La Légende et la Vérité
La Légende et la Vérité
Personne n’aime la Vérité plus ardemment que l’auteur de ce recueil de Légendes ; il la veut en tout et partout ; il a horreur du Mensonge, père du mal, fraude empoisonnée qui accompagne toujours le Vice, qui précède toujours le Crime.
Et pourtant la Légende est loin d’être, comme l’auguste Vérité, précise, exacte, inflexible, n’amoindrissant ni n’exagérant, n’altérant, ne dénaturant, ne modifiant rien, ne déguisant jamais l’horrible et présentant sans voiles, en pleine lumière, les plus hideuses abominations.
La Légende n’a point cette austérité si souvent terrible qui épouvante dans l’Histoire, jette le trouble dans l’âme et la tristesse dans le cœur. La Légende n’attriste ni ne trouble ; elle embellit et poétise ; elle plaît, émeut, attendrit, enthousiasme même parfois ; mais, bien que sincère au fond, elle confond, elle mélange, elle transforme, et, naïve en ses erreurs, elle charme parce qu’elle ne doute pas d’elle-même. Bien différente en cela de la Fiction, même la plus innocente comme l’Apologue ou la Parabole, la Légende croit ce qu’elle affirme. Enfin, partout où elle a cours, elle n’impose ni ne s’impose, car si sa bonne foi est évidente, jamais elle n’est article de foi.
L’auteur des Légendes de la Mer a puisé aux sources les plus diverses ; il a reproduit les traditions des livres sacrés ; il a recueilli les opinions hypothétiques des savants chroniqueurs ; il a écouté les modestes rapsodes, n’a rien repoussé de ce qui avait le caractère pieux et, s’emparant des croyances populaires, il en a souvent enregistré de la plus ravissante candeur.
Les doubles emplois, les répétitions, les contradictions, les anachronismes ne l’ont pas fait reculer ; car si la Vérité est une, la Légende est le plus souvent multiple. Elle se déplace, se dédouble, se rajeunit ; elle émigre et se transplante ; elle franchit l’océan et s’y refait neuve sans devenir méconnaissable. Ses métamorphoses ne trompent donc point, car elle n’essaie jamais de mentir.
Si une vérité se concilie toujours avec une autre vérité, très souvent deux légendes sont inconciliables. Et cependant l’auteur, qui a procédé par ordre chronologique, glanant sur toutes les rives et dans tous les champs labourés par la carène des vaisseaux, reste convaincu de n’avoir porté aucune atteinte à l’austère Vérité qui peut sourire parfois, mais ne s’irritera jamais des écarts de la Légende dévote, crédule, fervente, qui ne s’égare en aucun cas au-delà des limites tracées par la foi.