* Rose *
Nous sommes restés encore un moment dehors, dans les bras l'un de l'autre, assis sur le banc devant la maison. Jusqu'à ce que je frissonne.
- Tu as froid ?
- Un peu oui.
Il m'a pris dans ses bras et m'a porté jusqu'à l'étage. En haut de l'escalier, il m'a posé, et nous avons vu Amanda et ma mère passer avec le berceau, le sac à langer de Luna et Luna.
- Où vous allez comme ça ? M'exclamais-je.
- On s'occupe de la petite cette nuit, lança Amanda.
- On s'est dit que vous aviez besoin de vous retrouver... continua Élona.
Nous avons embrassé tous deux notre fille puis nous nous sommes éclipsés dans notre chambre.
Je me suis éveillée au milieu de la nuit, Julian avait fait du feu dans la cheminée. Il était debout près de la fenêtre et me tournait le dos. Comme il ne paraissait pas avoir entendu que j'étais réveillée, cette fois, j'ai pris mes précautions.
- Julian ?
Il s'est aussitôt retourné et m'a souri. J'ai soupiré de soulagement, et il m'a rejoint.
- Est-ce que ça va ? Lui demandais-je quand même un peu inquiète.
- Oui ne t'inquiètes pas.
- À quoi pensais-tu ?
Il a détourné la tête sans me répondre, et se perdit dans la contemplation du feu. J'ai pris son visage entre mes mains et l'ai obligé à me regarder.
- Aujourd'hui, je reste avec toi, mais dès demain, il faudra que tu t'occupes de Luna, je dois comprendre ce qui s'est passé, puisque tu ne peux pas m'en parler. D'accord ?
Il a acquiescé puis m'a embrassé. Je l’ai entraîné avec moi sur les oreillers et je me suis endormie dans ses bras, heureuse d'être amoureuse.
Nous avons passé notre journée tous les deux, allant embrasser notre fille de temps en temps, qui était restée avec Amanda et Élona. C'était la première fois que nous la laissions toute la journée, alors nous en avons tous profité. Julian s'est fait un plaisir de me remémorer les moindres détails et moindres instants que nous avions passés ensemble, quand nous nous sommes rencontrés. Il avait enregistré mes moindres gestes et regards, même ceux que j'avais cru avoir caché. Il m'a avoué également que le soir où je m'étais disputée avec ma sœur, le jour de notre rencontre, il m'avait espionné toute la soirée.
- Alors c'était toi, dans les broussailles ! M'exclamais-je en riant.
- Oui, désolé de t'avoir fait peur, mais pas de t'avoir espionné, ou plutôt admiré ! Même si ce n'était pas la première fois.
- Comment ça ? Demandais-je surprise.
- La première fois que je t'ai admiré, c'est quand tu me contemplais de derrière ton livre en pensant que je ne te voyais pas.
À ce moment-là, nous étions sur le plateau des rocheuses « du Loup blanc », et j'en ai profité pour aborder un autre sujet, bien plus sérieux.
- Que s'est-il passé après que je sois tombée ?
- Rose, on est vraiment obligé d'en parler ?
- S’il te plaît. Je sais que c'est affreux pour toi, mais je suis là, entière et toute à toi. Essaye de penser objectivement...
- Il a soupiré, mais m'a quand même raconté.
- Ton père et moi sommes redescendus chercher ta sœur. Et quand nous avons posé le pied à terre, nous avons pris conscience du drame. J'ai laissé Cara et Nathan faire leur deuil et me suis isolé juste après l'arrivée des secours. J'avais l'impression que l'on m'avait arraché le cœur, au début mes pleurs étaient évidemment sans larmes, et plus je prenais conscience de ton absence plus, ma douleur devenait physique jusqu'à ce qu'elle éclate en sanglots. Les pompiers et la police ont décrété que les recherches étaient impossibles, une enquête a été faite l'après-midi même, mais la police n'a rien trouvé d'anormal, même les pitons qui avaient lâché étaient à leur place. Je n'y comprenais rien, ton père non plus. Et malgré nos témoignages, ils ont conclu à un suicide. Ta sœur était tellement déboussolée qu'elle ne se souvenait de rien et a cru la police. Ton père a organisé une cérémonie, et nous avons mis une pierre en ton souvenir, sur le plateau des rocheuses. Nathan voulait rentrer et écourter son séjour, mais Cara qui s'était rapidement remise, a déclaré qu'il était or de question que tu lui gâches ses vacances, alors ils sont restés jusqu'à la fin de la semaine. Il avait bien trop peur de perdre son autre fille. Je passais voir ton père tous les jours, et il me parlait de toi. J'ai pleuré tous les jours jusqu'à la rentrée scolaire qu'il fallait que j'affronte quoi qu'il arrive, pour garder le cap et continuer à vivre. Alors le seul moyen que j'ai trouvé pour enfermer ma souffrance, c'était de faire le gros dur. Les petites racailles se sont mises à me suivre partout, ça ne me plaisait pas forcément, mais les gars s'étaient trouvés un chef et comme ils obéissaient à ma tête pleine de haine et de colère, je les ai laissé faire. C'est comme ça que je suis devenu « Julian la terreur ». Et puis comme ça j'étais sûr que les filles ne m'approcheraient pas.
Il a déposé un b****r sur mon front avant de conclure.
- Voilà, après, tu connais la suite...
- Je t'en ai fait baver... mais dis-moi, qu'est-ce qui t'est passé par la tête la première fois que tu m'as vu dans la salle de musique ?
- J'ai cru que j'avais des hallucinations, que je prenais mes rêves pour la réalité. J'ai encore plus douté de moi, quand j'ai vu ton regard, dur et méfiant. Quand j'ai ramassé ton stylo et effleuré ta main, j'ai ressenti cet amour que tu dégages toujours en ma présence, toujours plus fort au début, quand je te parle, que je te touche ou bien simplement quand tu me vois entrer dans la pièce, comme si tu envoyais des ondes, chaque premier contact avec cette onde est plus forte que la constante.
- Je ne savais pas. (Cela m'a fait sourire)
- Et puis quand nos regards se sont affrontés et que tu as détourné les yeux, alors à cet instant, j'ai compris que je ne rêvais pas. Mais tu n'imagines pas le choc, quand j'ai entendu que tu répondais au nom d’Andrew !
Nous avons ri, et le son de mon rire a été dérangé par un frisson. Toujours prévenant, Julian avait prévu une couverture dans laquelle il m'a enveloppée.
- Tu as cru que c'était une mauvaise blague ?
- Oui en effet, alors j'ai voulu en avoir le cœur net et après t'avoir observé, j'ai décidé de t'aborder.
- Je me souviens d'avoir eu cette impression d'être épiée...
- C'était moi.
- Toujours pas désolé, j'imagine ?
- Non, pas le moins du monde !
Je me suis tournée vers lui, et il m'a embrassé. Il m'a fait remarquer que mes lèvres étaient gelées, alors nous nous sommes levés et comme la piscine couverte était quasi vide, nous sommes allés y passer notre fin d'après-midi.
- Comment ma mère a-t-elle réagi en te voyant arriver chez moi au milieu de la nuit ?
- Plutôt bien, nous ne nous connaissions pas encore, mais elle savait qui j'étais et ce que je signifiais pour toi, avant même que tu t'en souviennes !
- Voilà pourquoi elle m'a presque jeté dans tes bras le lendemain matin ! Et tu étais vraiment resté toute la nuit ?
- Oui, dont une bonne partie à te regarder dormir.
Nous avons lézardé sur les chaises longues jusqu'à ce que la piscine ferme ses portes, et nous sommes rentrés. Luna dormait déjà, et c'est tout juste si on a fait attention à nous quand nous sommes arrivés. Elles étaient toutes les trois devant un film, alors nous ne les avons pas dérangées plus longtemps et sommes montés profiter de notre soirée et de notre nuit en amoureux.
Je me suis levée tôt le lendemain matin, il faisait encore nuit quand je m'apprêtais à partir.
- Je ne peux vraiment pas t’accompagner ? Me demanda Julian, pas très rassuré à l'idée de me laisser partir, sans savoir quand je rentrerais.
- Non, il ne vaut mieux pas. La magie du canyon est imprévisible, ici, je suis sûr que tu es en sécurité. Et je ne sais pas à quoi m'attendre, alors autant que je sois seule. Je te promets de revenir au plus vite. Je t'aime.
Je l'ai embrassé passionnément.
- Je t'aime aussi.
Je me suis habillée chaudement, j'ai embrassé Luna et suis partie sans me retourner. J'avais trop peur de lire la peine et la crainte sur le visage de Julian.
J'ai traversé le camping jusqu'à l'autre bout, où je savais que je trouverais le chemin qui mènerait directement au plateau des rocheuses « des Vampires de l'Ouest ». Tout le camping était plongé dans le silence et la nuit, éclairé par le peu de bougies encore allumées dans les lampadaires. J'étais donc sûr de n'y croiser personne. J'ai arpenté le petit chemin caillouteux et escarpé durant une bonne demi-heure. Le plateau était sec et venteux, rien n'y avait poussé. Le ciel commençait tout juste à s'éclaircir, et j'ai aperçu dans un coin par terre, une pierre un peu différente. En m'approchant, j'ai découvert qu'il s'agissait de la pierre commémorative dont Julian m'avait parlé la veille, celle qu'ils avaient faite pour moi. Mon ancien nom, l'année de ma naissance et celle de « ma mort » étaient gravés sur cette pierre. J'ai eu un pincement au cœur, en imaginant mon père et Julian pleurants à cet endroit. Puis j'ai posé ma main sur la pierre ; au même instant, deux tiges de lierre sont sorties du sol de chaque côté et commençaient à l'envelopper doucement. À présent, le temps terminerait le travail.
Je me suis approchée du bord de la falaise, et j'ai entendu ce son familier, l'appel de la nature, celui qui m'avait guidé deux jours plus tôt. En regardant en bas, je ne voyais rien d'autre qu'une grosse masse noire, qui me semblait cacher quelque chose. Si j'étais tombée là-dedans et que j'en étais ressortie vivante, c'est qu'il y avait forcément quelque chose. Et il était temps d'aller à sa découverte. J'ai reculé de quelques pas pour prendre mon élan, et j'ai sauté dans le vide (c'était juste pour avoir un peu de sensation forte). Bras écartés, j'avais l'impression que c'était l'effet ressentit quand on saute en parachute, mais je n'ai guère mis plus de quelques secondes pour sortir mes ailes, tout de même. Ensuite, j'ai foncé en piquée vers le bas, dans les profondeurs obscures du canyon. Je n'étais pas très rassurée, mais je gardais en tête pourquoi je le faisais.
Je me suis arrêtée un instant, pour observer cette substance noire. C'était un épais nuage noir. En le traversant, je me suis aperçu qu'il était très froid. Heureusement que j'avais eu la bonne idée de bien me couvrir avant de partir. Le nuage devait faire un bon mètre d'épaisseur. J’ai atterri dans une petite clairière, au pied des rocheuses, entourée d'une forêt plutôt sombre. L'épais nuage qui flottait au-dessus assombrissait d'autant plus le paysage, seuls quelques rayons du soleil levant arrivait à pénétrer cette masse nuageuse, et offraient un peu de luminosité dans cet endroit peu rassurant, tel un clair de lune. C'en était presque sinistre.
J'entendais des murmures et des bruissements, à l'orée de la forêt. J'ai fixé les arbres quelques minutes, jusqu'à ce que mes yeux s’habituent à l'obscurité. Puis j'ai enfin aperçu quelques choses qui me semblaient être des visages. Je me suis approchée lentement de l'orée de la forêt, mais j'ai à nouveaux entendus des bruissements et les visages ont disparu.
- Attendez ! Ne partez pas ! Je ne veux pas vous faire de mal !
Personne ne m'a répondu, mais j'ai senti que l'on tirait sur le bas de ma veste. J'ai baissé la tête pour regarder, et là, j'ai vu une jolie petite fille, aux ailes bleues, vêtue de la même manière que les fées décrites dans les contes que l'on m'avait lus quand j'étais petite, les cheveux longs, bruns et bouclés, avec de beaux yeux bleus. Elle devait n'avoir pas plus de six ans.
- Bonjour toi ! Lui dis-je avec le sourire.
- Bonjour.
- Comment t'appelles-tu ?
- Je m'appelle Ondine, et toi ?
- Enchantée Ondine, moi, c'est Rose. Tu voudrais bien m’aider ?
- Je suis là pour ça. Les autres ont eu peur, mais moi, je suis sûr que tu es gentille. Viens, je t'emmène voir la reine.
- Elle m'a tendu sa petite main, que j'ai saisie délicatement.
- La reine ? Tu peux faire ça toi ?
Elle se mit à rire.
- Bien sûr, c'est ma tantine.
- Est-ce qu'elle est aussi gentille que toi ?
- Oui, il ne faut pas avoir peur, il n'y a que les méchants à qui elle fait couper la tête !
J'ai sursauté et j'ai dégluti bruyamment. Elle s'est remise à rire, et m’a entraînée à travers le champ. Arrivées de l'autre côté, nous avons emprunté un chemin dans les bois, qui nous a menées à un village. Toutes les constructions rappelaient celles du camping. Toutes de bois et de verdure construites, sur chacune des maisonnettes des écriteaux indiquaient que c'étaient des boutiques.
- Où sont vos maisons ? Demandais-je à Ondine.
- Là-haut !
J'ai levé la tête pour regarder ce qu'elle m'indiquait du doigt. Dans les grands arbres, d'énormes cabanes étaient construites. Je m'émerveillais devant la beauté qu'offrait le paysage, et me suis dit qu'il serait encore plus beau si la lumière du soleil pouvait l'atteindre sans être gênée par cette masse nuageuse. Mais je ne pouvais m'attarder plus longtemps, parce que Ondine me tirait par la main.
- Aller, dépêche-toi, le palais est encore loin !
Nous avons traversé le village qui était désert, parfois, nous devinions que nous étions observées, mais personne n'a pris le risque de m'approcher. À la sortie du village, nous avons emprunté un chemin plus large, que la forêt n'envahissait pas et nous pouvions voir la lumière s’accroître au fil des minutes, à mesure que le soleil montait dans le ciel. Cela devait probablement être ce qu'eux devaient appeler « route », on pouvait discerner des traces de fines roues, appartenant certainement à des chariots.
Après une bonne heure de marche, nous avons débouché sur une clairière au pied d'une colline, où se trouvait un immense château. La structure de pierre était recouverte de plantes grimpantes, d'où s'épanouissaient des fleurs de toutes sortes et de toutes les couleurs possibles et imaginables. Des remparts s'élevaient tout autour du domaine, mais contrairement à ce que l'on aurait pu penser, ceux-ci n'étaient pas en pierres, mais en branchages. Des branchages entremêlés si finement, qu'ils me faisaient penser à un tissage sur toile. Ils avaient certainement été créés à partir d'un puissant sortilège de protection. Les remparts laissaient juste un passage, auquel nous avions accès iniquement par un pont-levis (en effet, plus nous approchions plus je sentais mes ailes s'affaiblir. Probablement un autre sortilège, pour empêcher les attaques par les airs.). Le passage formait une arche, sur laquelle était sculpté en grosses lettres :
« Sincère et juste, tu serras,
Amour et passion, tu connaîtras,
Solutions et réponses, toujours, tu trouveras,
Mais à condition que pur, ton cœur soit. »