12 Avril,
Cher journal,
Il fait aube, il fait beau. J'ai été réveillé par les chants des coqs et comme tu peux le constater, c'est la première fois que je t'écris au petit matin.
Enfin, j'ai de l'espace et de l'intimité.
Enfin, je suis à un endroit où je me sens à la maison. Un endroit où, je ne crains pas que quelqu'un viendra me gifler en me criant dessus, me rappelant que je rêvasse trop. Un endroit où je n'ai même normalement plus besoin de rêvasser pour m'échapper d'une quelconque réalité.
Je viens de passer ma première nuit dans le village de la famille de maman.
Tout le monde m'attendait devant la maison et lorsque je suis descendu du véhicule, ils ont sauté sur moi. Papa n'a même pas osé dire bonjour. Il s'en est allé, à peine mes pieds étaient sur la terre rouge qui avait vu les yeux de maman s'ouvrir, ainsi que ceux de mes ancêtres.
Mamie et papi ne cessaient de pleurer en me frottant les joues et en me prenant dans leurs bras, comme s'ils revoyaient leur fille. Je ne pouvais me retenir de fondre en larmes moi aussi. Dans leurs cris, je pouvais entendre la mélancolie dû aux souvenirs. Ils repensaient surement à l'époque où les rides n'avaient pas encore écrit autant sur leurs peaux. Une époque bien loin de s'imaginer qu'ils perdraient bientôt leur enfant.
Puis… je ressentais le cœur de maman battre en chœur avec le mien. Après tout, ne suis-je pas née de ses entrailles ?
Mon âme hurlait sans cesse sur l'image d'elle que je revoyais. Je lui disais maman, pourquoi lui, pourquoi lui ? Parlant de papa, un homme qui avait échoué à l'aimer.
Ensuite, la main ferme d'un homme me sépara de mes grands-parents. Il se présentait comme étant mon oncle, Charles. C'est l'ainé de maman qui avait préféré rester au village et y investir.
La maison familiale est grande. Plus grande que ce que je ne pensais. Apparemment, c'est maman et tonton Charles qui ont étendu les terres de grand-père afin que les futures générations trouvent un endroit pour se rassembler de temps à autre, au milieu de cette folie mondaine.
Oncle Charles vit avec ses deux enfants et sa femme ici, tandis que la petite sœur de maman, tante Virginie et le dernier du ventre de grand-mère, tonton Claude, viennent passer chaque vacance avec leurs enfants et époux.
Pendant que mes grands-parents me racontaient tout cela, mes yeux étaient baissés. Alors, ils m’ont demandé ce qui se passait et j’ai répondu à mes grands-parents que je voulais venir vivre avec eux. Je leur ai avoué que, les murs de chez papa étaient semblables aux barrières d'une prison dans laquelle mes émotions n'ont pas le droit d'être exprimées. Je ne peux que m'y taire, je ne peux qu'y survivre.
Ils m'ont regardé de haut en bas, réalisant maintenant, par mon corps chétif et mes tresses au fil toute vieille, la réalité que j'endurais.
Hélas, ni mes grands-parents ni mon oncle ne peut faire quoi que ce soit à ma situation.
Ils m'ont d'ailleurs rappelé que papa n'accepterait jamais qu'ils me prennent.
Et on le sait tous que son refus ne serait pas par amour, mais plutôt par orgueil. L'orgueil que les gens voient son échec. L'orgueil que les gens soupçonnent que sans sa défunte femme, il n'arrive à rien.
Cher journal, préfère-t-il donc me garder comme tel ? Prisonnière et esclave d'une destinée qui n'est pas mienne ?
Après ce rappel de mes grands-parents, je me suis mise sans m'en rendre compte à rêvasser. Mais je te promets, ce n'était pas long.
Je m’imaginais juste être née quelque part en Europe ou en Amérique. Un endroit, où, une personne verrait justement des parents qui sont dans l’incapacité d’élever leur enfant. Un endroit, où, une personne pourrait ordonner que je sois légalement retiré de leurs mains.
Mais je me demande, un enfant ne souffrira-t-il pas plus loin de ses parents ?
Réponds-moi, cher journal.
Toi qui fus arraché à ta première famille, comment te sens-tu près de moi , loin d'eux ?
J'en viens à me dire à la fin que peu importe… peut-être, il vaut mieux que tu souffres en leur absence que de souffrir en leur présence et de constater qu’ils dénigrent ta peine.
Oui, c'est peut-être mieux de supposer que tu aurais été mieux avec tes parents, que d'être à leurs côtés et de voir qu'ils n’ont rien à faire de ton cœur brisé.
Grand-mère m'a ensuite donné à manger et la femme de tonton Charles a dit qu'une fois que je me serais reposé, on irait au marché acheter de la mèche et qu’elle me ferait des tresses.
J’étais toute contente.
En soirée, j'étais dans la cour avec grand-mère et on discutait. Je lui avouais combien j'avais plusieurs fois été en colère contre maman. Car, j'estimais qu'elle m'avait abandonné.
Grand-mère m’a dit que peut-être si maman avait le choix, elle n’aurait pas choisi cette situation. Cependant, elle m'assura que toute chose arrive pour une raison, et que rien dans ce monde ne devrait nous faire douter de l’amour de Dieu. De ce Dieu-là qui a donné sa vie pour nous.
Je demandais, pensant à mon père, ma belle-mère, mais surtout, à moi.
Comment se sent-il là-haut en voyant qu'une personne pour laquelle il a fait un si grand sacrifice, nourri des émotions aussi négatives ?
> Je murmurais, lorsque mamie me mena dans sa chambre et me fit cadeau de sa bible.
Je me suis endormie en lisant la parole hier.
Aujourd'hui, je sais que… c'est normal d'avoir mal au ventre. Le monde est un ruisseau d'eau sale.
Je me rends compte que s'il n’y avait pas de combat, il n’y aurait pas d’homme humble.
Il nous faut combattre afin d’être transformé. Il nous faut combattre pour réaliser que Dieu nous aime. Il nous faut combattre justement pour voir combien il nous aime (infiniment). Il nous faut combattre pour voir qu’il est grand et qu’il est puissant et qu’il n’y a aucun autre Dieu que Lui.