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1307 Words
3 Tapioca était le plus âgé, il fut installé dans la chambre cellule numéro 1. Parfait, à côté, hérita de la chambre cellule numéro 2. Kota Kota Ngoroyo, la numéro deux du parti, qui avait fait le si beau discours pour l’inauguration, avait laissé à son Tapioca de mari un sac de linge et une trousse de toilette. Un sac qu’ils avaient acheté ensemble à l’aéroport de Singapour. C’est la maîtresse numéro trois de Parfait, Jeanine Sikèkèdè, qui lui porta le nécessaire. Facile. Parfait avait toujours un sac de voyage prêt. Pour fuir, si besoin. Sans se concerter, ils prirent l’un et l’autre une bonne douche. L’eau ça lave presque tout, non ? Arôme Maggi, fière de son premier rôle, mais un peu intimidée quand même, leur avait donné à lire le règlement intérieur et précisé que oui, ils pouvaient aller et venir dans les couloirs et les salons jusqu’à vingt-deux heures. Ensuite, ils devaient être dans leur chambre (elle oublia volontairement le mot cellule) jusqu’à six heures du matin. Elle avait annoncé : — Nous attendons un autre prisonnier. — Qui ? — Je ne sais pas encore. Parfait et Tapioca se regardèrent, dubitatifs. Qui pouvait bien être le troisième larron ? Le troisième dindon de la farce mains propres ? Eux étant arrêtés, eux les premiers du premier cercle, on pouvait s’attendre à tout. Tapioca choisit dans la bibliothèque un livre qu’il avait déjà lu, trente ans plus tôt, quand il était étudiant, Le Soleil des indépendances. Ça lui rappellerait sa jeunesse à tout asservie… par délicatesse… j’ai perdu la vie… Il avait toujours été amateur de poésie. Sa jeunesse ! C’était loin et il avait mangé mangé mangé le temps, depuis ses vingt ans. Parfait avait repéré deux ou trois DVD de films porno, dont un qu’il ne connaissait pas encore. Puis, il s’était mis de côté une b***e dessinée, Tintin en Amérique. Il avait cherché dans la collection Tintin au Congo, que beaucoup d’Africains apprécient. Mais cette BD n’était pas là. C’est juste avant le repas du soir qu’arriva, bien encadré par quatre filles de l’escouade, Gabriel Bangadouzou. Les députés avaient voté la fin de son immunité parlementaire. Il était inculpé et emprisonné à son tour. Pourquoi ? Oui, pourquoi, lui qui avait certainement moins bouffé que bien d’autres ? Aïe ! Il leur apprit ce qu’ils avaient déjà deviné. — Je suis là pour crime rituel. Ils disent que j’ai fait tuer là-bas au village une petite fille de douze ans pour faire prélever son sexe, pour une cérémonie, pour le pouvoir, pour devenir président. — Hum… — Et c’est vrai ça ? — Je ferais un bon président, non ? Fiston était en forme. Il massa pour commencer les pieds de son Arôme. Après, il lui massa le dos et les épaules. Encore après, avec délicatesse, il lui tira un pénalty. Elle le félicita sans crier trop fort. C’était inutile que les autres, ses parents ou sa sœur Belvia soient au courant du score. Sous leur moustiquaire, ils dormirent sans soucis. Ils s’aimaient et quand on s’aime à fond, on ne s’inquiète pas pour son demain. Elle se leva avant lui, mais pas trop tôt. Il était déjà sept heures ! Son père était parti à son travail de gardien de jour avenue Barthélémy Boganda, au PK 3, à la Communauté des Églises Apostoliques. Sa mère, à SOFIA crédit venait tout juste de commencer ses écritures. Belvia avait préparé la table avec le café pays et le lait en poudre fortifié Nido. Elle colorait une image de la Vierge et de l’Enfant Jésus. Arôme cassa les œufs et fit une belle omelette. Fiston, attiré par l’odeur, se leva. Ça, il avait bien dormi sa nuit, calé contre les fesses de son Arôme. Il s’assit, et sans rien dire ils déjeunèrent, tous les trois, sans échanger la moindre nouvelle. C’est Fiston qui alluma la radio, pour écouter les informations sportives sur l’antenne de Koukoulou, mais le journaliste parlait de politique intérieure. La rébellion Lakoué Lakoué était toujours au nord, chez les bandas, à Ndili. Fiston ironisa : — Tout commence toujours par le nord. Au Mali, en Libye aussi. Arôme n’aimait pas discuter de la rébellion. Elle appartenait aux forces armées, et même si ce n’était pas du tout par vocation, elle en était. C’était comme ça, et « comme ça » elle savait bien que les forces auxquelles elle appartenait manquaient de vitamines. C’était des forces qui partaient en courant le plus vite possible quand le moindre rebelle montrait le bout de son nez. — Je vais prendre ma douche. — Va. Elle se leva et tout de suite son regard fut attiré par le petit carré blanc sur le sol gris, qui avait été glissé sous la porte. Une enveloppe. Elle la ramassa. Un nom, une adresse : monsieur Bienaimé Nganakamba – appartement A3 – cité Véronique. Au dos de l’enveloppe, un coup de tampon, comme un gros cafard, précisait l’expéditeur. Elle appela sa maman et lui donna l’information. C’était Rose, la maman, qui toujours réglait les petits ou grands problèmes. Elle ne dit qu’un mot : — J’arrive ! La parole n’a pas de jambe, mais elle marche vite. Quelqu’un avait tout de suite parlé à son voisin qui avait reçu la même lettre, et à présent c’est tout le quartier qui criait. Autant les femmes que les hommes. Ils avaient lu leur lettre, qui ne disait qu’une chose : « Dans moins d’un mois vous devrez avoir quitté votre logement pour cause de rénovation des immeubles ». Au milieu des cris, ils étaient déjà tous d’accord. C’était un mauvais coup. On voulait les faire partir tout simplement pour vendre les immeubles au privé. Au passage, cent vingt ou cent trente pour cent du prix de la vente iraient non pas dans les caisses de l’État, mais dans une poche ou plusieurs poches particulières, avant de passer sur un compte bancaire dans une île au trésor au milieu de l’océan ou dans une vallée suisse. Pourquoi garder l’argent ici alors que c’est l’époque moderne de la mondialisation ! Rose Nganakamba arriva et, au pied de l’immeuble, avant même d’achever la lecture complète de la lettre, elle cria : — Ça là, ça ne me regarde pas ! Elle déchira sa lettre et continua : — Ça, c’est la merde ! Ils nous font chier là ! Moi, je ne vais pas quitter, je reste. L’immeuble là, c’est à nous. L’État, c’est nous, non ? Ils ne peuvent pas nous mettre dehors dans vingt jours, comme ça. Arôme Maggi, comme tous les autres, regardait sa mère et l’admirait. Tous les autres, sauf Belvia qui, à genoux dans la poussière, priait. Vraiment ! Comme si Dieu avait le pouvoir d’empêcher les voleurs de voler. S’il avait pu cela, il y longtemps qu’il aurait empêché les violeurs de v****r et les moustiques de piquer. Mais c’est comme ça, il faut de tout pour faire un monde et une belle mondialisation. Difficile de dire comment s’est mis en place le collectif de résistance et de préciser qui a désigné les porte-paroles. Mais avec Gérard Doulpa et Boniface Batangafi, Rose Ngana se retrouva nominée. Il fallait une femme et elle était femme. « Collectif de Résistance » ça sonnait bien. Mieux certainement que armée de Résistance du Seigneur qui faisait la guerre depuis des années dans l’arrière-pays. « Que faire ? » Sans le savoir Gérard Doulpa qui était un m******n traditionaliste, venait d’articuler la grande question léniniste, la grande interrogation des révolutionnaires du monde entier. Premièrement une et deuxièmement une, le collectif écrivit une lettre au président Bocou Sanfouté, et une autre lettre à son ministre de l’Habitat et de la Construction. S’il n’y avait plus d’habitat public sous sa responsabilité, et si l’on ne construisait toujours pas, ce ministre-là ne servirait à rien après avoir servi à peu de choses. Lui aussi serait alors appelé à déguerpir. Il pouvait donc être un allié. Après avoir pris sa douche et vaporisé deux rations de déodorant sur son corps, Arôme apparut au pied de l’immeuble, devant tous, bien plus appétissante que n’importe quelle Vierge des églises. Elle informa : — Si vous devez vous transformer en déguerpis, moi aussi je serai une déguerpie, puisque j’habite là. Alors, moi aussi je veux mener le combat pour qu’on garde les logements. S’il faut une milice armée pour défendre les immeubles, je serai chef de la milice. Aussitôt, elle fut promue Conseiller militaire. Tous les musulmans, tous les catholiques et tous les apostoliques du quartier la regardèrent s’éloigner. C’était pas difficile de deviner les rêves culméniques qu’ils partageaient. La religion des hommes n’est pas seulement dans leur cœur quand même !
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