Chapitre 4

1714 Words
Ça y est, c'était fait. Nikolaï marchait à travers la dense foule de Bostonnais avec un sourire satisfait aux lèvres. Certaines femmes se retournaient sur le passage de ce bellâtre à l'allure fière et à la démarche assurée. Mais il s'en foutait royalement, le seul regard admiratif et aguicheur qu'il voulait sentir sur lui était celui de cette Sorrow. Pourtant elle n'agissait pas envers lui comme les autres, c'est-à-dire passer inlassablement la main dans les cheveux, se mordre intentionnellement les lèvres, être tactile où autres choses débiles auxquelles les femmes avaient recours pour séduire. Elle était une énigme qu'il comptait bien résoudre et en peu de temps. Oublier son imperméable était un plan calculé à l'avance. C'était puéril certes, mais cela devrait marcher. Il ne restait plus qu'à prier pour que la gitane soit de nature assez curieuse pour fouiller les poches et découvrir ainsi son autre portefeuille contenant ses coordonnées. Cette femme l'intriguait fortement et il fallait qu'il la revoit sans pour autant se faire passer pour un harceleur pervers. Non, ce serait à elle de venir à lui. La journée de travail s'acheva tard dans la nuit. Même sans un seul acheteur dans les parages, Sorrow aimait rester à des heures tardives car la chance pouvait frapper à tout moment, se disait-elle pour se motiver. Elle en avait eu la preuve cet après-midi avec la venue de ce mystérieux individu qui s'était incrusté dans ses pensées durant les heures qui ont suivi. Sorrow s'assura d'avoir bien fermé le magasin et éteignit toutes les lumières. L'imperméable sous le bras et sa chatte sur les talons, elle monta à l'étage au-dessus de la boutique. Là se trouvait son modeste appartement. Elle croisa Léa entrain de sortir de chez elle. Dès qu'elle l'aperçut, cette dernière la salua avec enthousiasme. – Salut ! – Hey, répondit Sorrow avec un fin sourire. – Oh... Toi ça ne va pas on dirait, constata son amie en fronçant les sourcils. Et cette journée ? Raconte-moi un peu. – Aussi vide que les précédentes, je commence sérieusement à désespérer, soupira Sorrow lasse. Comme d'habitude quoi. Je vais devenir folle si ça continue. – C'est à toi ça ? s'enquit-elle en désignant l'imperméable noir. – Oh ça ? Non, pas du tout. Un client l'a oublié aujourd'hui. Sa voisine écarquilla les yeux avec un sourire éclatant. – Ne t'emballe pas Léa. – Y a de quoi ! – Ce n'est qu'un client, un seul ! – Mais c'est quand même GÉ-NI-AL !!! Au moins une personne a franchit la porte de ton magasin, ce qui n'est pas arrivé depuis des lustres. Je vais prier Shiva afin qu'il te porte encore plus bonheur. Son amie était bien positive contrairement à elle. Voilà pourquoi elle appréciait Léa. De mère indienne et de père afro-américain, elle était portée sur l'hindouisme. Léa était un peu comme son pilier depuis peu. Elle seule savait lui arracher un sourire comme en ce moment précis. En effet Sorrow ricana comme à chaque fois que son amie parlait de sa foi en Shiva. Elle aimait bien quand Léa monologuait sur sa religion maternelle, même si elle en faisait parfois un peu trop. Il y'avait des jours où elle refusait d'être appelé Léa mais plutôt Apsara qui désigne "nymphe céleste". – Ouais... Mais je doute que ton Shiva s'intéresse à mes problèmes. Si ça se trouve il s'en contrefout royalement. – Shiva est bon, il nous aime tous sans distinction ! affirma Léa rêveuse. La preuve, hier je lui avais adressé une prière à ton encontre et il m'a écouté, sautilla-t-elle en tapant des mains à la manière d'une gamine. – Léa je- – Apsara, coupa celle-ci soudainement comme enclin à une illumination divine. – Quoi ?! – Appelle-moi Apsara. – Et pourquoi maintenant? – Parce que je viens de le décider, fit-elle en haussant les épaules. "Cette fille est décidément folle" pensa Sorrow amusée. – Apsara, concéda Sorrow en levant les yeux au ciel. Je crois que tes encens te montent à la tête. Sa copine la fusilla du regard. – Un peu de respect pour tes respects jeune fille. – Dis, tu ne voudrais pas venir m'acheter quelque chose tous les jours pour me remonter le moral ? – Je t'aime bien ma Sorrow, mais quand il s'agit d'antiquités, je préfère m'abstenir. Et puis je n'ai pas de place chez moi pour accueillir tes précieux objets. En passant, comment comptes-tu faire ? Le délai donné par monsieur Lancaster approche. À cette allure, ça va être dur de réunir la somme, ajouta t' elle devant la mine décomposée de Sorrow. Celle-ci se rembrunit à l'évocation du nom de ce sombre personnage sans coeur. Pourquoi Betty avait-elle contracté avec cet homme vil? Elle ne connaîtra sans doute jamais la réponse. Lancaster était une ordure qui profitait de sa situation. – Je l'ignore Léa. Et ce soir je suis trop exténuée pour y penser, elle souffla les yeux fermés en se massant la tempe . – Tu sais tu devrais peut-être vendre la boutique, lui conseilla Léa d'une voix douce. Sorrow grimaça. Ce n'était pas la première fois que cette phrase franchissait les lèvres de son amie. Les rares fois où elle s'était laissé tenter, elle avait regretté. – Jamais ! J'ai déjà tenté quatre fois et les prix proposés étaient toujours trop bas. Elle vaut plus que ça. En plus Betty y tenait. Si elle était encore en vie... – Mais elle ne l'est plus Sorrow, il faut que tu avances ! Betty a mal géré sa boutique, ce n'est pas à toi de payer les pots cassés en te sacrifiant jour et nuit comme une malade. Regarde toi dans un miroir, tu as vieilli d'au moins dix ans en l'espace de quelques mois. – Lé... – Non, tais-toi ! s'emporta un peu Léa. Si les créanciers se saisissent des biens qu'il te reste, que deviendras-tu ? Tu y as pensé ? – Au moins je me dirai que j'ai tout donné jusqu'à la fin, bougonna-t-elle en faisant la tête même si au fond d'elle, elle savait que son amie avait raison. Léa roula des yeux devant son entêtement mais se radoucit. – Comme tu voudras, mais je t'aurai prévenue. Que le dieu Shiva t'accorde plus de discernement parce que tu es vachement butée... Je vais retrouver les potes au bar tout à l'heure avec Tom. Tu veux venir ? lui proposa-t-elle en se baissant pour caresser la petite tête de Daisy qui se frottait contre ses jambes en miaulant. Tom était le petit ami de Léa. Ils filaient le parfait amour tous les deux - sauf peut-être lorsque la foi de cette dernière en Shiva ou Krishna pointait le bout de son nez, gavant Tom qui n'y comprenait plus rien. Comment accepter que votre compagne crie le nom de Kama le dieu hindou du désir lors de vos ébats ? En apprenant ça, Sorrow s'était tordue de rire sous le regard assassin de son amie. A part ça, tout allait bien entre eux, ce qui n'avait rien à voir avec sa vie sentimentale déserte depuis...toujours. Elle était parfois un peu jalouse en les regardant ensemble, rien de bien méchant. Bien-sûr elle avait eu quelques flirts mais rien de concret. Ils finissaient toujours par la trouver ennuyeuse ou avec un sale caractère dès le premier rendez-vous, et ce malgré sa douce apparence. Si ça se trouve elle allait même finir vieille fille... – Lucas sera également là. Tu te souviens de lui ? – Comment oublier lourdaud pareil ? elle grimaça avec un rictus de dégoût. – Tu lui as tapé dans l'œil à ce qu'il paraît. Il aimerait te revoir. Si tu viens avec moi, vous pourriez faire plus ample connaissance et ça te changera les idées. – Crois-moi, si je lui avait réellement "tapé" dans l'œil, il aurait fini avec un œil au beurre noir. Il ne m'intéresse pas du tout, même gratuit je n'en voudrais pas. En effet ce Lucas avait débarqué de nulle part et s'était mis à lui tourner autour à la manière d'une mouche à miel. À chaque fois il prétextait venir voir Léa pour ensuite lui faire des avances plus ou moins subtiles. Lucas n'était pas moche, il était même mignon et elle aurait sans doute fait un effort en acceptant ses avances s'il n'aimait pas autant fanfaronner. – Je me demande comment tu peux être amie avec un fanfaron pareil. Il est le digne descendant de Narcisse, je dirais même sa réincarnation à l'état pur. Alors merci, mais c'est non. Je suis épuisée et n'ai nullement envie d'entendre de pitoyables éloges de soi venant de lui. Léa dans son infini tolérance fit la moue en lui disant qu'elle était beaucoup trop dure avec Lucas. – Tu me trouve trop dure ?! Léa ! Ce dépravé narcissique m'a exactement sorti cette phrase, je cite: « tu devrais être contente que je te choisisse "frisette". Je dois t'avouer que si j'en étais capable, je me ferai l'amour dans toutes les positions tellement mon engin est gros, long et bon », récita-t-elle avec dédain. Léa bras croisés se mit à ricaner en s'appuyant contre le mur d'en face. – Ne le prends pas comme ça ! Lucas s'y prend mal et est peut-être maladroit dans ses propos mais il est sincère. – Ce mec est tordu, un vrai déséquilibré, c'est moi qui te le dit. Alors préviens-le, il n'a plus intérêt à m'approcher sinon ce n'est pas dans l'œil que je le taperai mais plutôt dans le fion. Sorrow avait parlé le plus sérieusement du monde et sans ciller. – Il sera ravi de l'apprendre "frisette", ironisa Léa. – Et ne m'appelle pas comme ça! – D'accord,d'accord ! capitula son amie en levant innocemment les deux mains en l'air. Bon, il faut que je me casse. Au cas où tu changerais d'avis... – Ce que je ne compte pas faire, la coupa Sorrow. – ... tu sais comment me joindre, continua Léa faisant la sourde d'oreille. – Passe une bonne soirée. – Merci, répondit-elle en la serrant amicalement dans ses bras. À plus... "frisette" ! Elle s'était assurée d'être à une bonne distance avant d'ajouter malicieusement le dernier mot. Sorrow lui cria d'arrêter avec ce surnom débile mais elle s'était déjà échappé en rigolant sournoisement.
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