils ne votèrent d’aucune façon. Le résultat de tout ce grabuge fut la nomination d’une commission d’enquête qui se transporterait à la ménagerie, vérifierait le fait, déterminerait la nature du monstre, et prescrirait le régime le plus propre à le maintenir en bonne santé. Car c’est encore une des manies des Lunatiques, que de nommer des commissions à tout propos : Commission pour faire ceci. Commission pour voir si la première a fait cela. Commission pour voir si la seconde a vu ce qu’a fait la première. Commission pour vérifier si la première a montré à la seconde ce qu’est chargée d’examiner la troisième. Ainsi de suite. C’est par là, du reste, que les académiciens eussent dû commencer ; mais on ne pense jamais à tout, et particulièrement à l’essentiel. Les académiciens qui composaient la commission n° 1, se transportèrent dans la cage où mon cousin Laroutine continuait d’avoir une faimvalle d’autruche, malgré les friandises qu’il y grapillait de l’un et de l’autre. Ces savants décidèrent : Que son espèce leur était tout à fait inconnue ; Qu’il était vivipare, à moins qu’il ne fût ovipare ; Qu’il était vertébré, si toutefois il n’était pas invertébré ; Et qu’il était carnivore, ou herbivore, pourvu cependant qu’il ne fût point l’un et l’autre. Ils déclarèrent aussi que ses habits faisaient partie de son corps, que c’était une espèce de peau dont la nature l’avait orné, et que l’épée, qui lui pendait au côté, était un aiguillon dont elle l’avait armé, à l’instar des aspics et des guêpes. Ils déclarèrent, en outre, qu’il était fort méchant, puisqu’il s’était défendu contre la puce sauvage qui l’avait attaqué. Ils recommandèrent, en conséquence, d’avoir pour lui tous les égards qu’on doit aux bêtes féroces. Quant à sa nourriture, ils jugèrent à propos de suspendre toute décision sur ce point secondaire, jusqu’à ce que l’Académie eût décidé s’il convenait mieux de garder l’animal vivant, que de le disséquer dans l’intérêt de la science, et de suspendre son squelette à la voûte de leur palais. Ils se bornèrent à lui faire donner provisoirement une botte d’orties crues, quelques grosses pattes de mouches, et un baquet de vinaigre pour boisson. Ils se retirèrent ensuite, fort satisfaits d’eux-mêmes et des progrès de la science.
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