II

531 Words
IIOn peut juger par là de l’importance que l’histoire générale d’Éthiopie attribuera au règne de Ménélik : il a été le restaurateur de la tradition écroulée. Par la persuasion comme par la force il l’a relevée sur son socle. La veille de la bataille de Matama, il n’est qu’un roi de Bourges ; l’usurpateur Jean le traîne derrière soi à la croisade. Quelques semaines plus tard le dur maître qui l’a réduit au gouvernement du seul Choa est tombé lui-même sous les coups des musulmans. Brusquement Ménélik s’érige, la couronne impériale au front, au-dessus de l’Éthiopie. Il prête l’oreille. Il ne se trompe pas sur la qualité des acclamations dont on le salue. C’est bien la nation, qui, lasse de tant d’aventures, applaudit à la résurrection de sa lignée légitime. Mais il faut solidifier ce bloc dont les parties s’ajustent mal. La science de politique dont Ménélik a donné des marques au cours de cette œuvre, le recommandera sûrement à l’estime de l’histoire plus que ses victoires elles-mêmes. Il sent qu’il ne peut renverser les trônes subalternes qui vivent dans son ombre sans ébranler le sien. Fidèle au statut salomonesque qui l’élève au-dessus de ce vol de roitelets, après leur soumission il se garde de les anéantir. Toutes les fois que les circonstances le lui permettent, il les conserve comme ses mandataires, ses proconsuls, ses « ras ». Il veut qu’on les voie gouverner en son nom là où, avec une liberté usurpée, ils ont exercé une autorité quasi royale. Il fait d’eux, si nettement, des fonctionnaires de la couronne, qu’il leur enlève le droit de transmettre leurs dignités à leurs fils par voie d’héritage. Il ne leur laisse plus la libre disposition des impôts. Partant de ce principe religieux que, du fait de son onction sacrée, tout lui appartient en Éthiopie, terres, bêtes et gens, il constitue pour ses Ras, à titre de traitements, toujours révocables, des revenus, calculés sur le brut des impôts, recueillis par eux, en son nom. Afin d’occuper les colères que provoquent nécessairement de telles réformes, il mène sous sa bannière à la conquête des Gallas ces rois fraîchement châtiés. Une telle campagne offre des avantages divers, tous excellents : elle assainit et recule les frontières de l’empire ; elle met à la disposition des Éthiopiens purs, de grandes ressources en céréales, en coton, en café, en pâturages, en troupeaux et en chevaux. Enfin elle oblige le parti des prêtres et des moines à louer la conduite de ce nouvel « oint du Seigneur » qui, sans pousser sa croisade avec une aussi dangereuse témérité que le Négus Jean, s’attaque pourtant à l’idolâtrie de ses voisins. Un dernier évènement, qui rappelle sur l’Éthiopie oubliée l’attention du monde, finit de cimenter une cohésion dont les joints, ici, là, sont frais : la nation éthiopienne passe par l’épreuve d’une guerre étrangère. Dans la victoire elle juge les vertus de cette unité que Ménélik a restaurée. Avait-il prévu un tel conflit ? Ses conseillers européens l’avaient-ils aperçu par-dessus son épaule ? Tout se passe comme si, au début même de son règne, Ménélik s’était préparé à ce choc. En effet dès les premiers jours de sa puissance royale, dans le temps où il n’était encore que roi de Choa, on l’a vu venir à la civilisation la plus contemporaine avec une allure de foi, avec une passion d’amour pour la Vérité, qui, d’une manière vraiment frappante, rappelle le pèlerinage de son aïeule Makeda vers Jérusalem, Foyer de Science et de Sagesse.
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