In Extremis

1225 Words
Je me concentre pour entrer en communication télépathique avec Julian.  Il me refuse tout contact, déterminé à ne pas me laisser entrer dans sa tête.  Je peux comprendre qu’il soit encore fâché contre moi, vu ce que je lui ai craché au visage avant de le planter là.  Je change donc de tactique, souhaitant lui éviter de poser un geste qu’il regrettera.  Cherchant en moi nos plus beaux souvenirs, je le bombarde d’images pleines d’affection, de tendresse, de sensualité et d’amour.  J’y mets tellement d’énergie que je sens un filet de sang couler sous mon nez.  Je vois Viktor froncer des sourcils.  Je le rassure d’un demi-sourire en m’épongeant de la main.    -          Tu sais que tu viens de m’empêcher de commettre un geste irréparable, me souffle Julian, soulagé.  J’allais vraiment l’achever…   -          Je sais et ça aurait été en partie de ma faute, le coupé-je, repentante.  Nous n’avons pas pris le temps de nous ramener en phase après ma vision.  Je t’ai laissé seul avec ta colère et ta peur, en y ajoutant une gifle au passage.    -          Arrête Sweety.  J’ai été plus qu’odieux avec toi en prétendant que tu avais pris ton pied en donnant du sang à Viktor.  Je sais que ça n’a pas été si agréable que ça de servir de lunch.  Je n’aurais jamais dû te dire ça.  Surtout pas devant tous ces gens.    Je lance un regard vers mon Ancien en souriant franchement cette fois.  Il me dévisage, cherchant à comprendre.  Je lui fais un clin d’œil en pointant ma tempe.  Il hoche la tête avant de s’appuyer contre le mur, ouvrant la lettre de mon Père.    -          J’ai l’impression que Viktor ne me laissera pas partir du Presbytère de sitôt, dis-je à Julian.  Il ne me quitte pas d’une semelle depuis son retour.  Il ne semblait pas à l’aise de me savoir seule à son arrivée.    -          Pas que je suis chaud à l’idée, mais on aurait tort de lui en vouloir.  Tu es la seule qui lui reste.  Il me l’a clairement exprimé.  Je ne l’avais jamais vu aussi tourmenté qu’avant de nous laisser au Munitum.  On aurait dit qu’il hésitait à aller au combat.    -          Je sais.  C’était flippant de voir ça dans son regard après toutes ces années.  Je refuse de le laisser seul, ici, de toutes façons.  Il aura besoin d’une présence pendant quelques temps.  N’oublie pas que son compagnon des deux derniers siècles fait également partie des victimes.    -          Je comprends Sweety.  Il aura besoin de toi.   -          Tout comme j’ai besoin de toi, Skugga d’amour.    -          Je passe prendre les Filles et j’arrive Sweet-cubus.   Je dois absolument boire avant l’arrivée de Julian.  S’il me voit encore dans cet état, il ne conservera pas son calme bien longtemps.  Je me dirige vers le quartier des occupants pour me changer.  Ma robe est tachée de sang, je ne peux donc pas sortir parmi les humains vêtue ainsi.  L’Évêque me suit sans dire un mot, toujours concentré sur les pages jaunies de sa lettre.  Il grogne devant la porte de ma chambre de service.    -          Vous étiez très déçu et je le comprends, le rassuré-je.  Je ne vous en ai jamais voulu.  De plus, pensiez-vous vraiment que j’allais vous faire l’affront de vivre sous le même toit que vous ?  Je ne l’ai pas utilisée.  Père m’a rappelé qui j’étais, avec ou sans titre.  Je suis d’abord et avant tout sa Fille, une Sakyu digne et fière.  Beaucoup trop fière pour dormir dans un placard à balais.    Je lui fais un clin d’œil avant d’aller me changer.  Je reviens vers lui en un rien de temps, fraîche comme la nuit, une robe toute propre sur le dos.  Un petit coup de « Jeunesse Éternelle » pour contrer la pâleur de ma peau et je suis prête pour une sortie au restaurant.    -          Son Éminence Fabre vous connaissait bien, me dit Viktor en marchant vers un bar du Vieux-Montréal.  Votre Père supposait que vous attendriez la fin de vos corvées avant de me remettre cette lettre.  Il dit que vous me donneriez le droit de vous détester adéquatement avant de le laisser communiquer avec moi.    Il n’en dit pas plus et je ne lui pose pas de question.  Je trouve étrange de me sentir observée de loin pendant que je m’amuse avec mes proies.  La surprotection de mon Ancien a tout de même un petit quelque chose de réconfortant après toutes ces années où il m’a ignorée.  J’aurais toutefois préféré que son intérêt pour moi revienne autrement, qu’il soit plus légitime.    -          Je te l’ai dit Rébecca, me répète-t-il comme s’il lisait dans mes pensées, tu es la Première Prêtresse de Montréal.  L’orgueil m’a empêché de le voir plus tôt.  Nous avons été idiots de ne pas suivre le mouvement que les jeunes ont entamé depuis des années.    Nous marchons côte à côte dans les rues du Vieux-Port.  J’ai retrouvé un teint plus que convenable sous ma «Jeunesse Éternelle » qui ne trompera pas mon Skugga-analyse-tout.  Je remercie son Éminence pour cet aveu de confiance.  Je suis ensuite distraite par les silhouettes des membres de ma famille qui nous attendent sur les marches devant la Cathédrale.  Mue par le besoin de retrouver les bras de Julian, je jette un regard vers Viktor.  Il hoche doucement la tête.  Quelque chose a vraiment changé en lui, comme si sa bête ne le combattait plus.  Je me précipite vers le parvis de l’église et saute au cou de ma moitié.  Notre proximité brise sa digue mentale.  Je suis frappée de plein fouet par la confusion émotionnelle qui l’habite.   -          Il était temps que tu arrives Sweety, murmure Julian.  Je n’y arrive pas sans toi.    Il pose sa main sur ma poitrine, le regard fou.  Je place la mienne sur son cœur.  Mes yeux soudés aux siens, je laisse mon esprit guider ses pensées.  Nous restons immobiles de longues minutes, réalisant que nous avons tardé à faire ce simple rituel et que les conséquences de cet oubli auraient pu être dramatiques.  Cette fois, je perçois clairement son combat intérieur : une envie qui lui donnait simultanément le goût de me frapper à mort tout en désirant me faire hurler de plaisir sans fin.  Ça le rendait complètement fou.  Perdre ainsi sa capacité à analyser son environnement et ne ressentir que la peur de me perdre, l’envie de se venger sur moi pour cette crainte tout en désirant me faire sienne l’obligeait à s’accrocher à une ancre solide pour ne pas perdre pied et retrouver son équilibre.  Notre rituel le reconnecte à nous, le forçant à se concentrer sur nos bons moments, l’essence même de notre lien.  Je suis son ancre.  Sans moi, Julian dérive.  Sans lui, je suis perdue.  Nous avons besoin l’un de l’autre.    -          Si forts et si vulnérables.  Tu es mon phare dans la nuit, Rébecca, déclare Julian avant de m’embrasser.    Je sais que le crise est derrière nous mais qu’elle nous laissera des marques indélébiles.  Nous sommes effectivement si vulnérables.  Notre b****r doit se prolonger au-delà des convenances car un raclement de gorge bien senti nous ramène poliment à l’ordre.  Gênés, nous nous séparons.    -          Ils font toujours ça, se plaint Myriam, faussement mécontente.   -          Mais ils sont si beaux ensemble, nous défend Cassie en souriant.   -          Rentrons.  Quelqu’un entre dans la Chapelle, fait simplement Viktor.  
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