Défaillance

2679 Words
«Le peuple s'inquiète, votre Majesté.» J'ai lancé un regard furieux au conseil, cherchant à repérer celui qui avait osé me contrarier si tôt le matin. Le soleil n'était pas encore levé et je venais à peine de poser mon derrière sur le siège qui m'était réservé à la tête de la table avant que le coupable n'ose ouvrir la bouche. C'était habituel, mais mon humeur ce matin n'était pas exactement habituelle. Elle ne l'était plus depuis un certain temps. J'étais plus animal qu'humain et cette personne aurait dû le discerner. C'est-à-dire si elle souhaitait garder sa tête sur ses épaules. «De quoi exactement ?!» j'ai grogné, prêt à bondir lorsque mes yeux flamboyants l'aperçurent. «Vous avez promis d'être aimable, votre Majesté.» J'ai senti une main se poser sur la mienne alors que Rakon parlait par le lien mental et cela lui a valus aussi un regard noir. «Rappelez-vous, c'est pour Xatis. Vous ne pouvez pas continuer à exécuter des hommes simplement pour avoir parlé.» «Je le peux, même pour simplement respirer !» j'ai répliqué, pensant chaque mot et Rakon n'ai fait que soupirer, probablement convaincu par ce qui avait constitué mon passé sanglant très récent. Mes mains étaient tachées du sang d'hommes dont je ne m'étais pas soucié de l'innocence, seulement de la désobéissance. Si je versais du sang ce matin cependant, ce sang serait sur les mains de Rakon pour avoir insisté que je sois le politicien que l'on attendait de moi et que j'assiste à cette réunion de conseil inutile. Je ne voulais pas être dans la salle du conseil. Pas aujourd'hui. Si j'avais eu le choix, j'aurais été dans mon lit à me noyer dans le vin ou à rattraper le sommeil que j'avais été si forcé d'abandonner. Mais en tant que nouveau roi de Xatis, se lever tôt était un sort que je devais endurer. Le sommeil était simplement un luxe que je ne pouvais pas me permettre et se noyer dans le vin avait apparemment conduit les rois à leur chute. Il était ironique que je ne puisse pas profiter de plaisirs aussi simples. J'avais pris la relève de mon père. Couronné roi lors de la plus majestueuse des cérémonies. Tout Xatis avait célébré pendant un mois entier. Les messages de félicitations avaient afflué de partout. Je n'avais aucun doute que tout le monde avait béni la déesse de la lune en mon nom et prié pour que mon règne soit paisible et couronné de succès et pourtant me voilà. Hors de mon lit, cherchant à verser le sang des hommes chargés de gouverner à mes côtés tandis que tous les roturiers restaient encore sous le confort de leurs couvertures. C'était comme si ma vie avait été renversée et que j'étais l'esclave et non le roi de Xatis. J'échouais et je détestais cela. Il y avait tant de choses qui réclamaient mon attention. Les routes commerciales avaient rencontré une concurrence ennemie et le royaume perdait de l'argent. Cela touchait aussi les agriculteurs. Sans moyen sûr de commercer, la plupart des produits pourrissaient dans nos granges. Et des agriculteurs mécontents faisaient des maris mécontents et cela se répercutait davantage pour faire des épouses mécontentes. Je ne pouvais pas me permettre ça. Personne ne savait mieux que moi combien de problèmes une épouse mécontente pouvait causer, alors j'avais mis de côté les simples luxes du sommeil et du repos pour éviter ce problème. Mais malgré tous mes efforts, il y avait toujours quelque chose qui n'allait pas, quelqu'un qui avait besoin de quelque chose de plus, une partie de Xatis qui n'était pas satisfaite de son roi. Cependant, ce dont l'homme parlait était entièrement de ma faute. C'était mon plus grand échec en tant que roi ou était-ce le fait du destin ? C'était peut-être la raison pour laquelle entendre parler de l'anxiété de mon peuple m'énervait tant. J'ai planté mon regard meurtrier dans le noble qui avait osé souligner ce que je savais depuis le jour où j'avais épousé ma reine. L'homme a avalé difficilement, des gouttes de sueur apparaissant sur son front alors qu'il peinait à trouver les mots justes qui ne m'iraient pas plus. Ce qu'aucun d'eux ne savait, c'était que le simple fait de me réveiller me mettait en colère. Et ce n'était en aucun cas à cause des mille tâches qui m'attendaient chaque jour ou de mon manque de sommeil ou de repos. C'était quelque chose de différent, d'étrange aussi. C'était responsable de la bête que j'étais devenue. C'était quelque chose logé quelque part profondément en moi. Dans un endroit que je ne semblais pas pouvoir atteindre. Tout ce que je savais, c'était que cela affectait à la fois moi et mon loup. Il n'y avait tout simplement aucun moyen de nous apaiser, pas même avec du vin. Et le fait que la raison de cela m'échappait sans cesse, peu importe combien j'y réfléchissais, avait entraîné une humeur constamment maussade qui mettait tout le monde autour de moi en danger de se faire trancher la gorge s'ils osaient sortir un orteil de la ligne. «Eh bien...» l'homme a croassé, sa gorge aussi sèche qu'une brindille utilisée pour allumer un feu. «Sans annonce d'un banquet pour un héritier royal, tout le monde commence à s'inquiéter pour l'avenir de Sa Majesté et celui de Xatis.» J'étais tenté de lever les yeux au ciel face à cette préoccupation. Il était trop tôt pour que quiconque pense que je ne donnerais jamais naissance à des héritiers, mais je comprenais pourquoi mon propre peuple serait anxieux. Ma compagne choisie, ma reine, n'avait toujours pas d'enfant dans son ventre. J'ai serré les poings en pensant à cette réalité. Malgré avoir consommé notre mariage lors de notre nuit de noces et chaque jour après cela, elle avait toujours la même odeur. Son parfum n'avait pas changé pour parler de la conception de mon héritier. C'était un début décevant pour mon règne et notre lien choisi. Sans héritier conçu lors de notre nuit de noces, mes enfants ne seraient que des princes et des loups ordinaires. Mais cela ne signifiait pas que j'étais sur le point de céder à ces politiciens affamés dans mes affaires de chambre à coucher. J'étais sur le point d'exploser alors que ma colère flambait, mais quelque chose d'étrange se produisit. Mes émotions enragées se sont calmées instantanément et la plus étrange série de mots est sortie de mes lèvres. «Si mon peuple est anxieux, qu'il cherche le visage de son roi et déverse son cœur à mon écoute.» La surprise s'affichait sur les visages dans la salle du conseil, avec quelques-uns arborant des regards de triomphe. Je connaissais ces serpents qui cherchaient à me contrôler et ma réponse douce devait les avoir convaincus du début de leur victoire. Je ne pouvais pas permettre cela. Aussi calme que je sois devenu, je ne pouvais pas me permettre d'apparaître faible. «Bien sûr, s'ils sont assez audacieux pour se tenir en présence de leur roi, j'espère qu'ils sont assez audacieux pour endurer son verdict aussi.» «B-Bien sûr, votre Majesté.» L'homme qui avait porté la question à mon attention s’est assis plus vite qu'il ne s'était levé. Sans aucun doute, il avait peur que je lui ai infligé une punition. Il en aurait reçu une, mais même dans ma colère, je percevais qu'il n'était qu'une marionnette de quelque puissante maison noble qui préférait se cacher dans l'ombre plutôt que de me faire face. «Couards.» «Peut-être que si vous l'aviez marquée lors de votre nuit de noces, nous ne serions pas dans cette situation.» Ce serpent rusé ! J'ai lancé un regard noir à l'homme qui venait de parler, détestant que je ne puisse absolument rien lui faire dans ce contexte. Étant d'une des maisons nobles notables, je ne pouvais pas lui infliger le sort que je désirais. Pas si je ne voulais pas que tout le royaume se soulève contre moi. L'imbécile le savait aussi, à en juger par le sourire suffisant qu'il arborait. Et si ce n'était pas pour la main de Rakon qui me maintenait sur mon siège, mes canines se seraient déjà enfoncées dans sa gorge, quelles qu'en soient les conséquences. « Lord Evarius, depuis quand les affaires privées de votre roi sont-elles devenues votre affaire ? » j'ai craché entre mes dents serrées. Il m'avait harcelé à ce sujet, mais je l'avais ignoré. Mais maintenant que c'était sorti au conseil, cela allait devenir une affaire politique. Une graine avait été plantée pour mettre en évidence mes insuffisances et si elle n'était pas traitée rapidement, cela conduirait beaucoup à douter de mes capacités en tant que roi et en tant qu'homme. J'aurais pu avancer cet argument plus tôt pour éviter que la situation n'en arrive là, mais la vérité était que je ne savais pas pourquoi je ne l'avais pas fait. Si j'avais marqué Myrna, peut-être comme le prétendait Lord Evarius, je ne serais pas dans cette situation, mais quelque chose m'avait empêché de le faire cette nuit-là et chaque jour et nuit après cela. Je ne le comprenais toujours pas, mais une chose dont j'étais certain, c'est que je ne devais d'explication à personne sur mes actions. Que je marque ma reine ou non, c'était une affaire entre moi et ma compagne choisie et puisque je savais que c'était simplement un stratagème pour mettre en lumière mes incompétences en tant que roi, j'ai choisi de jouer le jeu avec cet homme. Eh bien, si l'on peut appeler accuser un homme de trahison une indulgence. « Ma reine a-t-elle cherché refuge dans vos bras à ce sujet ou souhaitez-vous qu'elle porte votre marque ? » « Votre Majesté ! » s'est exclamé Lord Evarius, feignant le choc tandis que le reste du conseil parlait bruyamment entre eux à l'accusation. « Eh bien, c'est une façon de faire obéir un chien. » Rakon a ricané dans notre lien mental, mais je ne trouvais rien d'amusant dans cette affaire. J'avais touché un nerf. Lord Evarius était beaucoup de choses, mais il n'était pas du genre à laisser ses émotions se manifester aussi imprudemment, ce qui me faisait me demander ce que cette démonstration était censée me cacher. « Pardonnez-moi, votre Majesté. Je n'avais pas l'intention de vous mettre en colère – » Bruit... C'était ce qu'était cette excuse sans signification et cela ne faisait que m'irriter et me rappeler mes nombreux échecs en tant que roi. Je ne pouvais même pas dompter mon propre conseil. Ou peut-être que rien de ce qui m'était arrivé n'était le problème. Ni mes ennemis dans ce conseil ni à l'extérieur. Ni mon manque de sommeil ou de repos. Ni les nombreuses choses qui allaient mal à Xatis. C'était elle. Ma maudite compagne et sa trahison. La trouver aurait dû me compléter. Avec elle à mes côtés, j'aurais été parfait dans ce rôle. Tout comme père l'avait été avec mère à ses côtés. La trouver, cependant, avait été ma perte. Ma malédiction. Elle était la raison pour laquelle tout refusait d'aller bien. Même quand j'avais fait le pire pour la punir, je n'avais trouvé aucune satisfaction comme je l'avais espéré. Et alors que j'écoutais la parodie d'une excuse, je cherchais du sang. Peut-être qu'un ennemi de moins apaiserait la bête en moi. Le calme que j'avais ressenti plus tôt était depuis longtemps parti et seule la colère faisait rage. « Votre Majesté ? » J'ai ignoré Rakon alors que je cédais à mon côté sombre. Mes yeux étaient fixés sur le cou de Lord Evarius, observant sa veine pulser chaque fois que son cœur effrayé battait dans sa poitrine. C'était la première fois que je laissais l'alpha en moi prendre le dessus, forçant tout le monde au conseil à s'incliner alors que je leur montrais qui était le roi. Les canines se sont allongées d'elles-mêmes tandis que mes griffes démangeaient d'envie de déchirer cette pulsation. Ma langue aspirait à goûter le goût chaud et métallique et juste avant que je ne bondisse, j'ai été plaqué au sol. Mes griffes se sont coupées et le grognement douloureux de Rakon m’a sorti de ma stupeur. « Bon sang, Elian ! » Il était à quatre pattes et toujours sous forme humaine, ce qui expliquait comment j'avais pu le frapper si facilement. « Es-tu devenu fou ? » « Sors de mon chemin ! » J'ai grondé. « Cet imbécile n'en vaut pas la peine. » « Je m'en moque ! » J'ai ignoré Rakon une fois de plus en reportant mon attention sur ma proie traîtresse. « Ils ont trouvé la bague ! » « Quoi ?! » La nouvelle a effacé instantanément ce qui restait de ma rage. « Ça a intérêt à ne pas être l'un de tes stupides stratagèmes, Rakon ! » Je l'ai averti. « Eh bien, nous ne le saurons pas si tu continues à insister pour tacher la salle du conseil de sang amer. » En entendant que quelque chose avait enfin bien tourné, j'ai bondi sur mes pieds et j'ai quitté la salle du conseil en un éclair. Soulagement, joie et quelque chose que je ne reconnaissais pas m'envahissaient alors que j'avais envie de mettre la main sur le trésor perdu depuis longtemps. J'étais déjà dans le couloir menant à mon bureau lorsque Rakon m'a rattrapé. « Selon tes instructions, la bague et son porteur sont déjà dans ton bureau. » J'ai hoché la tête, sans prêter attention à ses mots alors que mon esprit se préparait à rencontrer l'étrangère que j'avais déflorée cette nuit-là. Était-ce la même personne que le porteur de la bague ? Et pourquoi mon cœur s'emballait-il soudainement ? Mon loup agissait étrangement aussi, me forçant à accélérer le pas. Je devais entrer là-dedans. J'étais à quelques pas de mon bureau quand un parfum sucré familier remplit mon nez et je me suis figé. Que faisait-elle ici ?! La réalisation m'a fait lancer un regard noir dans la direction de mon meilleur ami. « Qu'as-tu fait ?! » Parce qu'il était le seul à chanter son innocence et à me réprimander sur l'erreur que j'avais commise à son égard, je l'ai attrapé par le cou et l'ai plaqué contre le mur. Les marques de mes griffes sur le côté de son visage s'estompaient déjà et j'étais prêt à les réimprimer s'il ne commençait pas à parler. « C'est quoi ce bordel ?! » La surprise a scintillé dans les yeux de Rakon, mais je savais mieux. S'il avait osé me désobéir sur cette affaire, c'est son sang que je serais en train de verser à cet instant. « Qu'est-ce que j'ai fait maintenant ? » Il n'a même pas pris la peine de se défendre et s'est contenté de me fixer, la confusion voilant ses yeux. Ce n'était pas son genre et si j'avais été dans mon bon sens, son état m'aurait convaincu de son innocence. « Quoi que ce soit, je jure que je n'en sais rien. » Rakon a compris enfin quand je n'ai fait que le fixer. « Quelqu'un vient de me contacter par télépathie affirmant qu'ils avaient trouvé un renégat, une jeune fille dans la capitale portant ta bague. Elle avait essayé de l'échanger contre de l'or. » « Un renégat ? » Ce seul mot a arrêté tout mon monde. Ça ne pouvait pas être ! Alors que mon esprit rassemblait tout ce que Rakon avait précipitamment déversé de sa bouche, je ne pouvais m'empêcher de penser à la première et dernière fois où j'avais été dans le village oublié. Un renégat... c'est ce qu'elle serait après que je l'ai bannie. « C'est ce que disait le message. » Rakon a grogné, en se massant le cou. « Qu'est-ce que c'est ? Ne me dis pas que tu as changé d'avis maintenant qu'elle a été retrouvée. » Rakon a froncé les sourcils. Ce n'était certainement pas ça, mais quelles étaient les chances que ce soit ce à quoi je pensais ? Mes jambes refusaient de bouger, mais je les ai forcés à le faire en prenant des pas déterminés vers mon bureau. Il fallait que je sache.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD