Chapitre 1

687 Words
Chapitre 1 La salle bertillon résonnait du bruit de conversations joyeuses et d’éclats de rire. Le directeur de la PJ venait de remettre les insignes d’officier de la Légion d’honneur au commissaire divisionnaire Victor Maupas. Après les discours, tout le monde se rua sur les petits fours et le champagne. Congratulé par ses collaborateurs, Maupas se sentait cependant un peu nostalgique. Certes, il ne pouvait bouder son plaisir de se voir honoré par la République. Encore que… Combien d’autres l’auraient tout autant mérité ? Mais il n’ignorait pas que cette promotion coïncidait avec sa retraite proche. Loin de s’en réjouir, il appréhendait ce tournant. À l’opposé de sa brillante carrière, sa vie familiale confinait au désastre : un divorce prononcé depuis de nombreuses années, deux fils déjà trentenaires et avec lesquels il entretenait des rapports trop distendus pour qu’un lien affectif solide persiste. Maupas avait beau s’être acquitté de ses obligations « alimentaires » avec une ponctualité d’horloge suisse, il était bien conscient que cela ne suffisait pas. Après une adolescence passée à Lyon avec leur mère, secrétaire administrative à la préfecture, les deux garçons avaient réussi leurs études. Jérôme était chirurgien-dentiste, et Sylvain travaillait dans l’informatique. Ils avaient procréé quasiment au même moment. Victor se savait grand-père depuis un an, mais ne connaissait ni sa petite-fille ni son petit-fils. Éprouvait-il d’ailleurs le besoin de s’occuper de ces bouts de chou ? Rien n’était moins sûr. – Eh bien, Patron, vous semblez bien sombre ! C’est pourtant une belle journée. Nous sommes tous fiers de vous, dit Claude Chaudron, rayonnante, une coupe de champagne à la main. Maupas prit un sourire un peu forcé et trinqua avec la jeune chef de groupe, qu’il estimait beaucoup. – Pas du tout, commandant, j’étais juste en train de me demander comment j’allais occuper ma retraite… Vous comprenez, n’est-ce pas ? – Ah… Arrêtez d’y penser, vous allez me déprimer ! – À vrai dire, je regrette un peu que Buchot ne soit pas là. Je l’avais invité, mais il est très âgé maintenant. J’aurais dû envoyer quelqu’un le chercher, mais les effectifs étant ce qu’ils sont… – Je comprends… Claude connaissait la fidélité de Maupas en amitié, et avait déjà entendu parler de l’ex-commissaire divisionnaire Buchot. Approchant de quatre-vingt-quatre ans, celui-ci habitait toujours dans son pavillon du Perreux et refusait obstinément de le quitter pour aller dans une maison de retraite. Heureusement, il était encore autonome, aidé par la fidèle Maria, sa femme de ménage depuis trente bonnes années. Maupas, qui avait travaillé sous les ordres du divisionnaire et résolu un certain nombre d’affaires importantes avec lui, lui rendait souvent visite. Pascal Capetti les rejoignit, posant au passage une main possessive sur la chute de reins de Claude, qui esquissa un mouvement de recul. Elle détestait ces privautés en public, même si leur liaison n’était plus un secret pour personne. – Bravo, Victor, enfin une décoration méritée ! Et désolé pour mon retard. – Pas grave, l’important c’est que tu sois là, répondit l’intéressé en levant à nouveau son verre. Claude s’éloignait pour rejoindre les membres de son groupe, mais Maupas la rappela. – Commandant Chaudron, je voudrais vous dire un mot. Elle fit demi-tour, laissant Capetti continuer son chemin vers le buffet. – Commandant, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour vous. L’intéressée leva un sourcil avec une expression qui lui était familière et le regarda d’un air interrogateur. – Vous commencez par la bonne, Patron ? Son interlocuteur sourit d’un air malicieux. – Compte tenu de votre activité et de vos bons résultats, votre groupe est étoffé, il va passer à sept membres. Ce sera en quelque sorte mon cadeau de départ, ajouta le commissaire de section avec une mine de circonstance. Elle préféra ignorer cette nouvelle allusion. – Et la mauvaise ? – Il va falloir vous serrer, nous n’avons pas de locaux supplémentaires à vous offrir, vous connaissez les lieux comme moi… – Ça, je m’en doutais… Claude partageait déjà son bureau avec son adjoint Pivert, au quatrième étage. Un bureau éclairé seulement par un Velux, garni de barreaux comme toutes les fenêtres du 36 depuis le spectaculaire suicide de Richard Durn en 2002. – Il s’agit d’un jeune policier d’origine asiatique, vietnamienne pour être plus précis, le lieutenant Tran. Il était à la PJ de Nantes. – Eh bien, on l’accueillera avec plaisir. Quand nous rejoint-il ? – Dès la semaine prochaine. – Je vais tout de suite voir avec les membres du groupe comment lui aménager un coin. On pourra quand même récupérer un ordinateur ? – Bien sûr ! Les finances sont basses, mais pas à ce point, conclut Maupas, retrouvant le sourire.
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