II
Création de la mer
Le troisième jour. – Limites et lois naturelles.
Il ne s’agit plus ici de l’abîme des eaux, ni de cette matière informe qui, dans la Genèse, existe au commencement, dans le principe.
Ce n’est qu’après la création de la lumière, après la création du ciel, au troisième jour seulement, qu’enfermée dans ses limites par la toute-puissance du Verbe, la mer reçoit son nom, en même temps que la terre, devant laquelle ses flots se retirent :
« Dieu dit : Que les eaux qui se trouvent sous le ciel se rassemblent en un seul endroit et que la partie solide paraisse. Il en fut ainsi.
Dieu nomma la partie solide Terre et le rassemblement des eaux, Mer. »
Cette grande tradition se perpétue, à travers les âges, chez tous les peuples, et, seule vraie, peut seule concilier ou anéantir, détruire ou confirmer les légendes des théogonies diverses, les théories des divers systèmes philosophiques.
La Bible n’accorde aucune priorité, aucune supériorité à l’un des éléments sur les autres. Dans l’origine, la matière informe qu’enveloppent les ténèbres, recèle également, et l’élément igné, c’est-à-dire la lumière, et l’élément aride, ou sec, ou solide, et l’élément humide dont se compose l’abîme des eaux.
L’antériorité est donnée ensuite à la lumière dégagée du chaos par le Fiat lux, lumière créée avant les astres, et qui, loin d’être engendrée par les corps lumineux, sera leur génératrice.
Quant à la séparation des deux autres éléments, elle est simultanée, et dans les cieux et sur notre globe, dans les cieux le second jour, sur notre globe le troisième. La terre existait sous la mer, elle se montre, et la mer se réfugie dans l’enceinte qui la bornera.
Toute vérité est dans cet ordre suprême de faits que le paganisme et la science antique subdiviseront soit par la légende, soit par les disputes d’école à école. Mais, à mesure que la science moderne découvre, dans les espaces infinis, quelques lambeaux de l’incommensurable inconnu, elle reconnaît que l’unique vérité est tout entière dans le Livre saint.
Ainsi, par exemple, d’efforts en efforts, elle découvrira que la lumière est un corps simple, fluide impondérable, qui peut être latent, qui, par conséquent, existe indépendamment des astres ou du feu ; et qui doit être classé en tête de la nomenclature, à côté du calorique et de l’électricité, – lesquels ne sont probablement autre chose que des formes de la lumière elle-même, première émanation de Dieu, son agent essentiel, grand moteur du mécanisme de l’univers.
La science moderne constate encore que les animaux aquatiques et marins ont existé avant les espèces terrestres ; l’Écriture sacrée enseigne que le peuplement des eaux précéda celui des terres.
Les grands poissons et tout ce qui vit dans l’eau, mollusques, crustacés, insectes, animalcules, sont créés avant les oiseaux et les animaux de l’air, qui eux-mêmes naissent, croissent et multiplient avant les habitants de la terre ferme.
La mer, peuplée dès le commencement du cinquième jour, se déroule dans les limites que Dieu même lui a tracées, assainit la terre par ses mouvements alternatifs, et la fertilise en alimentant les nuées qui l’arroseront.
Des bornes ont été imposées par Dieu même aux efforts de l’Océan ; mais cette loi supérieure implique uniquement la conservation générale du monde. Les limites de la mer ne sont pas telles qu’il faille absolument et rigoureusement s’attacher au sens littéral de ces paroles divines du livre de Job :
« (Où étais-tu) lorsqu’il (Dieu) enserra par des digues la mer, qui, s’élançant, sortit du sein maternel ?
Lorsque je lui donnai la nuée pour vêtement et l’obscurité pour langes ?
Que je lui fixai ma loi, et que je plaçai autour d’elle des barrières et des portes,
Et que je dis : jusque-là tu viendras et pas plus loin, et que là s’arrête l’orgueil de tes flots. »
Ou, selon la traduction si admirablement littérale du comte F.-L. de Gramont :
Qui refréna la mer dans son lit mugissant,
Quand elle s’échappait ainsi qu’un fruit naissant,
Et que, l’enveloppant du manteau de la nue,
Je répandis la nuit sur sa face inconnue ;
Que j’imposai des lois à ses flots enhardis,
L’entourai de remparts, de portes, et lui dis :
Tu viendras jusqu’ici sans monter davantage,
Et l’orgueil de tes eaux se brise à ce rivage !
La puissance de la mer est bornée, et la matière ne prévaudra jamais contre l’Esprit ; voilà tout ce qu’il faut conclure du texte sacré. On doit croire avec Leibnitz que « les lois de la nature à l’égard de la force mouvante, viennent de raisons supérieures et d’une cause immatérielle qui fait tout de la manière la plus parfaite. » Mais, en vertu même de ces lois immuables imposées à la matière, le courant d’un fleuve charrie du sable, ce sable s’accumule, forme une barre, un banc, une île, une digue, et le fleuve, de son côté, s’ouvre une autre voie aux dépens de quelque langue de terre minée lentement, ce qui finit par donner aux côtes une configuration nouvelle.
Les eaux n’ont fait en cela qu’obéir aux décrets du Créateur. L’ordre établi dès le principe n’a cessé d’être respecté. Docile au souverain Maître, la mer n’a pas méconnu la volonté qui met un frein à la fureur de ses flots.