Monstre

1888 Words
L’atmosphère devient immédiatement plus légère, restant toutefois tendue.  J’essaie de me libérer de l’étau que sont devenus les bras de Julian sans succès.  Je lui murmure qu’il me fait mal, faisant grogner quelques Immortels autour de nous.  Cette réaction inattendue me stupéfie.  Julian me repousse vivement.  Déséquilibrée, je m’appuie sur mes mains pour me stabiliser.  Je plonge mon regard dans le sien, seule façon de lire en lui puisqu’il tient son esprit fermé depuis que nous avons quitté la grande salle.  Le monstre est toujours présent au fond de son regard, accompagné d’une colère si noire que je baisse la tête, intimidée.  Je ne l’ai jamais vu dans cet état.  Je cherche une façon de le ramener au calme lorsqu’il se remet sur pied, me surplombant de toute sa grandeur.    -          C’est excellent que tu demandes pardon à genoux, Rébecca, déclare Julian avec méchanceté.  Après tout ce que tu viens de me faire endurer.   -          Demander pardon ? répliqué-je insultée.   Je me lève d’un bond pour l’affronter, nez à nez.  Il y a du mouvement autour de nous.  Je vois Monseigneur faire signe aux guerriers présents de cesser de bouger.  Tout le monde nous observe.   -          Mais tu te fous de moi, lui crié-je à la tête.   -          Tu as failli mourir pour sauver un p****n de Purifié, me crache Julian, les yeux plissés, poings serrés.  Sans oublier que tu l’as laissé te vider de ton sang un peu plus tôt pour le sauver une première fois et que tu as pris ton pied à le faire en plus.   C’est plus fort que moi.  Ma main part et atterrit sur sa joue dans un bruit sec.   -          Je te déteste Julian Peters.  Je voudrais ne jamais t’avoir rencontré.   Je vire les talons, regrettant déjà ce que je viens de lui dire.  Perdue, je me dirige vers la Chapelle, mon seul refuge en temps de crise.  Mais cette fois, il n’y aura personne pour m’accueillir, me consoler, me réconforter.  Je me retrouve devant l’urne de mon Père qui me rappelle douloureusement tous ceux que j’ai perdu.  Je parviens, malgré la tourmente qui sévit dans nos esprits, à faire un mur entre Julian et moi.  Je n’aime pas mettre en pratique les leçons qu’il m’a enseignées depuis que nous habitons ensemble car j’ai toujours l’impression de lui cacher quelque chose.  La confusion que je ressens en Julian est si grande qu’il s’est convaincu que j’ai éprouvé du plaisir à nourrir Viktor.  Sa haine pour la Congrégation prend le dessus lorsque son monstre le domine.  Je reviendrai vers lui lorsque je le sentirai plus calme.  Je m’agenouille devant l’autel et prie pour l’âme de nos défunts.  J’ai une pensée pour chacun des membres des Mathetes Loudas et de nos Initiés, pleurant en murmurant leurs noms, implorant Dieu de les accueillir auprès de lui, peu importe les péchés qu’ils traînaient encore dans leurs cœurs.  Je me rends ensuite près du blason de la Smala et demande à leurs divinités d’accueillir les âmes de Jessica et Gabriella selon leurs rites, sachant très bien qu’il n’est pas de mon ressort de le faire, mais refusant de les oublier dans mes prières.  Retournant au pied de l’autel, j’observe l’ensemble de la Chapelle en souhaitant trouver la force de pardonner à Monseigneur d’avoir ignoré les demandes d’audience de Jörg et de ne pas avoir lu les rapports de ma Coterie concernant nos découvertes sur cet ignoble serpent.   -          Vouliez-vous me punir vous aussi ? m’écrié-je en fixant le plafond, attendant une réponse qui ne viendrait jamais.    Émotionnellement épuisée, je m’assois dans un banc, cherchant le courage d’aller nettoyer le c*****e du bureau de mon Évêque.  Je ne peux laisser des corps en putréfaction dans le Presbytère plus longtemps.  Je pensais à Farkas lorsqu’un froissement de tissus attire mon attention.  Viktor se tient debout devant moi, l’air soucieux.    -          Vous êtes seule, grogne-t-il.  Où est votre moitié ?   Je déglutis, incapable de répondre.  Il s’installe à mes côtés.  Bien qu’il soit très près de moi, sa bête ne m’affole pas.  Même lorsqu’il a grogné, je ne me suis pas senti intimidée, seulement mal à l’aise de la situation qui me sépare de Julian.  Je le regarde intriguée.  Puis, je me souviens de la lettre de mon Père.  Je l’ai apporté avec moi, une nuit, pour la laisser dans un tiroir de ma table de travail de la salle des archives.  Je me suis dit qu’elle pourrait peut-être me servir sous peu.  Je n’avais pas tort.  L’occasion se présente enfin.   -          J’ai quelque chose pour vous dans la salle des archives, dis-je à mon Évêque.  Attendez-moi ici.   Je marche rapidement jusqu’à mon lieu de travail.  Je trouve l’enveloppe dans le tiroir où je l’ai rangée.  Je sors de la pièce et tombe face à face avec mon Ancien.  Je retiens un cri de stupeur.  Il me fixe, l’air toujours aussi soucieux.  Je soupire.  J’aurais dû me douter qu’il ne pourrait s’empêcher de rester près de moi.  Pas après la destruction complète de notre Congrégation.  Pas après ce qu’il vient de subir.  Je lui tends la lettre de mon Père en souriant.   -          La Professeur Jacobs avait reçu l’ordre de me remettre un coffre contenant une série de lettres provenant de mon Père lorsque je serais Mère.  Voici la vôtre.   -          Comment a-t-il…   Il s’arrête, plisse les yeux avant de reprendre.   -          C’est lui que tu as visité cette nuit-là, soupire l’Évêque.  Ce fouet avait déjà lacéré sa propre chair.  Il ne l’avait pas gardé dans son bureau pour rien.   -          Notre rencontre lui avait été annoncée par l’Oracle.  Je crois qu’il était sous le joug de Reiner, dans une salle de torture parce qu’il avait justement écouté cette femme de la Smala quand je lui ai parlé.  Il était enchainé comme un vulgaire chien.  Qui peut vouloir traiter quelqu’un de la sorte ? m’emporté-je, faisant sourire mon Ancien.    Je comprends à sa réaction qu’il a probablement déjà fait bien pire à ses ennemis.  Je me renfrogne avant de poursuivre :   -          Malgré ses chaines, l’attitude désinvolte d’Antoine m’a forcé à repousser ses avances et à lui dire que je n’étais pas là pour combler ses bas instincts.  Ma nudité et mes marques de fouet portaient à confusion.  Quand il a su que mon Roi me punissait d’avoir transgressé la loi de la Progéniture, il a changé de comportement.  C’était comme s’il venait d’avoir la révélation que l’Oracle disait vrai depuis tout ce temps.  Selon elle, avoir Myriam à mes côtés était un pas de plus sur la bonne voie.  Nous ignorons toujours laquelle.  Mais nous savons que Lydia est avec nous sous la recommandation de l’Oracle.  Elle est dans le secret depuis son arrivée à Montréal.  Secret qu’elle a conservé jusqu’à cette fameuse nuit.   -          Pourquoi avoir attendu toutes ces années avant de me remettre cette lettre ?    -          Je voulais vous laisser le droit de vivre pleinement votre déception, expliqué-je, la mine basse.  Je n’ai donné aucune lettre.  À l’exception de Farouk.  Je ne supportais plus de le voir si démoli par tout ça.    -          Je comprends mieux le changement dans son regard.  Il a recommencé à te voir comme sa sœur quelques mois seulement après ta disgrâce.  Il fut le premier d’entre nous à t’ouvrir son cœur à nouveau.  Mais il ne fut pas le seul.  Ils attendaient tous avec impatience la levée de ta punition pour avoir le droit de te parler à nouveau, croyant à tort qu’il était interdit de le faire à l’extérieur du Munitum.  J’étais tellement pris dans mon orgueil et ma colère contre toi que j’étais incapable de le leur faire remarquer.    -          Je ne peux vous en vouloir, votre Éminence, lui dis-je, touchée par sa confession.  Je ne cesse de me dire que si j’avais remis ces lettres lorsque je les ai reçues, ils seraient peut-être encore tous là, m’effondré-je en larmes, une fois de plus.   Viktor s’agenouille auprès de moi et me caresse le dos.  J’ignore vraiment ce qu’il a fait avec la Déesse, mais je ne ressens aucune crainte qu’il soit collé sur moi de la sorte.  Voyant que je ne me calme pas, mon Ancien m’attire à lui et me serre dans ses bras.  Je déverse un torrent de larmes tandis qu’il me flatte les cheveux.  Jamais je ne l’ai vu être aussi doux avec qui que ce soit.  Je m’apaise peu à peu.  Je sursaute lorsque je me rends compte que Julian se nourrit, l’esprit toujours aussi noir.  Il y a si longtemps que nous ne sommes plus conscients de ce geste quotidien chez l’autre que je m’étonne que ce dernier ait pu franchir nos barrières mentales.  Le regard perplexe, Viktor me questionne sur ce qui me tracasse.   -          Julian est sorti souper, probablement avec Kat pour se calmer.  Les événements de la nuit ont fait ressortir le sadique en lui.  Assez pour que je le gifle devant public avant de me réfugier ici.    -          Il n’a jamais aimé que tu utilises ton don.  Tu étais si pâle quand je suis revenu à moi.   -          Julian m’en voulait déjà d’avoir drainé du sang à plusieurs reprises pour courir avant même que je vous nourrisse.  Il était en colère que je découvre un nouveau don juste avant d’arriver au sta…   -          Celui qui a réconforté les citoyens d’un regard argenté, me coupe le Nyama.  La Druidesse m’en a glissé un mot.  Elle dit que ça ressemblait à une caresse invisible qui nous rappelle que nous ne sommes pas seuls face à l’adversité.  À la défense de ta moitié, préviens-le quand tu fais ce genre de chose, tu sais qu’il a terriblement peur de te perdre.    Je le fixe bêtement, sans dire un mot.  Si j’avais été devant Kat ou Lydia, je leur aurais fait un doigt d’honneur.  Je suis malheureusement sans ressource devant mon Ancien.  Je suis distraite par une autre gorgée que prend Julian.  Cette fois, je réalise que c’est peut-être ma propre faim qui me fait réagir de la sorte.  Je m’éloigne doucement de Viktor en le remerciant de sa présence.   -          Je vais devoir penser à aller chasser.  C’est probablement pour ça que je vis autant celle de Julian.  Je regrette terriblement d’avoir pris les mauvaises décisions.  Nous aurions dû, Farouk et moi, vous faire part de nos doutes concernant ce serpent, heu, je veux dire Lormier.  Je déteste qu’il ait un nom.   -          Cette appellation lui va très bien.  Un serpent tel que lui aurait trouvé une façon de vous faire taire ou de se faufiler parmi nous, peu importe les décisions que tu aurais prises, Rébecca.  Est-ce que tu comprends bien ce que je te dis, mon enfant ?   -          J’y parviendrai assurément, soupiré-je.  En attendant, je trouverai son maître et je vengerai ma famille.  Il regrettera d’avoir croisé mon chemin.   -          Je serai à tes côtés.  Montréal sera à tes côtés.  Nous désirons tous vengeance.   -          Pourquoi me voulait-il moi et moi seule ?  Tout le monde sait bien que Julian ne m’aurait jamais laissée partir sans lui.   Surpris par cette nouvelle information, l’Évêque se transforme en statut, signe qu’il réfléchit intensément.  Je sens une autre vague de chaleur dans ma gorge, accompagnée d’une colère si intense que je reconnais à peine le psyché de mon aimé.  Inquiète, je me lève d’un bond.   -          Mais il va le tuer, m’écrié-je, horrifiée.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD