III
Quand le vidame de Rotenfluth et son neveu Léopold de Rotenfluth également, commencèrent à fréquenter assidûment chez la douairière, Pauline en eut donc une joie secrète. Car si le vidame avait l’air d’un morceau de bois grossièrement équarri pour le chauffage, Léopold était un garçon de belle mine, bien pris dans toute sa personne, correct infiniment dans ses manières et pas bête, vous savez : suffisamment instruit pour n’être pas un pédant, ayant de la mémoire, de l’à-propos, de l’acquis, un certain esprit de conversation et sachant même tourner agréablement les vers, comme disent les personnes de province, qui s’imaginent que Victor Hugo travaille sur un établi. Le contentement de la jeune fille augmenta tout naturellement quand il ne fut plus douteux pour elle que Léopold avait les meilleures intentions à son égard. J’entends : les plus honnêtes, aussi. Bientôt ce ne fut plus entre eux deux, qu’une longue idylle, idylle de tous les instants où les yeux, les gestes, la parole se remplaçaient sans laisser jamais languir l’intérêt. Les belles promenades commencèrent où le bras se pose à peine sur le bras et fait passer, dans tout l’être, un délicieux frémissement, où le moindre brin d’herbe devient sacré par la main qui l’a cueilli, où le silence même a de muettes éloquences, où les choses fraternelles ne chantent et ne parfument qu’autour d’un autel que nous portons dans notre propre cœur.
Mais la douairière ?… Dame Yolande de l’Embouchure avait d’exquises tolérances pour la jeunesse. D’ailleurs, le projet entrevu aussi par elle ne lui déplaisait pas. M. de Rotenfluth, – l’oncle, n’est-ce pas ? – était sourd comme une pelle, mais agréablement complimenteur dans ses propos, et, de plus, il jouait aux dames avec passion aussi et y était particulièrement malheureux. Lui aussi, comme Pauline, aurait eu besoin de se marier. Mais il était célibataire, le vieil âne, et ce n’était pas un malheur pour Léopold, qu’il aimait comme un fils. Car il était certainement dans la destinée de cet homme d’aimer les enfants des autres comme les siens.
Tout semblait donc aller pour le mieux dans le plus délicieux des mondes. Et, cependant, Léopold était mélancolique. Pauline l’avait surpris souvent, suivant avec une inquiétude marquée les entretiens de son oncle avec dame Yolande. Alors il tressaillait et pâlissait au moindre bruit. Il épiait de loin les plus petits mouvements du vidame, l’oreille tendue dans la direction où se trouvait celui-ci. Et, sans oser l’interroger, Pauline souffrait, pressentant dans tout cela quelque horrible mystère, prenant sa part de ce malaise ténébreux où s’abîmait son bon ami.