Chapitre 3 : Des propositions de la victoire et de la défaite

2037 Words
« L'unité d'une armée, plutôt que son nombre, fait sa force. Le chef de guerre doit, à tout moment : savoir s'il peut combattre et quand il faut cesser ; savoir s'il faut engager peu ou beaucoup ; être reconnaissant envers les simples soldats comme envers les officiers ; savoir mettre à profit les circonstances ; avoir l'assurance que le souverain approuve tout ce qui est fait pour son service. » (L'art de la Guerre, Sun Zi) ... Il avait fallu trois jours pour que j'atteigne le Sì Shòu. Notre seigneur n'avait pas voulu que je prenne plus de temps. En effet, plus je faisais patienter le roi du Sì Shòu, plus les risques de nouvelles hostilités entre nos deux royaumes étaient grands. Pour le voyage, une servante et ma mère avaient choisi de me faire porter un hanfu féminin de soie blanche dont la ceinture d'un blanc nacré venait serrer ma taille. Ma mère m'avait donnée un voile blanc servant à me couvrir la moitié du bas du visage, ne laissant apparaître que mes yeux. Avant de partir, mon clan s'était réuni pour me voir partager avec mes parents les trois coupes de liqueur de litchis. C'était la tradition au Shijî avant qu'une fille quitte la maison familiale. Le Sì Shòu était le carrefour entre les trois royaumes. Le roi avait eu quatre fils auxquels il avait donné le nom d'une créature divine. Chaque fils avait pour mission de garder sa frontière du royaume. Au Nord du Sì Shòu gouvernait Genbu, la « Tortue Noire » et troisième fils du roi. Il était principalement en charge de veiller sur les échanges entre les îles de la mer du Nord et de s'assurer que le nombre de contrebandiers reste correct. Genbu était connu pour être un formidable navigateur. Je n'avais jamais vu la mer et les récits qui parvenaient jusque chez nous me laissaient rêveuse. Les aventures du général Genbu étaient légendaires parmi tous les peuples. A l'Ouest gouvernait Byakko, le « Tigre Blanc ». Fils brutal et seigneur de Guerre assoiffé de sang du Sì Shòu. Le roi l'avait très sagement mis à la frontière entre son royaume et celui du Yaoguai. Les « démons » étaient brutaux, mais la sauvagerie de Byakko surpassait de loin ce que mon imagination était capable d'anticiper. Son nom faisait trembler les plus braves des hommes. Certains parents l'évoquaient pour que leurs enfants cessent leurs mesquineries. Un monstre sanguinaire et impitoyable qui m'avait pris en haine pour avoir trouvé un passage sur ses terres. Au Sud gouvernait Suzaku, quatrième fils du trône. Il avait passé plusieurs alliances avec les îles des mers du Sud. Il était parvenu à faire de sa frontière un haut lieu d'échanges commerciaux. Les produits les plus rares et les plus précieux y faisaient légion. « L'oiseau de feu » du Sì Shòu vivait dans l'opulence. Il profitait surtout de la peur que les noms de ses frères de l'Est et de l'Ouest provoquaient chez ses potentiels ennemis. A l'Est du Sì Shòu gouvernait Seiryu, le « Dragon Azur » et fils aîné du roi. Il avait la tâche difficile de surveiller deux royaumes ennemis : le nôtre, le Shijî, placé au nord de la frontière et les tribus placées au sud. Le Shijî n'était pas réellement un pays ennemi, mais comme vous avez pu le constater, nous n'étions pas irréprochables dans le respect des accords de paix. Les tribus quant à elles représentaient un ensemble de 1000 familles dont le nombre exact d'individus était inconnu des royaumes. Seiryu était le général le plus habile des quatre fils du trône. Il parvenait à maintenir le flot d'entrées et de départs entre nos frontières et celles des tribus. J'avais pour espoir secret de le rencontrer, mais après l'échec cuisant qui m'avait value un statut d’otage, je craignais sa réaction. Tout comme Byakko, je me doutais de son aversion pour moi. ~~~~~ Au bout des trois jours, j'avais enfin atteint le centre du royaume. Haut lieu d'échanges commerciaux et surtout ville de résidence du Roi du Sì Shòu. J'avais porté pour mon voyage le voile blanc, celui que ma mère m'avait donné, qui laissait entrevoir mes yeux et qui me permettait de mieux observer les éléments alentours. À ma grande surprise, c'était le messager qui s'était présenté à moi. Il avait ouvert la porte de mon carrosse avant de me tendre la main. « Bienvenue ô Princesse du clan Méigui ! » Sa voix basse m'avait surprise. « Quel est ton nom messager ? » Je ne pouvais pas continuer de l'ignorer puisque j'allais dorénavant faire partie du même royaume que lui. « Mon nom est Qi, ô princesse. Permettez à cet humble serviteur de vous mener jusqu'au roi. » Il s'était incliné trois fois devant moi. Je l'avais suivi sans parler. Je ne savais pas pourquoi, mais tout chez cet homme m'intriguait. « Je semble troubler votre calme intérieur, ô princesse. » Il avait levé un sourcil et pour la première fois nos regards s'étaient croisés. J'en avais eu le souffle coupé, sans encore une fois, pouvoir expliquer pourquoi. « Je n'ai pas l'habitude d'être appelée « Princesse », je souhaiterais que vous m'appeliez autrement » avais-je demandé les yeux rivés vers le sol. J'avais tenté de maintenir mon regard vers lui, mais cela s'était soldé par un échec. Il s'était subitement arrêté de marcher et s'était penché vers moi. « C'est pourtant votre titre, ô princesse. Il est de coutume dans notre royaume que les femmes portent un nouveau nom qui aura été choisi par son époux. Lui seul aura l'honneur de vous appeler ainsi... et si j'en crois vos coutumes, lui seul connaîtra votre visage. » « Il n’est pas dit que je deviendrais l’épouse de l’un des fils du trône. Et puis, qui pourrait bien devenir mon époux ? » Lui demandai-je. Qi avait eu un sourire sans joie. « Cette réponse... seul notre vénéré Roi la connaît. » Nous nous étions remis en marche. ~~~~~~~~ Au bout d'une demi-heure, durant laquelle j'avais eu un mal fou à respirer à cause du voile qui me couvrait le nez, nous étions enfin parvenus dans la salle d'audience où le Roi du Sì Shòu m'attendait. Lui seul s'y tenait, assis, sur un somptueux trône en or. Les détails étaient impressionnants et on pouvait y voir les quatre créatures divines sculptées avec finesse. Elles semblaient entourer le roi et lui conférer une aura mystique. « Retire-toi, Qi. » Il avait parlé d'un ton sec au messager qui s'était empressé de disparaître. « Bienvenue dans mon royaume, jeune princesse. » Il parlait avec beaucoup de tendresse et je m'étais mise à genoux pour le saluer à mon tour. « Je ne vais pas perdre de temps, tu es mon otage. Ta vie m’appartient désormais. Mes fils sont en âge de prendre des épouses mais… mes fils te détestent. » J'avais dû faire un effort surhumain pour ne pas trembler. Ce que je pensais être de la bienveillance était en fait de la pitié. « Aucun d'entre eux ne veut pour épouse une femme qui défie les hommes et encore moins d'une femme qui n'hésite pas à élaborer des stratégies pour tuer des gens du peuple ! » Il avait subitement haussé le ton. J'ai quatre fils qui protègent mes frontières. Comme je l’ai dit, ils sont tous en âge de prendre une épouse. Seiryu vient de perdre sa femme ; Byakko est le plus brutal de mes fils et il est tout le temps sur le front ; Genbu passe sa vie en mer ; et Suzaku, soyons honnête, s'intéresse plus aux gens de son sexe. En tant que père, il me semble difficile de faire un choix pour toi. Mon peuple chante la beauté de la Princesse du clan Méigui. Et le roi que je suis est curieux de connaître le visage de celle dont on loue la grâce. » Il s'était levé et s'était approché de trois pas. Ses yeux ne souriaient plus et il avait pris une voix autoritaire. « Lève-toi et montre-moi ton visage, ô fille du clan Méigui. » J'avais été surprise par sa demande, mais ce n'était pas la première fois qu'on m'ordonnait de montrer mon visage. Je ne comprenais pas l'attachement que les hommes portaient à mon apparence. Le roi avait parlé et j'étais dans l'obligation de lui obéir. J'avais utilisé le dos de mes mains pour lever lentement mon voile. Je l'avais gardé entre mes mains, serré contre mes genoux, les yeux rivés au sol en signe de respect. Le roi eut un mouvement de recul. « Par les Dieux... » et il avait ri à gorge déployée. Je pouvais voir ses yeux briller. Je n'arrivais pas à déchiffrer son regard, j'y voyais de l'admiration, mais surtout de la convoitise. Cela ne me plaisait pas. « Je sais exactement à quel fils te donner à présent ! Aussi belle que mortelle ! Les Dieux t'ont trop gâtée jeune Princesse ! » Il s'était subitement arrêté de rire. « Qui eut cru qu'une telle beauté serait responsable d'une si grande perte ! » Je ne comprenais pas ses paroles. Le chemin que j'avais tracé pour rejoindre le Yaoguai était parfait. Je m'étais acharnée à trouver la voie qui épargnerait le plus de vies possible. Le roi avait repris : « Ici, je suis celui qui règne et mes paroles font loi... Je suis curieux de savoir quelle voie ton destin va prendre. Remets ton voile. » Il s'était rassis sur son trône et avait pris un ton autoritaire : « Qu'on fasse entrer mes fils ! » Je me suis subitement retrouvée entourée de part et d'autre par quatre inconnus. J'avais pu voir sur le côté derrière le roi, Qi, qui m'avait adressé un signe de tête. Ce simple geste m'avait apporté le peu de chaleur humaine dont j'avais besoin pour affronter ce qui allait suivre. ...... Un homme entièrement vêtu de noir s'était avancé. « Père, pour quelle raison nous avez-vous tous convoqués ? » J'avais deviné à la tenue noire du deuil qu'il portait qu'il s'agissait de Seiryu. Cela devait donc faire moins de 100 jours que son épouse était morte. « Qui est cette femme Père ? » Un frisson de peur m'avait parcourue. À ma gauche se tenait un colosse vêtu de blanc. Il portait sur l'épaule une peau de tigre blanc. Il s'était penché vers moi. Nos regards s'étaient croisés. Aucun de nous n'arrivait à les détourner. Il s'était encore avancé vers moi avant de prendre une profonde inspiration. J'étais choquée en me rendant compte qu'il venait de me renifler. « Une chienne du Shijî... » Il s'était levé brusquement et avait pris un air écœuré. « Que fait cette chose en nos murs ?! » Le roi avait souri. « Mes chers fils, je vous présente la Princesse... du clan Méigui. » « Cessez vos plaisanteries Père ! Le clan Méigui a bien une fille, mais pas de Princesse ! » Un jeune homme vêtu de pierres rouges et d'or s'était avancé. Suzaku devait être plus jeune… et bien plus féminin que moi sur bien des aspects. Le roi avait souri. « Voyez-vous mes chers fils, le mensonge et la dissimulation font partie des maîtres mots de ceux qui sont au pouvoir. Le Général Rouge a reçu du roi du Shijî sa seule et unique fille. Le jeune soldat et la princesse étaient tombés amoureux l'un de l'autre. Le Roi a vite compris ce qui se passait entre les deux et... il s'est rendu compte du potentiel du soldat. Le roi lui avait alors promis sa fille. En échange, il devait lui donner les têtes de tous les membres d'une tribu qui mettait en péril l'équilibre de son royaume. Méfiez-vous toujours de ce clan. De simple soldat, le jeune homme est devenu un général et a épousé une princesse du trône du Shijî. De cette union sont nés quatre fils et une fille. » Byakko s'était redressé. Seiryu se tenait droit la mâchoire serrée. Genbu avait pris la parole. « Et quel est son nom ? » Seiryu et Byakko s'étaient tournés lentement vers moi et avaient répondu en même temps : « Kē... »
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