Cette histoire se déroule en Afrique centrale, plus précisément au Cameroun.
Clara
- Clara, le prof s’adresse à toi, me chuchota mon amie et voisine de banc Jade en me bousculant discrètement du coude.
- Mademoiselle Manga, je vous écoute, me dit monsieur Mbarga avec le regard menaçant.
J’étais en pleine salle de classe, mais l’esprit totalement ailleurs. Ce n’est pas toujours facile de rester concentrée quand le ventre est vide. Le fameux dicton “ventre affamé n’a point d’oreilles” s’appliquait parfaitement à mon cas. J’étais complètement perdue dans mes pensées, me demandant comment réussirais-je à trouver un bout de pain pour ce soir. La femme de mon oncle fermait à clé la porte de la cuisine quand bien même, elle était présente à la maison.
- Mademoiselle Manga, j’attends ! me dit le professeur de mathématiques d’un ton péremptoire.
J’étais en classe de terminale C et j’étais bien consciente que je n’avais pas le droit d’être distraite pendant le cours de mathématiques, c’était une des matières les plus importantes, sinon la plus importante.
- Euh, euh, monsieur Mbarga, réussis-je à balbutier d’une petite voix, je suis vraiment désolée, je n’ai pas entendu votre question, ajoutai-je d’une voix suppliante.
- HAHAHAHA, s’éleva un brouhaha de rires dans la salle de classe. J’étais très souvent objet de moqueries pour mon uniforme de classe délavé et mes chaussures aux semelles déformées qui avaient vraiment connu des jours meilleurs.
- Mademoiselle Manga, vous n’êtes pas dans un salon de soins où vous pouvez vous permettre de vous laisser aller à rêvasser ! dit-il d’une voix sévère.
- HAHAHAHA, reprirent en chœur les rires de mes camarades de classe.
- Assez ! hurla le professeur. C’est peut-être le cas de mademoiselle Manga aujourd’hui, mais vous n’êtes jamais concentrés durant mon cours. Prenez immédiatement un stylo et une feuille, vous avez droit à une interrogation surprise. Cela vous servira de leçon !
Il se rendit immédiatement au tableau et improvisa un exercice de mathématiques que nous devrions résoudre et lui remettre ensuite les copies. Nous avions trente minutes pour cela.
La salle s’emplit à l’instant des bruits des élèves qui s’activaient. J’étais vraiment désolée que le professeur punisse la classe entière à cause d’une faute par moi commise. Je rencontrais déjà des difficultés à me faire accepter dans cette nouvelle école et je n’avais pas besoin que le professeur en rajoute. Certains élèves m’avaient prise en grippe sans aucune raison et maintenant, cette interrogation surprise aggravera la situation. Je ne pus m’empêcher de jeter un coup d’œil dans la direction de Manon. Cette dernière m’avait déclaré la guerre dès le premier jour, et je vis sans surprise de la haine dans son regard.
- Vous avez exactement trente minutes pour résoudre cet exercice, la voix perçante du professeur me fit détacher mon regard de Manon.
Mon regard se posa ensuite sur le tableau et je me calmai à l’instant. L’exercice était vraiment facile et je n’avais pas besoin de plus d’un quart d’heure pour le résoudre.
Je pris fébrilement une feuille et y inscrivis mon nom, la date et commençai immédiatement à résoudre le problème. Dix minutes plus tard, j’avais déjà fini, mais je fis mine de rester concentrée pour ne pas provoquer la colère de mes camarades de classe et plus particulièrement celle de Manon.
- Vous avez encore 10 minutes, retentit la voix du professeur.
- Vous avez exactement une minute avant de me remettre vos copies, assurez-vous d’avoir inscrit vos noms, reprit encore le professeur dix minutes plus tard.
- C’est bon, le temps est fini. Posez vos stylos et je vais passer récupérer vos copies, dit à nouveau monsieur Mbarga.
Je lui remis ma feuille quand il arriva à mon niveau. Il récupéra les copies de tous mes camarades de classe et se rendit ensuite à la table attribuée aux professeurs.
- Nous allons commencer la correction tout de suite, cela vous permettra d’imaginer votre note, dit-il d’un ton moqueur.
Il prit la craie et commença la correction. Au fur et à mesure qu’il évoluait, j’étais de plus en plus sereine. J’avais eu juste sur tout, je n’avais commis aucune erreur. J’étais contente et en même temps stressée, car, si mes camarades avaient de mauvaises notes, ils me tiendraient responsable de cette interrogation surprise.
- J’espère que vous avez tous bien travaillé, dit le professeur à la fin de la correction. Vous aurez vos notes dans deux jours, c'est-à-dire au prochain cours.
Il prit ensuite ses effets personnels et sortit enfin de la classe.
Trois jeunes filles se rapprochèrent immédiatement de Manon et commencèrent à chuchoter en me regardant méchamment. J’étais tellement mal à l’aise, car je savais qu’elles me feraient encore des misères.
- Ne fais pas attention à elles, me chuchota Jade en les toisant. Elles sont juste jalouses de toi.
- S’il te plaît Jade, n’en rajoute pas, je te prie, elles me causent déjà assez de problèmes comme ça, lui répondis-je d’une voix suppliante.
- T’es trop molle toi ! Tu me donnes parfois envie de te fourrer mon poing en pleine figure pour t’obliger à réagir.
Arriva ensuite l’heure de pause, tous les élèves se rendirent à la cafétéria manger. Je n’avais rien à me mettre sous la dent, ma tante était sortie très tôt ce matin et avait fermé une fois de plus la porte de la cuisine à double tour.
- Tu viens Clara ? me demanda Jade en sortant.
- Non merci, je vais manger ici, j’ai un bout de pain dans mon sac, lui répondis-je en souriant.
Bien évidemment, c’était un mensonge. Je n’allais tout de même pas avouer que je n’avais rien à manger. Je ne voulais pas susciter sa pitié, déjà qu’il arrivait parfois qu’elle partage son repas de midi avec moi.
- T’es sûre ? me demanda Jade en me regardant avec attention.
- T’inquiète ma belle, vas-y, lui répondis-je en lui faisant un sourire rassurant.
Elle sortit enfin de la classe et je pus pousser un ouf de soulagement. Je devais profiter de la pause pour faire mes devoirs, car à la maison, avec toutes les tâches ménagères qui m’incombaient, je n’avais pas toujours le temps de réviser.
J’avais presque fini mes devoirs quand la sonnette retentit. Je pourrais rentrer plus tôt ce soir et ne pas subir la colère de ma tante. Quelques minutes plus tard, mes camarades entrèrent dans la salle de classe. Manon et ses subalternes me regardaient étrangement et cette dernière avait une expression perfide sur le visage qui m’inquiéta. Bon Dieu ! Que me réservaient ces mégères ?!
Quand elles arrivèrent à mon niveau, Manon sembla trébucher et renversa sa bouteille contenant un liquide noirâtre qui se rependit sur le cahier avant de glisser ensuite dans ma direction. Je me levai promptement, mais réalisai qu’il était trop tard, une énorme tache noire avait eu le temps de se former sur mon uniforme.
- Oh ! désolée ma belle, me dit Manon avec un sourire mesquin en coin, j’étais convaincue d’avoir bien fermé la bouteille, ajouta-t-elle en faisant un clin d’œil à ses amies.
- Ce n’est pas grave, lui répondis-je sans oser la regarder dans les yeux.
Manon avait complètement noirci la page où j’avais passé plus d’une heure à faire les devoirs. J’allais devoir une fois de plus m’arrêter au parc ce soir pour les refaire avant de rentrer à la maison.
Jade entra dans la salle de classe et remarqua immédiatement l’énorme tâche qui se trouvait sur mon uniforme.
- Mais que s’est-il passé ? me demanda-t-elle d’un air préoccupé.
- Manon a versé par mégarde de l’eau noire sur ma jupe, lui répondis-je avec une supplication muette dans la voix.
- Et t’as rien fait comme d’habitude ? me demanda Jade avec une pointe de reproche dans la voix.
- Ce n’est pas bien grave, je te dis.
- Ces sorcières s’en prennent à toi parce que tu ne réagis pas, qu’elles osent le faire avec moi, elles me sentiront passer ! ajouta Jade en les défiant du regard.
Je pris Jade par le bras dans un geste d’apaisement. J’avais assez de problèmes dans ma vie comme ça.
Le professeur de français entra sur ces faits, interrompant ainsi le duel muet entre Jade et la b***e à Manon.
On reprit ainsi les cours jusqu’à 15h30. Je me rendis ensuite à un parc situé à une centaine de mètres du lycée pour refaire les devoirs que Manon avait détruits plus tôt. Je savais bien que j’en aurais payé le prix fort à mon retour à la maison, mais que voulez-vous ? Je n’avais rien d’autre à part mes études.
Je bossai ainsi mes cours jusqu’à 18h avant de reprendre le cœur battant la route de la maison.
- Sale p**e, d’où viens-tu ? Hurla ma tante en me frappant avec un pilon.
- Désolée tata, nous avons eu une séance de travaux après les cours, répondis-je d’une voix suppliante.
- Toujours la même excuse, dit-elle en m’assénant une gifle retentissante. Va immédiatement à la cuisine faire à manger, nous avons faim nous !
Je me rendis à la cuisine sans demander mon reste. Je me mis à éplucher les pommes de terre pour ensuite faire un rôti. Je disposai ensuite la table pour ma tante, son mari et mes cousines.
-Ne t’hasardes surtout pas à manger quoi que ce soit ! me dit sévèrement ma tante. Cela t’apprendra à rentrer à des heures indues.
Quand ils eurent fini, je débarrassai ensuite la table et me mis immédiatement à laver la vaisselle. Il était déjà 21 h.
- Repasse-moi immédiatement ces vêtements, nous en avons besoin pour demain.
Ma tante déposa devant moi une bassine contenant des vêtements froissés et sortit de la cuisine sans un regard pour moi. Je me mis immédiatement à la tâche et finis à 23 h. Je tentai par tous les moyens d’enlever l’énorme salissure qui s’était formée sur ma jupe sans grand succès, j’allais devoir finir mon année scolaire avec cet uniforme tacheté. Je pris ensuite une douche rapide et mangeai le petit morceau de pain que j’avais réussi à cacher dans la poche interne de ma robe juste avant que ma tante ne ferme la porte de la cuisine à double tour. Enfin au lit pour un dodo. J’étais crevée ! Je devais me lever très tôt demain matin pour préparer le petit déjeuner de la maisonnée avant de me rendre à mon école qui se trouvait à 1 h de route à pied de la maison.
Bienvenus dans mon quotidien. Je m’appelle Clara Manga, je suis âgée de 18 ans et suis inscrite en classe de Terminale C dans un lycée de la place. Mes parents sont décédés dans un accident de la circulation et depuis leur décès, j’ai erré de maison en maison, avant d’échouer chez ma tante.
Je logeais chez une cousine de mon père dans mon village natal quand ma tante s’était présentée et avait demandé à me prendre avec elle. Elle avait prétendu m’offrir un avenir meilleur dans la capitale, mais c’est bien plus tard que j’ai compris qu’elle avait simplement besoin d’une bonne à tout faire sans avoir à débourser le moindre sou.
Ma tante m’avait inscrite dans ce lycée à la rentrée scolaire. Elle m’avait remis un vieil uniforme qui ne servait plus à sa fille. J’avais de la peine à m’intégrer. La seule qui m’adressait la parole était Jade et parfois Hervé. J’avais l’impression que ce dernier était intéressé par moi, ce qui ne semblait pas plaire à Manon. La majorité des élèves craignait Manon au point d’éviter de s’approcher de moi, au risque d’être éconduits par elle. J’avais passé toute la journée sans rien me mettre sous la dent. Une fois de plus, la veille, j’étais restée étudier au lycée jusqu’à 18 h, la période des examens approchant et je ne réussissais vraiment pas à étudier à la maison.
Je m’endormis enfin sur ces pensées moroses. L’avenir n’avait rien de prometteur pour moi, mais j’avais foi que les choses iraient mieux.