Clara
Je n’arrêtais pas de me triturer les mains en attendant l’arrivée de monsieur Mbarga. Il devait remettre aujourd’hui les points de l’interrogation surprise faite il y’a deux jours.
- Bonjour à tous, nous allons commencer immédiatement par la remise de vos copies. Une fois de plus, la situation est catastrophique. Nous allons commencer par les points les plus faibles.
Bien évidemment, Manon fut appelée parmi les premiers. Le professeur continua avec la remise des copies.
- Félicitations à mademoiselle Manga pour ce sans faute, vous avez une note de 20/20.
Je me levai récupérer ma copie avec un sentiment de joie et de malaise. Heureusement Jade avait bien travaillé et avait eu une note de 16/20.
La matinée se déroula dans une atmosphère tendue. Durant la pause, je me rendis aux toilettes et surpris une conversation entre Manon et ses copines.
- Tu comprends pourquoi je la déteste, elle nous met toujours dans de mauvaises situations, mais s’en sort toujours avec de bonnes notes, dit Manon.
- Tu parles ! renchérit Eveline, heureusement que tu lui as laissé ton empreinte. Cette grosse tache sur sa jupe ne partira jamais, et vu qu’elle est une misérable, elle l'aura pour toute l’année scolaire.
- Haha, suis trop fière de moi. Je ne sais vraiment pas ce que lui trouve Hervé, elle est tellement moche, dit Manon d’une voix dépitée.
J’étais tellement blessée par leurs propos. Je ne leur avais jamais causé du tort intentionnellement. Je pense tout simplement que Manon était jalouse parce que Hervé avait jeté son dévolu sur moi, pourtant je ne faisais rien pour l’encourager. Hervé fréquentait la même classe que nous et j’avais appris par Jade que Manon et Hervé avaient eu une relation par le passé et que ce dernier l’avait ensuite larguée. Mais Manon ne désespérait pas de lui remettre le grappin dessus.
- Ça va ma belle ? me demanda Jade. Tu as été rapide là.
- Oui. Pour une fois, il n’y avait pas de rang pour se rendre aux toilettes, mentis-je à Jade. Je ne voulais pas lui relater la conversation surprise plus tôt, elle était trop impulsive parfois.
Jade et moi nous séparâmes devant le portail du lycée. J’étais à la page avec mes devoirs aujourd’hui et j’avais l’intention de rentrer immédiatement à la maison, cela me permettrait d’éviter la colère de ma tante et j’aurais peut-être droit moi aussi à un repas en bonne et due forme.
Le feu rouge piéton était à peine passé au vert quand j’entrepris de traverser la route, j’avais fait quelques pas quand des cris agités et les regards effrayés des piétons en face de moi attirèrent mon attention. J’entendis un v*****t crissement de pneus et vis cette voiture qui venait à vive allure dans ma direction. J’eus à peine le temps de me jeter de l’autre côté de la voie, ma cage thoracique heurta de plein fouet le trottoir. Je ressentis une douleur atroce dans ma poitrine et fus immédiatement entourée par la foule.
- Espèce de chauffard, où avais-tu la tête ? entendis-je.
- Vous ne pouviez pas faire attention ? hurla une autre dame.
- Votre feu était pourtant rouge monsieur ! entendis-je une autre voix féminine.
- Tu te crois sur un circuit de formule 1 ? demanda une voix masculine.
- Vous avez tous raison d’être en colère, mais je pense que la priorité est que cette jeune demoiselle soit immédiatement transportée à l’hôpital, entendis-je une voix masculine aux intonations viriles avant qu’un visage ne se matérialise devant moi.
Oh my God, comme il était mignon ! C’était un crime d’être aussi beau ! Pensai-je avant de réaliser qu’il était certainement le responsable de ma chute.
- Mademoiselle, vous allez bien ? Avez-vous mal quelque part ? me demanda-t-il avec un regard plein de sollicitude.
Il s’agenouilla ensuite à mon niveau et commença à m’observer.
- Euh, j’ai mal ici, lui répondis-je avec une grimace de douleur en lui indiquant du doigt la partie droite de mon thorax qui avait précédemment heurté le trottoir durant ma chute.
- Je vais vous conduire dans la clinique la plus proche pour que vous soyez examinée, me dit-il.
- Vous avez intérêt ! hurla une voix de femme.
- C’est la moindre des choses, dit une autre.
- Et vous avez intérêt à régler toutes les notes d’hôpital, renchérit une autre dame.
- Il ne faut pas abandonner la pauvre fille à l’hôpital et disparaitre ! Tout est votre faute.
C’était pour la plupart des vendeurs ambulants. Il y’en avait avec des plateaux sur la tête contenant des bananes, des cacahuètes ou encore des oranges.
- Du calme, je vous en prie, bien évidemment que je prendrai à ma charge tous les frais d’hôpital. Mademoiselle ? dit-il en me regardant.
- Clara, répondis-je timidement sous ce regard perçant.
Il devait être âgé d’une vingtaine d’années et était vêtu d’un polo Lacoste blanc et d’une paire de jeans.
- Vous sentez-vous en mesure de marcher ? me demanda-t-il gentiment.
- Oui, je pense bien, dis-je en essayant de me lever.
Je dus interrompre mon mouvement à cause d’une violente douleur que je sentis au niveau de ma cheville. J’avais probablement fait un faux mouvement de la cheville durant ma chute.
-Je vais vous donner un coup de main, me dit-il gentiment.
Il se rapprocha de moi, me prit la main et m’aida délicatement à me mettre debout. Je fus immédiatement envahie par un parfum enivrant. Hum, qu’il sentait bon. Je ne sus exactement pour quel motif, mais mon cœur se mit à battre avec frénésie dans ma poitrine. Il me dirigea ensuite vers une voiture avec de doubles flèches qui était stationnée à quelques mètres de nous. Il ouvrit la porte avant et m’aida à m’installer. Je tombai lourdement sur le siège, j’avais l’impression d’avoir couru un marathon, tellement mon cœur battait vite.
- Ça va ? me demanda-t-il avec un regard perçant.
- Oui, merci, lui répondis-je en baissa timidement la tête, j’avais de la peine à soutenir ce regard qui semblait vouloir transpercer mon âme.
La foule commença à se disperser.
-Ah, ces gosses de riches, toujours pressés pour aller je ne sais où ! dit une dame d’une voix irritée.
- C’est terrible, renchérit une autre, tous les mêmes, ajouta-t-elle.
Le jeune-homme qui avait occasionné l’accident fit le tour de la voiture, se mit au volant et démarra sur des chapeaux de roues. Il semblait nerveux et regardait très souvent sa montre. Il se faufilait comme il pouvait dans la circulation qui à cette heure était dense et gara très vite devant l’entrée d’une clinique qui me sembla luxueuse. Je n’avais aucune idée de l’endroit où nous nous trouvions car, étant arrivée dans la capitale il y a moins de trois mois, j’avais encore des difficultés à prendre mes marques.
- Venez, on va y aller, me dit-il précipitamment. Je suis désolé de vous mettre de la pression, mais je n’ai vraiment pas trop de temps.
À ces mots, les propos des passants qui avaient assisté à mon accident me revinrent à l’esprit. Et si c’était sa stratégie pour s’en aller et ne pas payer les frais d’hôpital ? Malheureusement dans mon pays, il fallait payer avant d’avoir droit aux soins. Je n’avais pas le moindre sou et je préférais tenir ma douleur à la poitrine et à la cheville au lieu d’être enfermée pour impayés.
- Euh monsieur, ne vous inquiétez pas, la douleur est passée, lui dis-je en ayant malgré moi une grimace de douleur.
- Apparemment pas ! objecta-t-il. Vous pourrez rentrer chez vous seulement après avoir été auscultée par un médecin, me dit-il d’une voix ferme.
- C’est ça, et qui va payer pour ma consultation ? lui demandai-je d’un air moqueur. Je voulais lui faire savoir que j’avais vu clair dans son jeu.
- Bah moi ! Qui d’autre ? Écoutez, arrêtez de faire des caprices, je n’ai vraiment pas de temps à perdre.
- Je me ferai examiner seulement si vous payez tout à l’avance. Je ne veux pas de mauvaises surprises, lui dis-je d’une voix ferme.
- D’accord, allons-y, dit-il dans un petit rire moqueur, il avait enfin compris la raison de mes réticences.
Il se rendit précipitamment à la réception des urgences et revint quelques minutes plus tard suivi d’un personnel de soin poussant une fauteuil-roulant.
- Bonjour madame, où avez-vous mal ? me demanda le jeune-homme que je devinais être un aide-soignant.
- Ici, dis-je en indiquant la région gauche de ma poitrine, et aussi à la cheville.
- On va aller tout doucement, me dit-il en m’aidant à m’installer sur la chaise.
- Merci, répondis-je simplement.
Il me conduisit à l’intérieur de la clinique et me demanda mes documents. Je lui remis ma carte d’identité et il se dirigea vers la réceptionniste suivi de celui qui avait causé mon accident.
Ils vinrent dix minutes plus tard.
- Je suis vraiment désolé, mais je dois vraiment y aller. J’ai laissé une avance à la caisse pour couvrir tous vos soins. En cas de besoin, ils ont mon contact. Je vous le laisse à vous aussi d’ailleurs, me dit-il en écrivant un numéro de téléphone sur un bout de papier.
Je saisis le papier et y lus Clovis Ngaha suivi d’un numéro de téléphone. J’avais presque envie d’en rire, s’il avait vraiment fallu le contacter, comment aurais-je pu ? Je n’avais pas de téléphone et j’avais aussi trop honte de le lui avouer. Je tournai néanmoins la tête vers l’aide-soignant pour en avoir confirmation.
- Ne vous inquiétez pas madame, tout est réglé, me dit-il avec un sourire.
- Bon j’y vais. À plus tard, me dit Clovis avec un demi-sourire avant de s’en aller au pas de course.
L’aide-soignant positionna mon fauteuil à l’entrée d’une salle.
- Ce sera bientôt votre tour.
- Merci beaucoup, lui répondis-je avec un sourire reconnaissant.
Quelques minutes plus tard, j’entendis mon nom.
- Mademoiselle Clara Manga.
- C’est moi, dis-je en levant timidement la main.
Le médecin m’ausculta rapidement et ordonna une radiographie du thorax et de la cheville droite.
J’avais tellement de douleur qu’on me fit une perfusion contenant des antidouleurs. Je m’endormis finalement rompue de fatigue. Heureusement qu’on était vendredi, j’avais donc deux jours devant moi pour récupérer.
Clovis
J’étais sorti de la maison au pas de course. J’avais l’examen de mathématiques appliquées dans moins d’une heure. Je me demandais même si j’étais obligé d’y aller. Je n’avais pas du tout étudié. J’avais passé le temps à faire la fête avec les potes et je me retrouvais au jour d’examen pas du tout prêt.
J’étais un jeune-homme de 20 ans, inscrit en deuxième année à l’école polytechnique en ingénierie informatique. Mes parents étaient de hauts cadres dans les sociétés de l’état et ma sœur et moi n’avons jamais manqué de rien.
J’avais à peine reçu le coup de fil de mon pote Florent qui m’informait que le professeur venait d’entrer dans la salle d’examen et n’admettait pas un retard de plus de 15 minutes. J’avais alors roulé comme un fou et n’avais pas voulu m’arrêter bien que j’avais remarqué le feu qui était à peine passé au rouge, mais malheureusement, cette jeune-fille s’était engagée et on avait évité un accident mortel de justesse.
Je l’avais ensuite conduite à l’hôpital et m’étais rendu précipitamment en fac. Le silence qui régnait dans la salle d’examen me fit comprendre que l'examen avait débuté depuis un bon bout. Je jetai un coup d’œil à ma montre et vis que l’examen avait commencé depuis une bonne demi-heure. Je pris tout même mon courage et toquai à la porte.
- Monsieur Ngaha, vous avez trente minutes de retard. Vous ne pouvez être admis en salle d’examen, vous troublerez simplement vos camarades, me dit le professeur avec un regard sévère.
- Je suis vraiment désolé monsieur, j’ai eu un accident sur le chemin et j’ai dû accompagner à l’hôpital la dame qui était impliquée dans l’accident. Je parlais en sortant précipitamment de ma poche la facture d’hôpital de tout à l’heure.
- Allez-y, mais je ne vous accorderai pas une minute de plus. Vous avez toujours l’excuse toute prête. Vous devriez essayer de vous ranger, sinon vous doublerez votre année académique.
J’entrai en classe en coup de vent et sortis immédiatement un stylo et une feuille. Le professeur me remit l’épreuve et un seul coup d’œil me suffit pour comprendre que j’aurai simplement dû rester à la maison comme j’avais pensé au départ. Cela m’aurait évité de mettre la vie des gens en danger. Je n’avais pas étudié du tout et je n’étais pas capable de résoudre le moindre exercice. Je restai tout de même jusqu’à la fin de l’épreuve et griffonnai quelques idioties avant de remettre ma copie avec tous les autres.
On était vendredi soir et c’était le début d’un long weekend. Meufs, alcool, cigarettes, discothèque, la belle vie quoi !