IVCependant mon cousin étudia de plus près l’intéressante population lunesque. Aux observations qu’il avait déjà faites, il put ajouter les suivantes :
Les Lunatiques avaient généralement les cheveux bleus, les yeux rouges, la peau verte, les lèvres violettes et les dents d’un beau noir d’ébène. Plus leur teint était vert, leurs yeux rouges et leurs dents noires, plus ils se croyaient beaux.
Une autre condition de la beauté selon leurs goûts, c’était d’avoir de longues oreilles à la façon de nos baudets, une bouche d’un demi-pied et le nez en trompette. Ceux qui étaient doués de ces avantages naturels en paraissaient extrêmement fiers, et se pavanaient avec cette prétention qui n’est pas moins ridicule en haut qu’en bas.
La longueur, le poli et le brillant des griffes, qui ornaient leurs pieds et leurs mains au lieu d’ongles, étaient aussi des qualités très appréciées, surtout chez les personnes de distinction. Cela prouvait leur fainéantise, et, chose bizarre, il n’y a pas d’apparence plus recherchée dans la Lune, que celle d’une parfaite inutilité. On y est extrêmement flatté de ne servir absolument à rien.
Tout le reste de leur individu était couvert d’un manteau, dont les plis dessinaient gracieusement la taille, sans gêner les mouvements du corps. Ce costume est bien préférable au nôtre, qui est si gênant, si disgracieux. Leur coiffure offrait le même avantage. Ils n’avaient point de coiffure. Le chapelier est inconnu chez eux, et le marchand de casquettes y passerait pour une chimère. La nature les a pourvus de cheveux longs, soyeux, épais, dont ils n’ont pas la sottise de cacher les boucles onduleuses, sous de difformes coiffes ou de hideux bonnets de coton.
Enfin, outre des jambes aussi lestes que solides, la nature leur a donné des ailes qui se diaprent au soleil des plus brillantes couleurs. Mon cousin les voyait avec surprise, tantôt se promener autour de lui, à pied, tantôt s’élever dans les airs, le parasol à la main, comme ces groupes d’oiseaux qui voltigent librement au-dessus de la cage où gémit un camarade captif.
Ajoutez, pour comble d’agrément, que les Lunatiques avaient la tête carrée, le corps carré, les jambes carrées, les bras carrés, tout carré. Pourquoi pas ? Supprimez l’habitude : en quoi le rond sera-t-il préférable au carré ?
On est généralement injuste envers le carré.
Les animaux de l’endroit n’étonnaient pas moins mon cousin. Il voyait de jolis petits rhinocéros courir à travers tout ce monde, comme les chiens de nos contrées ; de jolis petits dromadaires, que les dames portaient sous le bras en guise de roquets ; de jolis petits chameaux, pas plus grands que nos carlins, qui suivaient leurs maîtres à l’attache ; enfin, de jolis petits chevreaux, autre variété de caniches, qui s’en venaient flairer sa cage, et lui bêlaient contre, comme s’ils eussent voulu le mordre. Le chevreau paraît être là-haut un animal des plus hargneux.
Quant au reste de la ménagerie, on y remarquait des volières remplies d’énormes chardonnerets, d’énormes serins, d’énormes rossignols, d’énormes pinsons, d’énormes linottes ; tous oiseaux de proie, au bec crochu desquels il n’eût pas fait bon confier son doigt. Il y avait surtout un dindon à qui sa taille gigantesque, non moins que son air fier et méchant, assignait le premier rang parmi ces volatiles. Le dindon semble être là le roi des airs : c’est le grand aigle, de même que le canard en est l’épervier, et le corbeau le rossignol, comme nous l’avons vu.
La partie occupée par les pluripèdes renfermait des bœufs aussi petits que nos souris, des souris aussi grosses que nos bœufs, des cigales, des papillons, des mouches d’une taille colossale et d’un caractère excessivement féroce. Le public ne les regardait qu’en tremblant. Ces animaux poussaient des rugissements affreux, surtout un hanneton, qu’on appelait le farouche à cause de son humeur sauvage et de ses goûts carnassiers. Il était placé seul au fond d’un large trou. Un grand poteau s’élevait au milieu. Le hanneton grimpait contre, et, malgré la forte chaîne qui l’y retenait, il semblait toujours prêt à s’élancer sur les spectateurs. On n’avait jamais pu l’apprivoiser. Il avait fini par manger tous ses professeurs de civilisation. Les annales de la ménagerie contenaient des histoires fort lamentables à son sujet. C’était triste à entendre raconter par les bonnes qui venaient le voir. Aussi, comme il arrive toujours, on le traitait infiniment mieux que tous les autres animaux présents, c’était le plus aimé, car c’était le moins aimable.
Celui qui habitait la cage voisine de mon cousin n’avait pas non plus l’humeur très philanthropique. C’était une puce de quatre pieds de haut sur cinq de long.
La chair fraîche de mon cousin l’affriandait vivement. Elle fit si bien qu’elle força deux des barreaux qui les séparaient, et que, subito, elle se dressa devant lui, toute prête à l’attaquer.
Attention !
Mon cousin eut heureusement la présence d’esprit de dégainer sa rapière et de se mettre en garde.
C’était la première fois qu’il avait à lutter de cette manière contre des puces.
Il s’en acquitta parfaitement.
La foule prit un vif plaisir à cet horrible duel. Ce fut un magnifique spectacle. Homère n’a rien de plus beau en fait de combats singuliers.
La puce faisait des bonds forfantesques ; elle sautillait autour de mon cousin, s’élançant à droite, à gauche, en avant, en arrière, par en bas, par en haut ; s’accrochant quelquefois aux barreaux de la cage, quelquefois lui passant par-dessus la tête, cherchant toujours le moment favorable de se jeter sur lui pour le dévorer, mais rencontrant toujours la pointe de sa mobile épée.
Bref et d’une, la puce s’élance une dernière fois : mon cousin la frappe ; l’épée glisse d’abord sur l’impénétrable écaille de la bête ; mais mon cousin redouble, et, d’un bras à transpercer une porte-cochère, il la lui plante enfin jusqu’à la garde, dans une de ses jointures. La puce tombe alors, se débat, et rend le dernier soupir aux applaudissements des spectateurs.
Je recommande le fait aux poètes épiques et aux mélodramaturges du Cirque.