CHAPITRE V - L’exercice, l’escarpolette, l’orage et la musique-2

2002 Words
– Est-ce que vous croyez que je n’ai pas des yeux ? c’est par trop visible. On se contraint, au moins ! – Mais… – Taisez-vous ! – Eh bien ! dit Athalie qui s’aperçoit que le mouvement de la balançoire se ralentit ; que faites-vous donc, monsieur ? Vous n’allez plus, vous me laissez là ; mais je ne veux pas encore cesser. Est-ce que vous êtes déjà las ? Ah ! c’est honteux ! un jeune homme ! Dans ce moment arrive M. Monin, qui, voyant que son hôte s’obstine à faire l’exercice jusqu’à l’heure du dîner, et ne se sentant plus la force de continuer, vient d’abandonner la bêche et s’est dirigé vers le jardin où, tout en s’essuyant le front, il cherche dans sa tabatière de quoi rafraîchir ses idées. – Vous arrivez bien à propos, monsieur Monin, dit madame Destival ; il faut absolument un balanceur à madame. Allez donc lui rendre ce service, elle en sera enchantée. En disant cela, Émilie se lève, prend le bras d’Auguste, et l’entraîne d’un autre côté du jardin, laissant Monin tout étonné de la besogne dont on vient de le charger, et Athalie sur la balançoire, qui, tournant le dos aux autres personnages, ne s’est point aperçue de leur départ, et ignore encore qu’elle vient de changer de balanceur. – Eh bien ! poussez-moi donc, monsieur ! dit la petite-maîtresse en s’agitant fur la balançoire pour tâcher de la faire aller elle-même. Monin se réconforte avec une nouvelle prise et se dirige vers l’escarpolette ; mais, n’ayant pas bien calculé le chemin que la balançoire fait en revenant en arrière, au moment où il relève ses manches pour mieux pousser, la planche revient sur lui, et les formes rondelettes de la jeune femme le frappent au milieu du visage. Monin, étourdi par le coup, tomber sur le gazon à quelques pas de là ; madame de la Thomassinière pousse un cri, parce que le nez de Monin a failli la faire glisser de dessus sa, planche. – Que vous êtes maladroit, s’écrie-t-elle ; si je n’avais pas tenu fort, je tombais ; allons, venez m’arrêter et m’aider à descendre… Eh bien, monsieur, est-ce que vous allez me laisser là ? Monin n’était pas leste à se relever, et il cherchait sa tourte que la balançoire lui avait emportée, tout en murmurant : – Je suis à vous dans la minute, madame… C’est que si je revenais sans ma tourte, ma femme me ferait une scène !… Impatientée, Athalie tourne la tête et aperçoit Monin cherchant à grimper à un arbre pour atteindre sa casquette que la balançoire a envoyée sur une branche fort élevée. La jeune femme part d’un éclat de rire, puis se jette à bas de la balançoire, et s’éloigne en cherchant Auguste et madame Destival sous chaque bosquet. Après avoir parcouru inutilement le jardin, elle revient à la place où elle a laissé Monin ; il est encore au bas de l’arbre où il a vainement essayé de grimper, regardant d’un air désolé sa tourte, logée sur une branche qu’il ne peut atteindre, et cherchant dans sa tabatière le moyen de la ravoir. – Par où sont-ils donc passés, monsieur ? dit la vive Athalie en s’arrêtant devant Monin ; celui-ci roule ses gros yeux autour de lui en disant : – Qui ça, madame ? – M. Dalville et madame Destival ? – Je ne vous dirai pas… à moins qu’ils ne soient aussi allés faire l’exercice… Athalie se dirige vers la maison ; M. Destival est encore sur la terrasse avec Bertrand. La jeune femme se rend au salon ; il est désert. – C’est très aimable, dit Athalie ; ce monsieur est fort galant ! Il paraît qu’ici on ne se gêne nullement… Je voudrais pourtant bien savoir si M. Dalville est avec madame Destival… Madame avait la migraine ; je suis curieuse de savoir comment elle fait passer cette migraine-là… La petite-maîtresse quitte le salon, parcourt plusieurs pièces, ne rencontrant personne, car Julie et Baptiste sont occupés à la cuisine, et les trois laquais de M. de la Thomassinière sont allés jouer à l’oie dans le village. Athalie monte au premier, où est la chambre à coucher de madame Destival ; mais la porte de cette pièce est fermée, et la clef est ôtée. – Elle est chez elle, se dit la petite-maîtresse ; et elle frappe légèrement à la porte. On ne répond pas : elle frappe plus fort. En fin la voix de madame Destival se fait entendre et demande qui est là. Ah ! vous voilà donc, Monsieur, s’écrie Mme Monin. – C’est moi, ma bonne, répond Athalie. Je viens causer avec vous. – Ah ! pardon… c’est que je dors un moment ; ma migraine est tellement augmentée… – J’en ai une aussi et je me reposerai un instant chez vous ; cela me fera du bien. – Est-ce que Julie ne vous a pas montré votre chambre ? – Non, ma petite ; ouvrez-moi donc ! Madame de la Thomassinière ne veut pas s’éloigner : au bout de quelque temps on lui ouvre. Madame Destival paraît dans un désordre naturel chez quelqu’un qui s’était mis sur son lit. En entrant, Athalie jette un coup d’œil dans sa chambre, et ses yeux voudraient bien pénétrer dans un petit cabinet vitré qui est au pied du lit et dont la porte est exactement fermée. – Dieu ! que la tête m’élance ! dit madame Destival en portant la main à son front. – Cela ne va donc pas mieux ? dit Athalie en s’asseyant sur une dormeuse. – Oh ! bien au contraire. – Recouchez-vous, ma chère ; moi, je vais m’étendre sur cette dormeuse, je ne serai pas fâchée de me reposer aussi. Ce grand soleil me fait mal aux nerfs. Madame Destival ne paraît plus vouloir se remettre sur son lit ; elle se promène dans la chambre avec impatience, en disant : – Oh ! non, je ne veux plus dormir, l’heure du dîner s’approche. – Ah ! comment faisiez-vous pour reposer ici ? votre mari fait un train avec ses « en avant ! on joue ! » – Cela ne me gênait pas du tout. – Et qu’avez-vous fait de M. Dalville ? – Moi ? mais, rien. – Je le croyais avec vous. – Avec moi ? – Quand vous m’avez abandonnée sur la balançoire, ne l’avez-vous pas emmené, en me laissant à la place cet aimable M. Monin, dont la société est si amusante ? – M. Auguste m’a quittée sur-le-champ ; il sera allé faire un tour dans le village. – Savez-vous, ma bonne, que je n’ai pas reconnu M. Dalville après le portrait que vous m’en aviez fait. D’abord, vous disiez qu’il n’était pas bien, qu’il avait l’air commun. – Ah ! je n’ai pas dit commun, je vous jure ! – Qu’il n’avait pas bon ton, que c’était un libertin, un mauvais sujet, un homme dont les visites pouvaient compromettre une femme. – Ah ! ma chère, vous exagérez ! – Pardonnez-moi ! oh ! vous avez dit tout cela, vous m’en aviez fait un portrait affreux ! Moi, je le trouve fort bien, au contraire, il a des manières que j’aime beaucoup ! – C’est très heureux pour lui, madame. – Eh bien ! qu’est-ce que vous faites donc ? vous mettez votre ceinture à l’envers. – Ah ! c’est vrai ; j’ai des distractions. – Voulez-vous que je vous noue votre robe, ma bonne ? – Merci, je m’habille moi-même. Dans ce moment le bruit de quelque chose qu’on appuie contre la fenêtre fait tressaillir Émilie. – Qu’est-ce que c’est que cela ? dit-elle. – C’est dans ce cabinet, je crois, que quelque chose est tombé. – Non, madame ; le bruit n’est pas venu de ce cabinet, c’est à la fenêtre. Les dames s’approchent de la fenêtre, et voient monsieur Destival qui vient d’appliquer une échelle contre la croisée de la chambre de sa femme. – Qu’est-ce que vous faites donc, monsieur ? dit madame Destival avec effroi ; que veut dire cette échelle, ce désordre ? – Ma chère amie, je sais toutes les évolutions possibles ; il je me reste plus qu’à monter à l’assaut, c’est le bouquet, à ce que dit Bertrand, et c’est ce qu’il va me montrer. Vous, mesdames, vous êtes dans la forteresse, vous représentez les ennemis ; vous nous repousserez, mais nous entrerons dans la place malgré vous. – Que signifie cette extravagance, monsieur ? – Je vous dis que c’est le bouquet, madame. Allons, Bertrand, une ! deux ! au pas de charge n’est-ce pas ? – Je ne veux point que vous montiez à l’assaut, monsieur ! Bertrand, je vous en prie, ôtez cette échelle. Vous êtes fou, monsieur ! Est-ce qu’on monte à l’assaut pour prendre un loup ? – On ne sait pas ce qui peut arriver, madame. – Je sais que vous n’arriverez pas chez moi, monsieur ? En disant cela, madame Destival ferme sa fenêtre avec violence, et entraîne madame de la Thomassinière hors de sa chambre, en lui disant. – Descendons, ma chère, descendons, je vous en prie, car, avec leur exercice, ils mettront ma maison sens dessus dessous. Les dames se rendent sur la terrasse, où M. Destival tient toujours son échelle, que Bertrand veut en vain lui enlever. L’homme d’affaires est décidé à monter quelque part : – Eh ! mon Dieu ! monsieur, s’il faut absolument que vous assiégiez quelque chose, dit madame Destival, que ce soit un arbre du jardin, et non pas mon appartement. Bertrand adopte cette idée, et Athalie engage ces messieurs à attaquer l’arbre sur lequel est logée la tourte de M. Monin ; on se rend près de la balançoire, et l’on trouve l’ex-pharmacien entourant de ses bras courts et gros l’arbre après lequel il voudrait monter, et ne pouvant réussir à s’élever à plus de trois pouces du sol. La vue de l’échelle fait pousser un cri de joie à Monin, il se confond en remerciements quand M. Destival y monte au pas de charge, ne doutant pas que cette manœuvre n’ait pour but de lui rendre sa casquette ; mais c’est avec la baïonnette que M. Destival veut prendre ce trophée, et la pointe de son arme passe à travers le fond de la tourte, qui est en mince sparterie. Bertrand crie : Bravo ! Monin fait la grimace, les dames rient, et Auguste arrive pour être témoin de ce tableau. Auguste adresse un sourire charmant à madame de la Thomassinière, et un salut assez froid à madame Destival. Je ne sais si vous en devinez la cause ; mais ces dames ne s’y méprirent point. – Vous venez du village, monsieur, dit la petite-maîtresse montrant ses jolies dents. – Oui, madame, j’ai fait une promenade instructive, j’ai acquis quelques connaissances nouvelles, et j’espère les mettra à profit. – Le dîner est sur la table, dit un petit homme maigre et jaune en accourant la serviette sous le bras. C’est Baptiste, le valet de la maison, qui sert à la fois de frotteur, de cuisinier, de laquais, de coureur et de maître d’hôtel, en attendant que M. Destival ait achevé de monter sa maison. Aussi le pauvre Baptiste est-il sur les dents, et dit-il tous les jours à Julie qu’il ne veut pas rester dans une baraque où on lui fait faire un service de cheval. – Dites donc qu’on a servi, Baptiste. Ce drôle-là ne se formera jamais ! Allons, mesdames, à table. Ouf ! je l’ai bien gagné. J’ai terriblement manœuvré aujourd’hui. Tenez, Monin, voici votre casquette. Avez-vous vu comme je vous ai enlevé çà ? – Vous l’avez trouée, dit Monin en regardant d’un air piteux le fond de sa tourte rabattue. – Ah ! ma foi, dans le feu de l’action ! La baïonnette en avant. Une, deux ; n’est-ce pas, Bertrand ? Mais ces dames sont déjà parties. Allons attaquer le dîner maintenant, je compte y faire une terrible brèche. Bertrand, allez rejoindre Julie, elle aura soin de vous. Bertrand se rend à l’office ; et Monin, après avoir essayé de rapprocher les pailles pour boucher le trou fait à sa casquette, Suit son hôte dans la salle à manger. Tout le monde est à table, lorsque M. Destival s’écrie : – Eh bien ! et M. de la Thomassinière ? il nous manque encore ! – Ah ! c’est vrai, je ne pensais plus à mon mari ! dit Athalie en souriant à son voisin de droite, et ce voisin est Auguste, qui est placé entre les deux dames. Oh ! il ne faut pas l’attendre. – C’est fort contrariant ! où diable est-il allé ? Est-ce qu’il se serait égaré dans la forêt de Bondi ? – Elle est, très dangereuse ! dit Monin en attachant sa serviette à sa boutonnière ; on dit qu’il y a dans ce moment une tonde de voleurs, qui… – Si je disais à vos trois laquais de faire une battue dans les environs. Qu’en pensez-vous, madame ? – Eh non, monsieur ; ne vous occupez pas de mon mari, je vous en prie. Je vous assure qu’il se retrouvera ! Je n’en suis nullement inquiète. – Puisque madame n’est pas inquiète, dit madame Destival en se pinçant les lèvres, il me semble que nous aurions tort de l’être. D’après cela, nous pouvons dîner. – Dînons, soit. Une, deux, sur le potage, et, par le flanc gauche sur le bœuf. – Ah ! monsieur, est-ce que vous n’allez plus nous parler que par une, deux ? – Ma foi, madame, cette journée m’a donné beaucoup de goût pour l’état militaire. Que c’est beau un homme qui se tient bien droit ! le corps effacé. Passez-moi les légumes. Votre Bertrand est d’une terrible force ; il connaît à fond son art ! Peste ! quel luron ! Comme ça vous manie un fusil ! Il m’a dit qu’il était content de moi. Encore trois ou quatre leçons, et j’espère. – J’espérais, monsieur, que vous en saviez bien assez. – Madame, un homme ne saurait trop bien connaître le maniement des armes. Je voudrais maintenant que des voleurs vinssent nous attaquer ! – Est-ce que vous leur feriez faire l’exercice, monsieur ?
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