VIIICeux qui ont connu le Ras Makonnen et franchi le rempart de timidité derrière lequel cet intrépide soldat se murait dans la causerie savent que sa vie spirituelle fut intense. Cette noble disposition s’alliait malheureusement chez lui à des accès de scrupules dont le caractère était presque maladif.
Regretta-t-il, au lendemain de notre entretien, de m’avoir si librement découvert sa pensée sur un sujet qui en Éthiopie n’est pas seulement le fondement de la religion mais tout le soutien de la politique ?
Je ne réussis plus par la suite à mettre l’entretien sur le compte des Kemant. Il semblait avoir oublié leur existence. En revanche il prenait plaisir à me faire toucher du doigt les raisons morales que les Éthiopiens invoquent à l’appui de la tradition qui les rattache à des Israélites échappés d’Égypte et montés sur le Haut Plateau par le chemin des Nils.
Au cours de ces causeries, le Ras se plaisait à laisser transparaître son érudition des choses sacrées. Tout comme notre grand Condé, cet homme de guerre avait poussé loin sa culture théologique.
Et aussi bien la théologie est-elle la seule gymnastique de philosophie et la seule école de politique léguée par le byzantinisme à ses clients de cette banlieue d’Afrique.