Chapitre 3

918 Words
Chapitre 3Prigent tomba la veste ; en cette fin de journée de début août, la chaleur devenait étouffante. Lucien Workan, en chemisette blanche, s’épongea le front à l’aide d’un mouchoir papier. — En fait, dit-il, je crois que c’est le naturiste avec qui j’étais tout à l’heure qui a raison de se balader à poil. — Quel naturiste ? s’inquiéta la procureure. — Rien de bien grave, un naturiste urbain qui défie les lois de la grande ville et qui a recours à une coutume beaucoup plus ancestrale : celle de ne pas porter de fringues… Bien, ceci dit, monsieur le divisionnaire, devons-nous comprendre, moi et la lieutenante, que vous nous sabrez nos vacances ? — Comme vous y allez, Workan ! Elles sont juste reportées de huit jours. Ce n’est pas la fin du monde. Je crois, moi, commissaire, que vous n’avez pas la condition physique pour parcourir, avec l’aide de vos jambes, un peu plus d’une centaine de kilomètres en une semaine et que vous avez peur d’avoir des ampoules aux pieds. Voilà ce que je crois, monsieur Workan. Lucien hocha la tête et sourit. — Vous savez que je suis un joueur de rugby… avec l’entraînement qui va avec. — Justement, j’ai entendu parler de vos exploits l’autre jour contre le Skol Rugby er Nav Ker de Plouhinec, ce n’est pas glorieux, vous n’êtes pas près de jouer dans le Top 14 ! — OK, OK… J’ai rien dit. Admettons que j’accepte cette mission, je dis bien : ADMETTONS ! De quoi t’est-ce qu’il s’agirait que j’fasse ? À part chanter au clair de lune ma foi dans les sept saints… — Eh bien, nous y voilà, se félicita la procureure, nous rentrons dans le cœur du débat. Vous n’êtes pas simple, Workan. Certainement un bon flic, mais pas simple. — Je ne vous ai pas demandé l’heure, vous. Tiens, je vous ai vue sur Meetic l’autre jour, je vous ai flashée, mais je n’ai pas eu de réponse. C’est pas bien. Je vais le dire à ma tante. — C’est qui votre tante ? s’enquit Prigent. — Madame Meetic. — OK, ça suffit, Workan ! s’énerva Sylviane, venons-en aux faits… — Je ne demande que ça… mais une question me taraude l’esprit. Les monts d’Arrée ce n’est pas mon secteur, la cathédrale de Quimper non plus et je ne parle pas de Saint-Pol-de-Léon, alors, que vais-je faire dans ces calvaires ?... En cherchant bien, chère Sylviane… — Ne m’appelez pas Sylviane ! — OK ! Ne m’interrompez pas… Je ne crois pas, madame Guérin, que vous êtes habilitée à exercer votre fonction de procureure dans le département du Finistère. Me tromp’je ? — Justement, cher commissaire, vous allez voir que la suite est tout à fait logique, car nous… nous… — Nous ? — Nous sommes dans un flou artistique. — Et voilà ! Quand on est dans la merde, on appelle Workan… Et vous, monsieur le divisionnaire, qu’en pensez-vous ? — Moi je m’en fous, dit Prigent, cyniquement, je suis le patron de la PJ sur tout l’Ouest, je vous envoie où je veux. — Où le désire madame Guérin surtout. — Exactement. — Bien, reprit la procureure, nous allons vous expliquer, commissaire, je fais monter le capitaine Brézillet. Pour votre information, c’est Brézillet lui-même, avec sa cousine, qui devait parcourir cette étape du Tro Breiz. — Qu’il ne s’en prive pas ! — Son cancer a été décelé il y a trois semaines, il commence la chimio lundi. — Je m’abstiens, dit Workan. — De quoi ? fit Prigent. — De faire des commentaires, ça évitera la polémique. Brézillet était maintenant assis à l’autre extrémité du bureau qu’occupait le fessier de Sylviane Guérin. De taille moyenne, les cheveux châtains, coupés court, il portait un polo Lacoste beige et un jean. Le seul symptôme qui aurait pu faire deviner sa maladie était l’émergence de cernes sous les yeux, dus, certainement, plus à la fatigue qu’à un stigmate pathologique. Affecté dans un service différent de celui de Workan, le capitaine Brézillet aimait travailler seul. Prigent l’avait spécialisé, si l’on peut dire, dans la recherche des personnes disparues. Et justement, il y a de cela dix mois, en septembre de l’année précédente, une jeune femme qui habitait le centre de Rennes avait disparu sans laisser la moindre trace. Brézillet avait été chargé de l’enquête et les résultats de ses investigations avaient été pour le moins surprenants. La procureure transmit une feuille A4 à chacun des deux policiers, Workan et Mahir. Une fiche signalétique de la jeune femme évaporée à l’automne dernier. Fiche maison, non officielle établie par Brézillet. « Nom : Simonin Prénom : Angèle Âge : 27 ans Cheveux : Bruns (voir photo-portrait) Yeux : Bleus (voir photo-portrait) Taille : 1,66 mètre Poids : 57 kg État civil : Célibataire (petit ami ?) Profession : Secrétaire médicale Particularités : Type caucasien. Traits fins, pommettes hautes, légère cicatrice à la lèvre inférieure gauche. Nez droit, bouche pulpeuse. Adresse : 95 rue Dupont des Loges 35000 Rennes ADN : Prélèvements ADN mitochondrial et ADN nucléaire effectués sur la mère, Virginie Simonin. Prélèvements nécessaires à son identification, entre autres, dans l’éventualité de la découverte de son cadavre. Circonstances de la disparition : A été vue la dernière fois, le 26 septembre 2016 par le docteur Cariou (son patron) à la fin de sa journée de travail vers 18 heures 30. Elle devait se rendre à son cours de Qi Gong où elle n’est jamais allée. Aucun autre témoin n’a déclaré l’avoir vue après cette heure. Le docteur Cariou ne peut apporter de description vestimentaire car, dit-il, la blouse blanche de la jeune femme cachait sa veste ou son chemisier. Il est néanmoins certain qu’elle portait un pantalon de couleur claire. Ses parents, monsieur et madame Simonin, n’ont plus jamais eu de ses nouvelles, ni aucun autre membre de la famille, ni aucune de ses relations amicales ou professionnelles. Son téléphone portable n’a plus été utilisé après cette heure, sa dernière géolocalisation la situe place Hoche, à l’opposé de son domicile et de ses cours de Qi Gong. Aucun retrait d’argent ni aucune utilisation de sa carte bancaire n’ont été détectés sur son compte. La mère d’Angèle Simonin pense qu’elle n’est jamais rentrée à son domicile ce soir-là. » — Et alors ? fit Workan, en reposant la feuille sur le bureau. — Et alors ? reprit la procureure, c’est là que ça se complique.
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