Victoria

1985 Words
Nous prenons l’entrée secrète pour nous rendre directement à la Chapelle.  Je me demande comment mon Ancien peut sentir qu’un Immortel entre dans notre établissement souterrain alors que nous sommes séparés par plusieurs mètres de terre et de roches.  Nous arrivons en même temps que Monseigneur qui est seul.  Nous nous agenouillons devant lui.   -          Relevez-vous, nous dit-il.  J’ai senti le besoin de me recueillir avant de rentrer.  Je ne pensais pas trouver la Chapelle pleine de gens.    Père m’a expliqué qu’un tunnel relie le quartier général de la Maison des Imperius, où réside le Roi, à la Chapelle, permettant à ce dernier d’y avoir accès quand bon lui semble.  Seul Monseigneur a la clé de la porte de cet accès.  L’autre tunnel est accessible à tous.    -          Nous arrivons Monseigneur.  Ma Première Prêtresse devait absolument chasser et je…   Viktor se tait.  Le Roi l’observe sans dire un mot, mais je sais qu’il a compris.    -          Vous avez raison, votre Éminence.  Il faut veiller sur Rébecca.  Elle est la seule qui vous reste.  Venez, nous allons discuter plus longuement dans votre bureau.    Je les vois se diriger vers le Presbytère quand je repense au c*****e que j’ai découvert dans le bureau de l’Évêque.    -          Votre Éminence, l’interpellé-je avec respect, tremblant devant Monseigneur.  Évitant de regarder le Roi, je prends mon courage à deux mains et poursuis :  Rappelez-vous ce qui s’est passé dans cette pièce.  Vous devriez plutôt utiliser un salon pendant que je nettoierai tout ça avec Julian et les Filles.    -          Je m’occuperai personnellement de Farkas, précise Viktor sans émotion.    Il fixe ensuite Julian et part sans ajouter quoi ce soit.  J’ignore ce qui s’est passé ou ce qu’il a pris quand il était avec la Déesse, mais je dois absolument en avoir une dose à l’occasion.  Julian apprécierait sûrement un peu de répit de mes élans à la Sakyu.    -          Je les aime bien tes élans passionnés Sweet-cubus, me chuchote mon aimé à l’oreille.    Je m’appuie contre lui en souriant, regardant nos Anciens marcher vers le Presbytère.  Lorsqu’ils sont hors de vue, je me tourne vers Myriam et Cassie pour prendre de leurs nouvelles.  Je n’ai pas pris le temps de leur demander comment elles allaient après leur retour du combat.  Tout s’est passé si vite.    -          Je vois bien que vous marchez, mais je veux savoir comment vous vous sentez, leur demandé-je en avançant vers elles.   -          Impuissante et inutile, laisse tomber Myriam.   -          C’était intense et excitant, s’enchante Cassie en même temps.   Leurs réactions opposées m’arrachent un sourire tellement elles les représentent.  Je sens une inquiétude paternelle chez Julian que je calme aussitôt en lui prenant la main.    -          Ça va Papa Poule, rigolé-je en lui faisant un clin d’œil. Je continue en regardant Myriam : Impuissante et inutile ?  Est-ce que tu peux développer s’il-te-plaît ?   -          Je ne suis pas une guerrière, explique-t-elle, découragée.  Tout ce que j’ai fait, c’est de l’enfermer dans un cocon invisible pour éviter qu’il puisse utiliser certains de ses pouvoirs.  Mais un Ancien comme lui, c’est vachement puissant.  Votre sorcellerie, elle frappe fort.  Il s’est concentré sur Kiara comme s’il n’y avait qu’elle.  Il avait l’air possédé.  Peu importe ce que les autres lui faisaient, il ne la frappait qu’elle.  Une véritable obsession.  Si l’Évêque a été mis en torpeur, c’est parce qu’il s’est interposé carrément entre elle et lui quand il a invoqué Loudas à l’aide d’un médaillon, ignorant les coups que les autres guerriers lui donnaient.  Il semblait en transe.  Mon cocon n’empêche pas vos rituels, maintenant, je le sais.  J’ai vu son Éminence tomber sur le sol et Kiara partir en cendre.  C’était horrible Mère.    Je la serre contre moi pour la consoler.  J’imagine la scène et je conçois facilement que d’assister à la destruction d’une guerrière telle que Kiara n’est pas un spectacle agréable.  Son résumé du combat me semble flou, inconséquent et incomplet.  Il faut des nerfs d’acier pour invoquer Loudas sans être distrait par des attaques comme ce que Myriam me raconte.  Un véritable guerrier ne s’en serait pas pris à une aussi jeune combattante en se retrouvant face à autant d’adversaires.  Je laisse mes réflexions de côté pour revenir à ma jeune Fille qui sanglote dans mes bras.  Je comprends son sentiment d’impuissance car je l’ai vécu lors de ma toute première mission avec la Coterie.  Contrairement à elle, qui a grandement aidé en isolant le serpent dans un cocon grâce à son pouvoir, je n’avais vraiment rien fait.    -          Myriam chérie, tu l’as empêché d’utiliser tellement de pouvoirs en l’emprisonnant à son insu, la rassuré-je.  S’il avait pu vous écraser avec la souveraineté de mon sang, ce que je le crois capable puisqu’il vous a convoqué toutes les deux, tous les guerriers auraient dû faire un effort de volonté pour l’attaquer.  C’est un Molaĩ.  Il aurait pu semer la pagaille en vous faisant perdre le contrôle de vos bêtes et en profiter pour s’éclipser.  D’un seul contact visuel, l’un de vous s’endormait ou figeait sur place.    -          J’empêchais aussi NOS propres guerriers d’utiliser ces mêmes pouvoirs contre lui.  Je le protégeais de nous, rétorque-t-elle.   -          Pas du combat au corps à corps et vous étiez supérieurs en nombre, renchérit Julian pour m’aider.    -          Ma chère Sœur, nous l’avons vaincu, c’est ce qui compte au final.  Jessica, Farouk, Sébastien, James, Mariko et Kiara sont vengés ainsi que Farkas et les Initiés de la Congrégation.  Père et Mère sont en sécurité.  C’est le plus important.   -          Vous êtes avec nous.  C’est vraiment le plus important à mes yeux, leur rappelé-je en les serrant contre moi.   Rassurer mon cœur de mère en ayant mes Filles dans mes bras a l’effet de sécuriser Julian également.  Pour un bref instant seulement car je le sens rapidement en alerte.  Il se tourne, les sens aux aguets, vers l’entrée de la Chapelle.    -          Toujours aussi câlineuse à ce que je vois, fait une voix que je reconnais immédiatement.  J’espère que tu en as assez pour ta grande sœur, jeune Prêtresse.    Je lâche mes Filles pour sauter au cou de la visiteuse en criant de joie.  C’est Victoria, la Régente qui accompagnait mon Père lors de son arrivée à Montréal.  Le Cardinal de Québec l’a transférée à Vancouver pendant que j’étais à la recherche d’un Évêque pour notre cité, profitant de mon absence prolongé pour s’ingérer dans la politique interne de ma Congrégation.  À mon retour avec Viktor, j’ai été insultée d’apprendre les manigances du Cardinal.  Il est de la responsabilité de la Première Prêtresse de superviser et choisir le ou la Régente de sa Congrégation.  J’étais prête à faire ravaler sa décision à mon ennemi de Québec mais Victoria voyait la situation autrement.  Elle a calmé la jeune Sakyu désirant venger son ego et m’a fait voir un éventail de possibilités pour le miroitement de Montréal.  Sa présence à Vancouver ne pouvait qu’être bénéfique pour propager notre vision et notre philosophie et elle me savait assez persuasive pour faire voir au nouveau Régent, originaire de Québec, la beauté de notre cité.  Elle a eu raison sur toute la ligne.  Nous sommes restés en contact régulier depuis presque huit décennies en ne se visitant qu’une seule fois.  C’était d’ailleurs lors de ce voyage à Vancouver que j’avais compris que Julian me suivait volontairement à travers l’Amérique du Nord et que nos rencontres n’étaient pas dû au hasard.  Je suis tellement heureuse de revoir Victoria.  Je lui présente Julian, qu’elle reconnait évidemment, Cassie et Myriam.  Elle leur avoue qu’elle aurait pu les nommer sans mon aide tellement je parle d’eux dans mes lettres.  Elle taquine Julian, comprenant mieux les raisons de sa présence à Vancouver.   -          Je suis une Skugga, lui dit-elle.  Tu ne mentais pas lorsque tu disais vouloir découvrir différentes cités mais ton aura démontrait qu’il y avait autres choses dans tes intentions.  Rien de malveillant, bien au contraire.  De plus, tes yeux ne la quittaient pas.   Et ton sourire était sincère lorsque tu la regardais.    Je crois que si les vampires pouvaient rougir, Julian passerait inaperçu dans un étalage de tomates.  Je l’ai rarement senti aussi gêné depuis que je l’ai rencontré.  Victoria me fait un clin avant de redevenir extrêmement sérieuse.  Je me doute bien de la raison de sa visite, il n’y pas de hasard dans notre univers.  Je ne peux pas m’empêcher de penser à Farouk en la voyant.  Julian me prend par la taille, inquiet de sentir mon esprit s’assombrir.       -          Je n’ai pas reçu de nouvelle de Farouk cette semaine.  Tu sais qu’il est réglé comme une horloge.  Quand j’ai vu qu’il ne répondait pas à son téléphone, j’ai su immédiatement qu’il se passait quelque chose.  Surtout avec les tensions que le nouveau Prêtre lui causait.  Rébecca, qu’est-ce que tu ne veux pas me dire ? me demande Victoria, le visage sévère.   -          Que le Protecteur Farouk Brakni n’est plus, Régente Lance, lui répond le Roi à ma place.  Bienvenue chez-vous, jeune Purifiée.    Victoria s’agenouille et il lui fait signe de se relever.  Mes cris de joie ont dû alerter nos Anciens, expliquant leur présence.  Viktor se présente en offrant ses sympathies à la nouvelle venue.  Elle le remercie, mal à l’aise.  Elle se tourne vers moi, un peu perdue.  On dirait qu’elle hésite entre pleurer et hurler de rage.    -          Dans mes bras, grande sœur, lui dis-je simplement.    Elle me fonce droit dessus et laisse sa douleur s’exprimer dans un long cri déchirant.  Elle plonge son regard noisette dans le mien.   -          Est-ce qu’il est déjà vengé ou est-ce en processus ?   -          Les cendres de celui ayant posé le geste sont déjà sur le mur du Munitum, déclare le Roi.   -          Lorsque je trouverai son maître, je te promets qu’il paiera lui aussi, ajouté-je, déterminée.    -          Alors son âme repose en paix, je vais mieux.    Elle sourit avant d’être officiellement présentée à l’Évêque par Monseigneur.  Je les observe discuter, de plus en plus inconfortable d’être aussi près du Roi.  Tentant d’être le plus discrète possible, je fais quelques pas pour sortir de son champs de vision.  Après tout, ça fait presque 10 ans que j’ai ordre d’être invisible à ses yeux.  Julian me prend par la main pour me garder près de lui.   -          On dirait que tu cherches à te sauver, se moque-t-il.   -          J’aimerais bien, lui avoué-je, baissant la tête.  Il n’y a pas que sa présence.  La nuit avance et des corps en décomposition jonchent le sol du bureau de Viktor.  Il faudrait les brûler avant le lever du jour.    -          Les brûler ?   -          Nous avons un incinérateur dans la Prison.  Farouk me l’a montré après mon altercation avec le serpent.  Nous concoctions des plans machiavéliques pour le faire disparaître lorsque je prenais des pauses aux archives.   Une larme roule sur ma joue aux souvenirs de ces moments passés avec mon Zhutko préféré.  Julian l’essuie avec tendresse.  Geste que remarque Monseigneur qui nous fixe de son regard indéchiffrable.  Sans comprendre pourquoi, ma bête s’agite et panique.  Elle m’incite à fuir le plus loin possible cet Immortel qui se trouve devant moi.  Puis je l’entends, cette voix tyrannique, celle qui a bien failli détruire mon couple, celle qui a perturbé mon Ancien : la voix de ma lignée.  « Ne te laisse pas intimider par cet homme.  Si tous ces gens sont morts, c’est parce qu’il vous a ignoré, ta Coterie et toi. » Je serre les mâchoires, tâchant de rester muette.  Il est hors de question que je reproche à mon Roi ce qui s’est produit.  Je n’ai rien dit à Viktor et j’ai obligé Farouk à se taire.  Je suis la première fautive.  Je ferme les yeux pour lutter contre mon envie de hurler ma colère et ma déception sur Monseigneur, consciente qu’elles ne lui appartiennent pas.  Je tente de puiser en moi compassion et pardon, sans succès.  Ma lignée souhaite vengeance et elle a trouvé son bouc émissaire.  
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