ILa Chronique de Palais, que je rapporte ici dans les termes mêmes où elle me fut contée, est antérieure à l’entrée victorieuse de Taïtou dans le Guébi. Elle remonte au début du règne de Ménélik, aux années 1865-70. Alors la victoire n’avait pas encore fait de l’Élu de Juda le Roi des Rois d’Éthiopie.
Sur son trône du Choa il rêvait aux grandes choses que depuis il a accomplies. Il ne donnait à aucune femme le temps de prendre du crédit sur son esprit. Entre les heures de la guerre, de la politique et de la prière, il vivait dans son palais comme un petit-fils de l’Ecclésiaste. Toutes celles qui avaient de la beauté ou de la séduction pouvaient arrêter un instant son désir.
Parmi les femmes que l’on dressait au service de sa table il distingua une belle fille qui avait une grâce singulière à verser l’hydromel. Il la regarda comme le lion regarde quand il est traversé par le désir ; et la jeune fille eut le cœur consumé de cette flamme. Aussi, la nuit suivante, lorsqu’un serviteur vint la chercher dans l’appartement des femmes et lui dit :
– Viens, et marche sans bruit dans l’ombre : le Lion de Juda t’élève à l’honneur de sa couche.
Elle répondit seulement :
– Je suis la servante de mon Seigneur.
Elle avait une gorge parfaite et une âme droite, de sorte que Ménélik l’aima, en secret, pendant des nuits, qui, à la fin, firent des mois. Et quand le Souverain partit brusquement pour une expédition qui l’appelait sur les confins du Choa, la ceinture de la belle fille commençait de se faire lourde.
Elle n’osa pas dire à l’Empereur le secret qui était son effroi et sa félicité.
Elle pensa :
– Quand il reviendra avec la victoire, si son regard tombe encore sur moi, il verra où j’en suis et il décidera de ma vie.
Mais le palais était plein de femmes de bonne naissance. Elles levaient les yeux vers le Trône avec l’idée que peut-être un jour l’amour du Maître les y ferait asseoir. Elles prirent de l’ombrage de cette fécondité d’une servante.
Elles se dirent entre elles :
– À cause de l’enfant, le Roi serait capable de s’attacher à cette fille. Ôtons-la de ses yeux… Il ne songera plus à la demander.
Elles mirent donc à profit l’absence de Ménélik et chassèrent la belle échansonne.
De la même façon Agar fut autrefois jetée hors de la tente d’Abraham avec l’enfant Ismaël.