Chapitre 3

2219 Words
«Quand j'ai rencontré Ethan pour la première fois, il manquait véritablement de joie de vivre et semblait mature pour son âge. Peu importe ce qu'il avait dû traverser, il méritait d'être heureux et de vivre dans l'insouciance comme tout enfant. Ce fut le déclic, j'eus cette soudaine envie de le couvrir d'amour et d'attention à chaque seconde et ce besoin grandissait de jour en jour. Je voulais lui faire savoir qu'il n'était pas seul et qu'il pouvait compter sur moi pour surmonter cette épreuve. Il venait de perdre la mémoire, son identité avait été arrachée brusquement. Il se retrouvait tout seul dans un pays qui baignait encore dans les lamentations, le feu et le sang. Grand-père me reprochait d'en faire trop car au lieu de l'apaiser "je l'étouffais"... Peut-être que c'était le cas... Je ne sais pas...» Nadia mâchait lentement, perdant peu à peu l'appétit alors que son cœur se serra aux quelques souvenirs qui lui revinrent en mémoire. «Je voulais juste qu'il s'épanouisse et bien sûr une enfance normale était trop demander mais c'était mon désir pour lui... Et puis tout ça arriva. Je ne m'attendais pas à ce que les choses dégénèrent de la sorte. Tout cela m'affecte encore grandement mais malgré celà, il n'est pas question de m'empêcher de profiter de chaque instant passé à ses côtés, je suis heureuse qu'il fasse partie de ma vie... Seulement voilà, je me demande si c'est aussi le cas pour lui. Est-il heureux ? Serait-ce déplacé de lui poser la question maintenant ?... » La jeune femme submergée dans ses pensées, tressaillit légèrement quand la voix d'Ethan lui parvint enfin —Hé Nadia, t'écoutes au moins ? —Ah non désolé, admit-elle entre deux battements de paupières, que disais-tu ? Si Ethan semblait s'en préoccuper, il ne laissa rien paraître, au lieu de ça, il avala une énorme bouchée de son petit-déjeuner et reprit nonchalamment —Je disais qu'il n'y a que toi pour avoir un appétit d'ogre dès le matin. Elle gloussa sans surprise —Tu peux parler ! Ce n'est pas moi qui ai une montagne de pancakes enrobés au sirop de mangue. Repliqua-t-elle en levant son verre pour le porter à ses lèvres. Ethan ouvrit grand les yeux, surpris mais avec une pointe de méfiance. —Hein ? Comment tu le sais ? —Je le sais c'est tout ! La jeune femme fit un petit sourire entendu mais juste après eût l'air contrariée de part son froncement de sourcils. —Je ne peux pas y veiller mais j'espère que tu as une alimentation saine et variée... Parfois ça m'inquiète. —Bien sûr ! Tu m'as déjà entendu me plaindre d'indigestion ou quelque chose du genre ? Retorqua-t-il sans gêne tout en sirotant une canette de soda. Nadia secoua la tête par incrédulité. Elle ne pouvait pas le vérifier par elle-même évidemment, c'est son grand-père qui a toujours eu soin de l'informer de ses fâcheuses habitudes. Elle voulait l'entendre le dire tout simplement. —Tu ne t'attends pas à ce que je te fasse un dessin, n'est-ce pas ?! Dit-elle ensuite. L'adolescent dû se retenir de rire —Nah! Ne te donnes pas cette peine sœurette mais tu peux toujours essayer, chantonna-t-il en se levant. Tu sais ça fera un souvenir de plus quand tu auras recouvré la vue Nadia ne dit rien et sourit à la place, elle ne se sentait pas du tout offensée. Au contraire quand Ethan s'exprimait à elle aussi ouvertement, ça lui faisait chaud au cœur. Elle n'a jamais voulu qu'il la traite comme une personne fragile qui paraît consternée lorsqu'on mentionne son handicap d'une quelconque manière. «... Quand j'aurai recouvré la vue hein ! Venant de lui, ça ne m'étonne pas » Ethan tantôt serein, fut bientôt assailli par les flashs de son rêve "souvenir" de cette nuit. Son regard s'assombrit, alors qu'il méditait sur le fait d'en parler ou pas. Mais au même moment, il fut tiraillé par une pincée de culpabilité, une grosse boule d'amertume remonta de son estomac et vint se loger dans sa gorge. «Encore difficile à digérer hein ? Quelle blague !» Et dire qu'il pensait avoir enfoui ces ressentiments au plus profond de son âme. Comme ce cauchemar. «Après tant d'années, ils reviennent tous au galop.» Il avait l'impression que cette journée serait inhabituelle. Au fond de lui, il sait que ce sera le cas. Il Jura intérieurement mais reprit tout de suite son calme. « Au diable tout ça !» Il sait que le moment est vraiment mal choisi, évoquer tout ça maintenant serait trop délicat même pour lui, de plus le sujet n'a pas été abordé depuis très longtemps. « Je dois attendre le bon moment et trouver les mots justes. Espérons que c'est pour bientôt» Ethan soupira d'un air mélancolique puis débarrassa la table et commença à faire la vaisselle. Tout était calme hormis Nadia qui fredonnait au rythme de la musique. Quelques minutes plus tard, Ethan avait fini et s'essuya les mains, il enfila ensuite sa montre bracelet mais tiqua à l'heure. —Bon j'y vais ! Il ôta le tablier et revêtit son blouson puis souleva sa bandoulière avant d'ajouter d'une voix emplie de sarcasme. —Aussi vrai que ça m'ennuie de ne pas faire de grasse mat un week-end, j'ai des obligations. Et je compte bien arriver à l'heure, pas comme certain... —Hum ! J'espère que tu ne fais pas allusion à moi ! interrompit subitement la voix bourrue d'un vieil homme qui descendit des escaliers, de son visage cerné se traçaient quelques marques de fatigue. Deux têtes pivotèrent en direction du nouveau venu. —Tu l'as dit, pas moi ! Balança Ethan d'un sourire amusé. Tu vois, à un moment donné j'ai cru qu'on devait sinquiéter d'une probable inversion de ton cycle nycthéméral. Le vieil homme grogna dans sa gorge avant de dire à haute voix. —Si tu me cherches si tôt le matin, sache que tu ne vas pas t'en sortir cette fois-ci, gamin impertinent ! Réprimanda le vieil homme d'une voix rude mais somnolente avant de lâcher un bâillement —Grand-père, nous allons être en retard pour l'ouverture de la clinique, intervint Nadia comme un effet tampon car après tout, elle sait à quoi s'attendre avec ces deux-là. Pour toute réponse, Le vieil homme soupira de lassitude alors qu'il déposa une blouse blanche sur une chaise. Il se dirigea vers la radio et changea de chaine stéréo pour une fréquence d'informations. —Cet assemblage de sons ne devrait être appelé de la musique, il me donne mal à la tête... Maugréa le dénommé Lukas Ethan haussa des épaules et parla d'un ton exaspéré —Ah ! Faut pas te frustrer pour tout et n'importe quoi le vieux ! T'as déjà plein de cernes indélébiles après tout. Puis il se secoua la tête et fit un sourire amusé. —Même si entre nous ce n'est pas une longue nuit de sommeil qui va arranger quelque chose Nadia expira bruyamment. Incroyable ! C'est une vrai habitude chez Ethan, il ne peut pas s'empêcher de taquiner le vieil homme... —Tu es encore là toi ? Files au lieu de radoter ! Grommela Lukas sous sa moustache alors qu'il fixa le plus jeune d'un air ennuyé. Tu n'as même pas une once de respect en toi et morveux comme tu es, ça m'étonnerait vraiment qu'un jour tu hérites de ces lignes de sagesse. ...Et vice versa. Le sourcil arqué, Ethan fixa drôlement son grand-père de cœur. —Un morveux je suis, un aïeul tu es ! On est quittes ! Puis il fronça les sourcils et plissa ses lèvres comme s'il venait de se rendre compte de quelque chose. —Attends ! Lignes de sagesse t'as dit ? Nadia secoua la tête d'exaspération «Certaines choses ne changeront jamais» Quelques secondes plus tard, Ethan retint son ventre alors qu'il riait bruyamment aux éclats. —Ah ah ah ah ! T'en as de bien bonne le vieux ! Ah euh ! Désolé je voulais dire Oh ! Grand sage aux gracieuses lignes de sagesse. —Ethan ! S'il-te-plaît... Implora Nadia, une main caressant son chien. Son ton était exaspéré mais les coins de sa bouche pointaient vers le haut —Oui oui désolé... Il toussota pour se calmer mais son sourire moqueur ne le quitta plus —Bon je file les gens ! D'ailleurs, vous devez aussi vous dépêcher, la clinique ne va pas s'ouvrir toute seule. Salut ! —A ce soir Ethan ! La porte claqua. —Hn ! C'est pas trop tôt ! —Ah ! Soupira Nadia à l'égard de son grand-père. C'est ainsi qu'une nouvelle bien que typique journée pour la famille Trybett débuta. Pour Ethan, ça fait huit ans qu'il mène ce quotidien banal. Lukas tenait une modeste clinique résidentielle ouvert 7j/7 de 7h30 à 23h et Nadia tant bien que mal l'assistait. Bien que cela pouvait largement suffire aux besoins quotidiens, Ethan avait réfuté l'idée d'en dépendre totalement. Alors à l'âge de 15 ans, il commença à enchaîner de petits jobs. A 17 ans bien qu'il soit encore un lycéen, c'est devenu une nécessité pour lui, outre que gagner de l'argent, il s'était dit que de cette façon, il trouvera un moyen de rembourser les Trybett pour la bonté dont ils ont fait preuve à son égard. ••• Quelques minutes après le départ d' Ethan, il régna un silence apaisant entre les deux adultes lorsque le plus âgé le rompit avec un fort bâillement. Nadia pivotait sa tête vers la source du bruit qui, comme elle l'avait deviné, se tenait à sa droite —On dirait qu'Ethan n'avait pas tort quand il disait que tu étais encore fatigué...Qu'y a-t-il Grand-père ? Comment as-tu passé cette nuit ? Ledit grand-père tenait à présent une tasse de thé fumante et la portait doucement à se lèvres. Il en aspira la vapeur puis but une gorgée et lentement, son visage s'éclaircit. —Ce thé a vraiment des vertus incroyables, je me sens revigoré à la première gorgée Nadia attendit patiemment la réponse, mais son expression devint lointain. Lukas lui en fit la remarque. —Pourquoi cette mine tout à coup déconfite ma petite-fille ? A quoi penses-tu donc ?... Il fit une légère pause le temps de prendre une autre gorgée. Ou plutôt à qui ? Il lâcha cette dernière partie délibérément et c'était bien ce qu'il pensait. Nadia ouvrit grand les yeux, interloquée. Lukas maintenait un visage inexpressif et les traits de fatigue, non dûs à l'âge, avaient bien disparu « remercier le thé miraculeux ». Il préféra cependant ne pas pousser et répondit plutôt à sa préoccupation. —Eh bien ! Si tel est ton inquiétude, j'ai juste fait le trop plein de travail hier soir du coup j'ai dormi tard, reprit le vieil homme d'un ton neutre. Nadia était pour du moins confuse —Mais... Nous avons fermé la clinique à l'heure habituelle, aurais-tu effectué des heures supplémentaires ? S'enquit-elle à présent curieuse —Pas vraiment, je passais juste en revue quelques bouquins pour passer le temps. Répondit-il avant de poursuivre d'une voix solennelle. Tu sais dans la médecine, on ne s'arrête jamais d'étudier et à mon âge, le cerveau a peut-être atteint ses limites mais entendre parler de nouvelles découvertes ... Lukas s'arrêta quand il constata que son interlocutrice ne lui prêtait plus attention. Son visage se décomposa alors qu'il la considéra sérieusement. —Eh bien ! Qu'y a-t-il ? Es-tu si ennuyée à ce point ? Nadia secoua négativement la tête. Lukas soupira. N'en déplaise à qui que ce soit mais quand il s'agit de la médecine, il a souvent tendance à se lâcher et à partager son enthousiasme. Ethan a montré quelques fois de l'intérêt pour la discipline, Lukas se disait qu'avec du recul, il pouvait même reprendre la clinique familiale cependant... "Bien que ce soit fascinant et tout, je ne me vois pas devenir médecin. C'est un métier noble mais pas du tout fait pour moi" Avait répliqué Ethan avec désinvolture. «Quel vilain garnement celui-là ! Il ne sait vraiment pas ce qu'il veut dans la vie» Rouspéta intérieurement Lukas avant de rediriger son attention sur sa petite-fille. —Dis-moi ma chérie, est-ce que tu t'inquiètes toujours pour lui ? Demanda-t-il subitement bien que connaissant déjà la réponse. Après tout, cette question revint sans cesse. La réponse était toujours accompagnée d'un sourire mélancolique mais aujourd'hui, l'expression de la jeune fille fut voilée de tristesse et de résignation —Hum... Est-ce si évident ? —Eh bien, disons que tu as toujours ce regard lointain et figé quand tu es fort préoccupée. Nadia entendit le grincement d'une chaise puis le cliquetis d'assiettes. —Et corrige-moi si je me trompe mais le principal sujet de tes préoccupations concerne très souvent le morveux Nadia ne savait quoi répondre, une fois de plus son grand-père avait vu juste. Elle baissa la tête, le regard apitoyant quand une main froide vint se poser délicatement sur son épaule gauche. Lentement,elle se détendit alors que la presbyphonie rassurante de Lukas résonna —Rien ne sert d'en parler maintenant et même d'y penser ma chérie... on en discutera plus tard veux-tu ? Allons-y ! Ne faisons pas attendre ceux qui ont besoin de nous maintenant —Oui...D'accord ! Acquiesça-t-elle d' une voix douce.
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