Chapitre 7

2291 Words
Brigitte  J’étais installée en face de Logan et madame Atsama juste à ma droite. Je regrettais d’avoir cédé à sa requête, car je me sentais encore très remuée de l’intérieur après l’incident de l’ascenseur. J’aurais simplement voulu rentrer chez moi et me remettre tout doucement de mes émotions dans l’intimité de ma maison. Ce n’était pas évident pour moi de maintenir ce masque d’indifférence quand intérieurement, je me sentais frémir. - Merci mes chers d’avoir accepté mon invitation, dit madame Atsama dans un sourire chaleureux. Vous savez, ce projet que je vous ai confié est le projet de ma vie, continua-t-elle avec une particulière émotion dans la voix. J’étais concentrée à ranger des plis imaginaires sur ma jupe quand le timbre de sa voix m’obligea à relever la tête. Nous étions installés depuis peu et avions à peine passé nos commandes. Un silence embarrassant s’était installé et j’avais pensé que la première partie du discours de madame Atsama était simplement dans le but de meubler la conversation, mais son intonation réclama toute mon attention. - Malgré votre jeune âge, j’ai été marquée par votre professionnalisme. Au cours de nos différents entretiens, vous avez été imperturbables, malgré mes exigences qui pouvaient parfois sembler être des caprices. Vous savez, ces dernières années, nous avons contribué à l’édification de notre ville. En effet, “Atsama construction” avait ouvert ses portes depuis moins de dix ans et avait grandi de manière exponentielle ces cinq dernières années. - Ce projet me tient particulièrement à cœur. Il portera le nom de mon fils, décédé précocement en France pendant qu’il y poursuivait ses études, dit-elle d’une voix triste. Son visage était tout à coup nostalgique et elle semblait perdue dans ses pensées. - Je pense que si nous avions eu des universités performantes et des cités universitaires à la hauteur, je n’aurais pas eu besoin de l’envoyer à l’extérieur poursuivre ses études, et il serait peut-être encore en vie aujourd’hui. - Je vous comprends madame, je suis sincèrement désolée pour ce qui est arrivée à votre fils, dis-je avec sollicitude. - Beaucoup de courage madame, appuya Logan. Une petite minute de silence suivit et madame Atsama retrouva soudainement un semblant de sourire. - Assez parlé de choses tristes, dit-elle. Comme convenu, nous ferons un virement dès demain, le virement de la première tranche de votre rétribution. Le reste arrivera avec l’évolution des travaux. - Merci, répondis-je avec un faible sourire. Le reste du déjeuner se déroula sans encombre. Madame Atsama prit congé de nous rapidement à peine sortis du restaurant. Je fis de même avec Logan. - Aurevoir Logan, dis-je froidement. - Aurevoir, répondit-il sèchement et s’éloigna de moi rapidement. Pour la première fois depuis ces cinq dernières années, je n’eus aucune envie d’aller bosser. Je me sentais patraque, pourtant je venais à peine de signer un contrat juteux. - Carole, annule tous mes rendez-vous de la journée, dis-je à mon assistante. Je n’avais aucune envie d’allumer le lecteur de musique. Même la douce voix de Cysoul n’aurait pu m’apporter la sérénité dont j’avais besoin en ce moment. Je roulai silencieusement jusqu’à la maison. La journée avait été riche en émotions : l’incident de l’ascenseur, la signature du contrat et enfin, la petite confession de madame Atsama sur le décès de son fils. Il arrivait parfois de penser d’être les seuls à souffrir dans ce monde, mais, je n’osai pas imaginer la douleur que pouvait représenter la perte d’un fils. Il suffisait d'entrer dans l'intimité des gens pour savoir que chacun de nous avait son lot de souffrances internes. J’entrai dans ma chambre, fermai toutes les fenêtres et m’étendis mollement sur mon lit. La pièce était totalement obscure, pas le moindre faisceau de lumière. J’avais besoin de faire abstraction de tout pour purger librement ma douleur. Je n’avais certes pas perdu un fils, mais j’avais perdu un être cher, l’homme de ma vie, Clovis… Mes pensées s’envolèrent très loin d’ici, en Europe, plus précisément en France. L’amour, l’amour, qu’était l’amour ? Un mot inventé pour berner les âmes les plus crédules. Que n’avais-je pas fait pour Clovis ? Que n’aurais-je pas donné pour maintenir mon « mariage » sur pied ? J’avais tout donné, jusqu’à ma dignité, mais qu’avais-je obtenu en retour ? Rien du tout ! Le néant ! J’avais connu Clovis quand j’avais 19 ans et nous étions ce que l’on appelle couramment des « s*x-friends ». Il n’était d’ailleurs pas le seul avec qui j’entretenais ce genre de relations. J’avais insisté pour faire mes études d’architecture à Yaoundé, bien loin de Douala, ma ville natale, car j’avais besoin de faire la fête, je voulais profiter pleinement de ma vie. Oh comme je l’avais fait ! J’avais passé une bonne partie de mes soirées en boîte de nuit. C’était à l’occasion de l’une d’elle que j’avais fait la connaissance de Clovis. Le même soir, nous avions fini dans un lit, et nous avions répété l’expérience à plusieurs reprises, et je dois l’avouer sous insistance de ma part. Comme bien souvent dans ce genre de situation, l’un des deux finit par éprouver des sentiments pour son amant, et ce fut mon cas. Clovis ne voulait pas de moi pour petite amie, d’ailleurs, il en avait déjà une, avec qui il s’était mis entre-temps et ils vivaient ensemble sous le toit de ses parents. Encouragée par la maman de Clovis, je m’étais accrochée comme une sangsue. Elle me disait que j’étais celle qu’il lui fallait, que les parents savaient mieux que les enfants ce qui leur convenait, que nous étions de la même classe sociale, que cette Clara n’était qu’une pouilleuse qui n’en n’avait qu’après leur argent, etc... Je ne sais par quel miracle, cette Clara, a été éjectée de sa vie. Je me suis sentie entièrement enhardie par cette nouvelle et je me suis accrochée plus fort que jamais. Je pense l’avoir vaincu par l’usure. Il m’avait rejetée à plusieurs reprises, mais un soir, nous finîmes une fois de plus dans un lit. Une chose en entraînant une autre, l’année d’après, le mariage avait suivi. Je pense qu’il avait fini par céder à la pression de sa mère. Mais à l’époque, je n'avais rien à cirer qu’il le fasse à contrecœur, j’étais simplement heureuse qu’il soit finalement tout à moi, mais hélas, il ne l’a jamais été. J’avais beau habiter sous le même toit avec lui, partager ses repas et sa couche, mais je savais au fond de moi qu’il ne m’appartenait pas. L’année d’après notre mariage, il a obtenu un transfert pour la France. Il a voulu y aller seul, il m’a dit que cela nous permettrait de voir plus clair. Mais pour moi, tout était clair, je ne voulais pas rester loin de lui. - Mais Brigitte, tu as à peine ouvert ton cabinet d’architecture, m’avait-il dit, tu ne peux pas l’abandonner maintenant ! - Clovis, notre foyer est ma priorité. Ce n’est vraiment pas un problème. - Ton père ne sera pas content du tout, avait-il ajouté dans une dernière tentative de me dissuader. Il s’est tellement investi dans l’ouverture de cette nouvelle succursale. Papa en effet avait fait des aller-retours incessants depuis Douala pendant des mois pour gérer toute la bureaucratie que comportait l’ouverture du cabinet. Étant le PDG, il avait dû signer certains documents. - Ne t’inquiète pas pour papa, je saurai le convaincre, lui avais-je dit avec un sourire. J’étais la fille chérie de papa et il avait toujours cédé à tous mes caprices. Cette fois ne fera pas l’exception. Je m’étais rendue à Douala pour en discuter avec lui. - Mais Brigitte, ton mari ne va que pour une année, les premiers contrats commencent à arriver et ce serait dommage que tu abandonnes ainsi du jour au lendemain ceux qui t’ont accordé leur confiance. - Je sais papa, mais je dois vraiment y aller. Je ne veux pas laisser Clovis tout seul. - Chérie, tu pourras aller le voir de temps en temps et il pourra lui aussi revenir très souvent, dit papa en soupirant. Un an, ça passe si vite. - Je sais papa, mais je vais y aller avec lui, répondis-je sèchement cette fois, mettant ainsi un terme à la discussion. J’avais fait mes valises et un mois plus tard, nous étions assis dans l’avion en destination de la France. Je ne m’étais plus intéressée à la gestion du cabinet et je pense que papa avait dû traiter lui les dossiers que j’avais déjà acceptés. Nous avions vécu cinq ans en France, car le contrat de Clovis avait été renouvelé. Tout était monotone entre nous, mais nous continuions tant bien que mal notre petit bout de chemin. Un fameux jour, la sœur de Clovis nous invita à sa baby-shower, et parmi ses invités se trouvait l’ex de Clovis, Clara. Ce jour marqua le début de la fin de mon couple. Clovis avait complètement changé après l’avoir revue. Au début, il devint plus affectueux, amoureux comme s’il voulait se convaincre lui-même. Mais cela ne dura pas bien longtemps, la monotonie rattrapa très rapidement notre couple. Clovis devint lointain. J’eus envie de jeter l’éponge plus d’une fois, mais la maman de Clovis ne l’entendait pas de cette oreille. Elle m’encourageait à m’investir davantage, argumentant que le mariage n’était pas une douce balade où tout allait bien, que nous étions déjà mariés depuis six ans et que si Clovis au fond de lui ne m’aimait pas, il n’aurait jamais réussi à passer tout ce temps en ma compagnie. Enhardie par cette exhortation à la patience et à la résilience, je m’étais investie encore plus, jusqu’au jour où Clovis découcha. Il m’avoua par la suite avoir passé la nuit avec Clara. Mais ce n’était pas assez pour me faire lâcher prise. Ne dit-on pas qu’on ne peut conseiller une femme amoureuse ? Je réussis à convaincre Clovis qu’il avait besoin de s’investir dans notre ménage. Que je savais depuis le départ qu’il n’était pas éperdument amoureux de moi, mais que si nous le voulions tous les deux, notre mariage aurait pu être une réussite. J’avais tout mis de côté, mon propre moi, mon amour-propre, ma fierté, pour supplier cet homme qui m’avait trompé de donner une dernière chance à notre « amour ». Mon Dieu, comme j’avais été bête ! Comme j’avais été aveugle. Si après des années un homme ne vous aime pas, il ne vous aimera certainement jamais ! Je me rendis compte à cet instant que les larmes étaient en train de baigner mon vêtement. Clovis y avait mis du sien. Il avait essayé d’être présent, mais c’était évident que le cœur n’y était pas. Son cœur était ailleurs, où il avait toujours été d’ailleurs. Il avait été plus câlin que jamais, plus amoureux que jamais, mais il était juste présent physiquement. Très vite, nous étions redevenus comme deux étrangers dans notre maison. Je me rappelle encore la dernière journée que nous avions passée ensemble. « Flash-back » J’étais debout au centre du salon et avais mes valises près de moi. J’avais entendu la clé tourner dans la serrure et quelques secondes après, Clovis apparut dans mon champ de vision. Qu’il était beau cet homme, je sentais mon cœur bondir dans ma poitrine rien qu’à sa vue. J’espérais avoir le courage de faire ce que j’avais en tête depuis quelques jours. Il était en face de moi et me regardait avec incompréhension. - Clovis, je t'attendais, je m'en vais, dis-je d'une voix ferme, mais affligée. Il est inutile de nous voiler la face, tu ne m'aimes pas et ne m'aimera jamais. J'ai décidé de retourner au Cameroun, continuai-je, je vais reprendre en main mon cabinet que j'avais laissé pour venir en France. J'ai déjà contacté mon avocat, tu auras les papiers du divorce d'ici peu. J'ai le vol demain matin très tôt et j'ai déjà réservé une chambre cette nuit dans un hôtel tout près de l'aéroport. - Brigitte, j'aurai très bien pu t'accompagner demain matin, répondit Clovis. J’eus l’impression qu’une flèche transperçait ma poitrine à ces mots. Il n’avait même pas essayé de me retenir. La douleur était tellement forte à cet instant et je ne voulais pas craquer devant lui. Je devais sortir d’ici le plus tôt possible. - Ce n'est pas la peine, réussis-je à articuler en tirant lourdement ma valise. Il voulut me donner un coup de main, mais je m’y opposai fermement. Il devait certainement jubiler et ira se jeter dans les bras de son amante, pensai-je avec dégoût. - Mon taxi m'attend, je vais y aller, dis-je en sortant de la maison. Le chauffeur du taxi sortit de son véhicule à ma vue et m’aida à installer mes valises dans la malle. Je me jetai sur le siège arrière et éclatai immédiatement en sanglots. J’avais le cœur en lambeaux. J’avais aimé, j’avais misé mon cœur et j’avais perdu. Le chauffeur de taxi d’un air désolé m’avait tendu un paquet de mouchoirs. Il m’avait aidée par la suite à monter mes bagages à l’hôtel. J’eus mal en voyant le regard lourd de compassion qu’il me lança. - Soyez forte madame, il ne vous méritait pas tout simplement. Il s’en alla enfin après ces mots pour lui réconfortants. J’aimais Clovis et j’avais mal d’avoir pris une décision aussi drastique et surtout, j'avais peur de le regretter. Avais-je jeté l’éponge trop vite ? Aurais-je dû me battre encore plus pour sauver mon ménage ? Autant de questions me tourmentaient l’esprit. Je m’endormis péniblement cette nuit et le lendemain matin, j’étais dans mon vol en destination de Douala. « Fin du flash-back » Et jusqu’à ce jour, je n’avais plus jamais eu de nouvelles de Clovis. Je me consacrais désormais exclusivement à mon travail et il me le rendait bien. L’amour ? J’avais déjà donné !
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