Chapitre 1
Brigitte
- J’attends dès demain matin à la première heure vos rapports sur mon bureau. Vous avez intérêt à me présenter quelque chose de potable ! La séance est levée ! dis-je en me dirigeant vers la sortie de la salle de conférence sans accorder un regard à mes collaborateurs. Carole, je vous attends dans mon bureau, hurlai-je d’un ton autoritaire à ma secrétaire au moment de sortir de la salle.
J’ouvris avec fracas la porte de mon bureau et me laissai tomber lourdement sur mon fauteuil. Une b***e d'incompétents ! Y'en a pas un pour sauver l'autre, pensai-je avec irritation.
Je me mis à parcourir d'un regard distrait mon bureau. Il était l'exact reflet de ma réussite. Il était spacieux, meublé luxueusement, avec une vue imprenable sur la ville de Yaoundé.
J’étais à bout et la journée était encore loin d’être finie. J’entendis quelques minutes plus tard toquer à ma porte. Je me redressai immédiatement et pris une posture austère avant de lâcher un « entrez » d’une voix ferme.
La porte s'ouvrit et je vis la tête de Carole passer par l’embrasure.
- As-tu besoin de moi Brigitte ? demanda Carole d'une voix à la limite craintive.
- Oui, répondis-je avec sévérité, rentre !
Carole était la seule dans cette entreprise qui pouvait se permettre de me tutoyer et de m'appeler par mon nom sans risquer un licenciement immédiat, mieux encore, elle était la seule à m'adresser la parole tout court !
En effet, Carole est une ancienne camarade de lycée. Après son baccalauréat, elle avait opté pour des études en "secrétariat de direction", tandis que moi, j'avais entrepris un cursus d'architecture, principalement conseillé par mon père, qui était lui-même architecte, comme le sien avant lui. Ma famille tenait une place de choix dans le monde de l'architecture dans mon pays.
Enfant, il m'arrivait d'accompagner mon père à son cabinet et j'avais toujours été émerveillée par tous ces croquis qui jonchaient çà et là sa table de travail. Il est bien vrai, que la technologie avait beaucoup évolué et tout se faisait désormais sur des logiciels informatiques spécialisés, mais je prenais toujours un énorme plaisir à gribouiller mes petits brouillons à la main avant de les transcrire dans mon ordinateur. L'architecture était ma passion et j'aimais ce que je faisais. Initier un projet et le voir se matérialiser physiquement était une belle satisfaction.
Un raclement de gorge me tira brusquement de mes pensées. Je levai la tête et croisai le regard interrogateur de Carole.
- En fait, j'avais besoin du dossier de madame Atsama Bernadette.
- Tiens, me répondit Carole en me tendant le dossier en question.
Je travaillais avec Carole depuis quelques années et je devais admettre être totalement satisfaite de son travail. J'étais revenue m'installer au Cameroun il y'a de cela exactement cinq ans et j'avais immédiatement fait appel à elle, car j'avais besoin de quelqu'un de compétent et surtout de confiance à mes côtés pour relancer mon cabinet d'architecture.
Je saisis le dossier en question et débuta ainsi une longue séance de travail. On travailla sans relâche pendant près de deux heures.
- Je pense que nous avons analysé le problème sous toutes ses formes, dit Carole.
- C'est vrai, mais j'aimerais qu'on repasse encore le document concernant...
Carole soupira et me jeta un regard légèrement irrité, mais se remit à la tâche. Nous avons passé et repassé les mêmes arguments mille fois. Elle me traitait certainement intérieurement de tous les noms d'oiseaux et je pense que si je n'avais pas été son employeur, elle m'aurait dite une phrase cinglante. Je sais que j'en faisais un peu trop, mais j'avais besoin d'être assurée que tout soit parfait.
Une demi-heure plus tard, nous avions enfin fini. Je me redressai enfin de mon fauteuil et regardai Carole dans les yeux.
- C'est bon, tu peux disposer, dis-je en mettant les dossiers dans ma mallette.
- Bien madame, répondit froidement Carole en se levant et en se dirigeant vers la sortie.
Je me sentais particulièrement nerveuse et c'était toujours le cas quand je devais rencontrer Logan Etoundi. Son arrogance et sa suffisance me sortaient de tous les pores.
Je me levai enfin, enfilai rapidement ma veste, me rendis dans les toilettes pour m'assurer devant le miroir d'avoir une apparence impeccable, sortis de mon bureau et parcourus le couloir qui menait à la réception. J'ouvris brusquement la porte et jetai un regard circulaire dans la pièce. Un silence de plomb s'installa immédiatement. Je jetai un regard glacial à Gabrielle, la réceptionniste qui se redressa promptement de son comptoir d'accueil où elle était nonchalamment adossée et conversait dans une pose lascive avec un stagiaire.
Je continuai tranquillement mon chemin et sortis enfin de mes locaux.
Je m'installai dans ma Range Rover Evoque et activai le lecteur de la voiture. La voix mielleuse de Cysoul (chanteur camerounais) emplit rapidement l'habitacle de la voiture. J'avais besoin de décompresser un peu avant de rencontrer "Monsieur Arrogant" et cette douce mélodie “si tu tombes, je tombe aussi” était parfaite pour l’occasion. En effet, monsieur Logan Etoundi et moi devions rencontrer madame Atsama, une potentielle cliente. Cette dame voulait construire un mini-cité universitaire de près d'une cinquantaine de chambres. Le projet était très ambitieux, car il comprenait aussi un centre sportif (terrain de foot, tennis, basket, etc). Bien évidemment, il ne sera pas à la portée de tous, mais plutôt d'une minorité faisant partie de l'élite de la capitale. Vu le capital investi, nous n’avions pas droit à l’erreur.
Logan Etoundi était un ingénieur électricien qui s'occupait de la conception, du développement des systèmes électro-techniques et supervisait les installations des projets architecturaux que je concevais. Il était très compétent dans son domaine et surtout respectait les délais. Il avait ouvert sa boite il y a peu d'années et cela semblait avoir un avenir certainement florissant. Nous avions eu à collaborer sur plusieurs projets et je devais admettre à contrecœur, qu'il était vraiment ferré dans son domaine. Il m'irritait au plus haut point, mais je pense que c’était un sentiment parfaitement réciproque.
Je garai la voiture devant l'immeuble qui abritait les locaux de la société " Atsama Constructions". Je pris une profonde inspiration avant de me décider à descendre de la voiture. Je me dirigeai vers l'ascenseur et vis Logan qui attendait. Je devais admettre à contrecœur que ce monsieur avait de la prestance, mais son petit air arrogant m'exaspérait profondément.
Je me rapprochai à pas lents espérant que l'ascenseur arrive et qu'il y monte avant que je n'arrive à sa hauteur, mais malheureusement pour moi, ce ne fut pas le cas.
Il tourna la tête dans ma direction et s’aperçut de ma présence. Il me regarda fixement pendant que je me rapprochais de lui. J'avais juste envie de gommer son petit air arrogant de son visage. Je le saluai d'un bref hochement de tête quand j'arrivai à son niveau, et eus tout de même le temps d'apercevoir une lueur moqueuse dans ses yeux avant de tourner obstinément le regard vers les portes de l'ascenseur tout en priant qu'elles s'ouvrent. Je sentais son regard peser constamment sur moi, à un moment, n'y tenant plus, je me tournai méchamment vers lui.
- C'est impoli de fixer ainsi les gens, lui dis-je d'une voix irritée.
- Comment faites-vous pour savoir que je vous regardais ? retorqua-t-il avec un petit sourire moqueur.
Son sourire me déconcerta un petit moment.
- Vous n’êtes qu'un stupide gamin, lâchai-je sèchement avant de me tourner à nouveau vers l’ascenseur.
Mon vœu fut exaucé à cet instant précis, car ses portes s'ouvrirent et je m'y engouffrai immédiatement et appuyai le bouton correspondant à l'étage de madame Atsama. Il monta à son tour dans l'ascenseur et celui-ci commença immédiatement sa marche vers le haut. Je me mis à fixer un point imaginaire et me mis à compter mentalement pour essayer de maintenir une certaine contenance.
J’étais déjà arrivée au numéro vingt quand une légère secousse secoua l'ascenseur, me faisant sursauter. L'ascenseur continua lentement sa course avant de s’immobiliser enfin au dix-septième étage. Je pris mon souffle avant de sortir enfin de l’ascenseur, suivie de « Monsieur Arrogant »
Nous nous dirigeâmes vers la secrétaire de madame Atsama qui nous demanda de patienter un petit moment.
- Madame Mballa, monsieur Etoundi, quel plaisir de voir revoir, nous accueillit chaleureusement madame Atsama. Veuillez prendre place je vous en prie, continua-t-elle avec un large sourire.
Logan et moi prîmes place et commença ainsi un long entretien que j’espérais déboucherait sur une collaboration fructueuse pour tous.