VCe fut sous l’empire de ces impressions que j’étudiai Rome, son
histoire et ses monuments. Je sortais le matin, seul, avant que le mouvement de
la ville pût distraire la pensée du contemplateur. J’emportais sous mon bras
les historiens, les poètes, les descripteurs de Rome. J’allais m’asseoir ou
errer sur les ruines désertes du Forum, du Colisée, de la campagne romaine. Je
regardais, je lisais, je pensais tour à tour. Je faisais de Rome une étude
sérieuse, mais une étude en action. Ce fut mon meilleur cours d’histoire.
L’antiquité, au lieu d’être un ennui, devint pour moi un sentiment. Je ne
suivais dans cette étude d’autre plan que mon penchant. J’allais au hasard, où
mes pas me portaient. Je passais de Rome antique à Rome moderne, du Panthéon au
palais de Léon X, de la maison d’Horace, à Tibur, à la maison de Raphaël.
poètes, peintres, historiens, grands hommes, tout passait confusément devant
moi ; je n’arrêtais un moment que ceux qui m’intéressaient davantage ce
jour-là.
Vers onze heures, je rentrais dans ma petite cellule de la maison du
peintre, pour déjeuner. Je mangeais, sur ma table de travail et tout en lisant,
un morceau de pain et de fromage. Je buvais une tasse de lait ; puis je
travaillais, je notais, j’écrivais jusqu’à l’heure du dîner. La femme et la
fille de mon hôte le préparaient elles-mêmes pour nous. Après le repas, je
repartais pour d’autres courses et je ne rentrais qu’à la nuit close. Quelques
heures de conversation avec la famille du peintre et des lectures prolongées
longtemps dans la nuit achevaient ces paisibles journées. Je ne sentais aucun
besoin de société. Je jouissais même de mon isolement. Rome et mon âme me
suffisaient. Je passai ainsi tout un long hiver, depuis le mois d’octobre
jusqu’au mois d’avril suivant, sans un jour de lassitude ou d’ennui. C’est au
souvenir de ces impressions que dix ans après j’écrivis des vers sur Tibur.