IVLa preuve que la liberté est l’idéal divin de l’homme, c’est qu’elle
est le premier rêve de la jeunesse, et qu’elle ne s’évanouit dans notre âme que
quand le cœur se flétrit et que l’esprit s’avilit ou se décourage. Il n’y a pas
une âme de vingt ans qui ne soit républicaine. Il n’y a pas un cœur usé qui ne
soit servile.
Combien de fois mon maître et moi n’allâmes-nous pas nous asseoir
sur la colline de la villa Pamphili, d’où l’on voit Rome, ses dômes, ses
ruines, son Tibre qui rampe souillé, silencieux, honteux, sous les arches
coupées du Ponte Rotto, d’où l’on entend le murmure plaintif de ses
fontaines et les pas presque muets de son peuple marchant en silence dans ses
rues désertes ! Combien de fois ne versâmes-nous pas des larmes amères sur le
sort de ce monde livré à toutes les tyrannies, où la philosophie et la liberté
n’avaient semblé vouloir renaître un moment en France et en Italie que pour
être souillées, trahies ou opprimées partout ! Que d’imprécations à voix basse
ne sortaient pas de nos poitrines contre ce tyran de l’esprit humain, contre ce
soldat couronné qui ne s’était retrempé dans la révolution que pour y puiser la
force de la détruire et pour livrer de nouveau les peuples à tous les préjugés
et à toutes les servitudes ! C’est de cette époque que datent pour moi l’amour
de l’émancipation de l’esprit humain et cette haine intellectuelle contre ce
héros du siècle, haine à la fois sentie et raisonnée, que la réflexion et le
temps ne font que justifier, malgré les flatteurs de sa mémoire.