Chapitre 3

1465 Words
– Je pense... Nikolaï fit mine de réfléchir, exacerbant l'anxiété de la jeune femme. – Je pense que je vais me laisser tenter par un de vos objets. Avec votre aide bien évidemment. Le visage jadis angoissé de Sorrow s'illumina soudain d'un large sourire joyeux. – Vous ne le regretterez pas. Veuillez me suivre s'il vous plaît ! Sautillant presque de joie comme une gamine, elle le devança. Pour le moment il était le seul acheteur, mais avec un peu de chance et si elle parvenait à le contenter, peut-être qu'il ferait du bouche à oreille. Et d'ici une semaine, il y aura une fil d'attente kilométrique devant la boutique. "Ne rêve pas trop non plus ma cocotte et descend de ton petit nuage rose avant de crasher" lui rappela sa part lucide. – Vous désirez un objet décoratif ? chercha-t-elle à savoir tout en continuant sa marche. – J'aimerais voir des bijoux si vous en avez, des colliers plus précisément. Mon choix ultime servira de présent. – Ah! Et... quels sont les goûts de votre... hum... compagne ? – Je n'en ai pas, répondit-il laconique. Un soulagement insensé et mal placé s'insinua en elle. Ridicule, c'était ridicule ! Le regard de cet homme la brûlait, il observait ses moindre faits et gestes, paraissant se nourrir de chacune de ses réactions. C'était à la fois grisant et angoissant de se sentir ainsi happée par lui. En effet Nikolaï la détaillait sans scrupule alors même qu'elle marchait devant lui, admirant ses courbes harmonieuses et sa chute de reins accentuée par une démarche innocemment chaloupé. Sur sa robe pas totalement sèche, elle avait mis un châle rouge vif tricoté pour cacher ses frêles épaules dénudées un peu plus tôt. Elle était faite de candeur et de sensualité. Si fraîche, si pure. Elle promettait d'être une amante voluptueuse et passionnée, peut-être même un brin gourmande. Bref, tout ce qu'il recherchait. Si seulement il pouvait la faire sienne là tout de suite, à même le sol s'il le faut... Skatá (merde) jura-t-il à voix basse afin de ne pas être entendu par Sorrow. Il devait impérativement contrôler ses pensées avant d'aller sur un terrain glissant et de se retrouver avec une érection ingérable. Cette femme reveillait ses instincts les plus bas. Ses yeux tombèrent sur son annulaire. Pas d'alliance, la mission ne sera donc que plus facile, se réjouit-il. Ignorant tout des idées perverses et "machiavéliques" de son client, Sorrow lui présenta une magnifique collection de bijoux anciens, certains en perles, d'autres en gemmes. Malheureusement le nombre de ces derniers était moindre par rapport aux premiers car elle ne pouvait se permettre d'avoir des parures en vraies pierres précieuses. Avec quel argent se les payerait-elle? – Ils sont magnifiques. – N'est-ce pas ? ponctua t' elle fièrement. – Où les trouvez-vous? – Tout a été collectionné par ma mère. Je ne fais que les revendre pour ainsi perpétuer la tradition. Elle fréquentait des salles de vente et allait parfois chez des particuliers pour ensuite revenir avec les perles rares qu'elle trouvait. Le parfum à la senteur vanille musc de la jeune gitane l'enivrait depuis un bon moment. Ce qui le frustrait par dessus tout était que ses iris aux éclats aussi limpide que le plus pure des jades le fuyait sans cesse. Il avait envie de la toucher mais ne voulait pas l'effrayer. Il se contenta donc d'enfoncer ses mains dans ses poches en serrant fermement les points pour s'empêcher de succomber à la tentation. Mâchoire crispée, il fit mine de se concentrer sur les ornements étalés devant lui. Ses yeux finirent par s'accrocher à une pièce assez belle, un simple pendentif en or au bout duquel trônait une pierre de couleur émeraude. Son absence de complexité ne la rendait que plus attrayante. – J'aime bien celui-ci, annonça Nikolaï en pointant du doigt la babiole. Puis-je le voir de plus près? Sorrow devint blême à vue d'œil, se rendant compte qu'elle n'avait toujours pas enlevé ce bijou du tas. Elle ignorait toujours pourquoi la vieille dame l'avait placé là. Et maintenant, voilà qu'à cause de son oubli cet homme voulait s'en accaparer. Elle fut sur le point de répliquer qu'il n'était pas à vendre. Mais après un petite réflexion sur la situation de sa boutique, elle comprit qu'elle n'avait pas vraiment le choix. Après tout, peut-être que Betty voulait s'en séparer, d'où sa présence parmi les colliers à vendre. Il lui avait été offert par son époux il y'a de cela une trentaine d'années et d'habitude elle ne s'en séparait jamais. – C'est exactement ce qu'il me faut, murmura pensivement le brun en caressant des yeux la matière. – L'or a légèrement noircit, vous êtes sûr de le vouloir? Elle le lui tendit malgré elle, ayant l'impression de perdre à nouveau Betty. Avant de répondre, son gros pouce se promena sur le bijou qu'il tenait en main. – Oui, il me plaît bien. Je n'aurai qu'à le nettoyer, répondit-il en l'examinant tel un connaisseur. Elle faisait preuve d'un effort surhumain pour ne pas lui arracher la parure des mains. Si se retenait si fort qu'elle en tremblait presque. – J'ai d'autres bijoux plus beaux que celui-là à vous proposer vous savez ? fit-elle en espérant qu'il change d'avis. Nikolaï la fixa perplexe. – Non, ce n'est pas nécessaire. Intrigué par sa mine déconfite, il se posa des questions. Pourquoi arborait-elle cet air triste ? Ce pendentif représenterait-il quelque chose pour elle? Peu importe désormais. Il n'était là que pour mener à bien son plan, c'est-à-dire l'approcher. Et c'était chose faite. – Ce sera tout ? – Oui... pour le moment, ajouta Nikolaï avec un sourire mystérieux et troublant. Sorrow frémit délicieusement devant cette promesse à peine voilée. Elle trouva qu'il agissait un peu bizarrement. Perturbée, elle se racla la gorge avant de récupérer le collier et contrairement à la première fois où elle avait délibérément évité tout contact, cette fois ci, leurs doigts ne purent s'empêcher de s'effleurer. Les siens étaient chauds malgré le froid, constata-t-elle. — Je... je vais aller chercher une petite boîte pour vous faire un paquet. Sans attendre, elle se rendit jusqu'à une étagère où elle prit une boîte origami en papier d'un joli ton bleu pastel. Il comprit qu'elle les fabriquait elle-même en voyant des papiers colorés, une paire de ciseaux et d'autres outils de fabrication sur l'étagère. Elle s'appliqua ensuite à y apposer un nœud en ruban. Au cours de ce processus, il remarqua que ses mains tremblaient. Avait-elle peur de lui ? Pourtant il s'était maîtrisé et n'avait rien fait de déplacé. Et Dieu seul sait combien il mourrait d'envie d'écraser sa bouche contre ses lèvres pulpeuses et tentantes. La gorge nouée, Sorrow n'arrivait toujours pas à croire qu'elle allait se séparer de ce bien. Elle aurait tant aimé le garder en souvenir. Pourvu que celle à qui il sera destiné en prenne le plus grand soin car il avait une valeur inestimable, du moins pour elle. Sorrow lui annonça la somme en lui tendant le petit colis. Elle fit mentalement adieu au collier qu'elle n'allait plus jamais revoir de toute sa vie. C'était comme un second deuil. – Vous réglez par carte ou en liquide? – En liquide. L'homme sortit son portefeuille d'où débordait plusieurs billets et lui régla son dû. Pendant un court instant elle crut apercevoir une lueur d'envie au fond de ses prunelles ambrées alors qu'elle lui jetait un coup d'œil furtif. – Merci monsieur. – Merci à vous aussi mademoiselle Daniels, il susurra doucement avec une tonalité terriblement caressante dans la voix. À quoi jouait-il? – Revenez quand vous voulez. – Mais j'y compte bien ! répliqua-t-il avec un clin d'œil aussi insensé que provocant avant de s'en aller. Rêvassant debout les billets toujours en main, elle s'aperçut trop tardivement qu'il avait oublié son imperméable. – Zut !!! Monsieur ? Attendez, revenez ! Tout en disant cela, elle se précipita pour le récupérer avec l'intention de le lui rendre. Mais une fois dehors elle ne le vit plus. Elle avait beau regarder dans toutes les directions, il avait disparu tel un mirage, avalé par la foule de passants. Il était parti. Il ne restait donc plus qu'à espérer qu'il tienne parole et revienne. Mais Sorrow n'y croyait pas trop car les hommes d'affaires comme lui avaient en général tellement de choses dans la tête. Il avait très certainement déjà oublié sa promesse. De plus, ce n'était très certainement pas la perte de cet imperméable coûteux mais sûrement dérisoire à ses yeux qui risquait de le ruiner au point qu'il veuille revenir coûte que coûte pour le chercher. Elle retourna à l'intérieur puis ferma doucement la porte avant de s'y adosser le cœur battant. – Bon sang, c'était quoi ça ? Qui était cet homme au juste ?
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD