V

563 Words
VQue de fois en voyant passer, avec une charge sur leurs têtes, ces femmes si libres, si fières, que l’on croise dans les chemins, quand de la Mer Rouge on monte vers le Haut Plateau, je me suis demandé : – À laquelle de ces coéphores a-t-elle ressemblé la « Belle à la figure noire » que Salomon aima ? Le fait est qu’il est plus malaisé d’établir la qualité et la date des immigrations humaines dont ces plateaux ont reçu les apports que de dresser la carte géologique de l’Éthiopie elle-même à travers les sursauts que lui imposa le feu. Il suffit toutefois à un chasseur de dévisager les hommes qui forment son escorte, et puis les gens qu’il croise dans les pistes, pour démêler que les Éthiopiens proprement dits ne diffèrent pas seulement par la langue, mais par la race, des peuples qui, du sud au nord, de l’est à l’ouest, encerclent ce plateau. J’ai vécu dans la camaraderie des grandes chasses avec les Somali-Issas ; je les ai visités dans le Somaliland anglais ; j’ai été frappé de leur parenté avec les Hindous. Et aussi bien n’est-ce pas sans raison que l’on a donné le nom d’Océan Indien à la mer qui, dans ces parages, relie les littoraux de deux continents. Pour les Danakils qui forment un État tampon entre les pays somalis et la montagne éthiopienne, comment les rattacher avec sécurité à une origine définie ? On évoque à leur sujet le souvenir de ces Hyksos, dans lequel d’aucuns croient apercevoir des Chananéens égyptianisés. Ceci est sur : comme s’ils entretenaient un souvenir atavique, ces pasteurs continuent à décolorer leurs cheveux avec de la chaux. Ils ont la volonté de se rendre blonds ou roux. Leurs femmes sont coiffées à la mode des sphinx. Leur sommaire mobilier rappelle quelques-uns des objets qui furent les plus familiers aux sujets des Pharaons. Et, peut-être, surnage ici un débris de ces migrations qui, successivement, couvrirent l’Égypte, puis se fondirent dans le Nil. Pour les Gallas qui, du sud-est à l’ouest-nord-ouest, cerclent, à mi-hauteur, la montagne éthiopienne, verrons-nous les modernes historiens des Celtes les rattacher un jour à la poussée des hommes blonds venus de l’Ouest, qui suivirent les vallées du Pô, celles du Danube, franchirent le Bosphore, et allèrent jeter leurs filets dans le lac de Tibériade ? Cette hypothèse a été émise par un missionnaire, d’ailleurs fort renseigné sur le compte des gens dont il raisonnait, et elle a fait sourire les philologues. Ceci est sûr : les visages de ces Gallas rappellent les traits des paysans des contrées gallo-romaines plutôt que ceux des sémites bédouins ou Beni-Israël. Quand les prisonniers italiens entrèrent en contact avec ces rustres d’Afrique, des unions se nouèrent, fécondes, dans un attrait réel. Les Gallas sont d’ailleurs pasteurs et cavaliers. Ils ne témoignent d’aucune des aptitudes administratives, politiques et financières, qui apparaissent si remarquables chez les Éthiopiens proprement dits. Ils étaient prédestinés à être conquis par les maîtres des Hauts Plateaux. Leur courage n’était pas de qualité inférieure, mais à une bravoure notoire ils mêlent ces penchants anarchiques dont parle César quand il juge les Gaulois et quand il énumère les raisons qui causèrent leur défaite. Enfin, s’il est des peuples avec lesquels les Éthiopiens n’ont aucune parenté quelconque, ce sont bien ces farouches nègres Béni-Changouls dont j’ai exploré l’habitacle en 1901. La hideur de ces monstres aux faces à peine humaines, est si repoussante, que leurs femelles elles-mêmes ont été refusées par les vainqueurs toutes les fois qu’une razzia a fait des prisonniers, sur le bord des marais où les Beni-Changouls vivent, nus, logés dans les arbres, exclusivement nourris de rats que le soleil boucane.
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