ILa discipline avait repris momentanément son empire. Le temps était beau d’ailleurs et la brise favorable. Le radeau glissait légèrement sur une mer paisible, et le capitaine lui imprimait habilement la direction qui, d’après sa boussole, ses cartes marines et ses compas de route, le conduisait probablement vers la côte d’Afrique.
Mais deux cents lieues au moins séparaient les naufragés de cette terre si ardemment désirée ; mille dangers les entouraient ; les privations de toutes sortes, déjà presque insupportables, les menaçaient plus cruellement encore dans un avenir prochain ; tant de funestes circonstances entretenaient naturellement, dans l’âme de ces infortunés, les plus sinistres craintes.
Ce fut pour les en distraire que le Parisien eut de nouveau recours au puissant dérivatif de ses contes. Son esprit naturel, le long séjour qu’il avait fait à Paris, la demi-éducation qu’il y avait reçue, son imagination, sa verve comique, tout le rendait éminemment propre à triompher des plus sombres mélancolies.
La scène et le but donnaient à ce rôle, peu grave en apparence, quelque chose de digne et même de touchant. Le Parisien souffrait intérieurement, autant et plus, peut-être, qu’aucun de ses camarades ; mais ce brave marin sentait que le moment était venu d’avoir de la gaîté pour tous, car la gaîté, en pareil cas, c’est encore du courage.
Le lendemain de la déplorable révolte que nous avons décrite, il les appela donc, comme aux plus beaux jours de leur voyage ; il s’assit au milieu d’eux, et reprit en ces termes sa burlesque et philosophique narration :