Société immortelle - Âmes Jumelles - Partie 3 (terminé)

Laisser retomber la poussière

Je reste là, fixant le couloir vide.  Je ne peux en vouloir à Julian de réagir ainsi.  Je réalise que ma punition nous a simplement évité ce dérapage inévitable, amplifiant probablement le problème.  Je suis consciente qu’il sera difficile de trouver un équilibre entre son aversion pour ce que je représente en tant qu’Immortelle et ce que je suis pour lui.  Le fait que je n’ai visiblement aucun contrôle sur le partage de notre esprit lorsque je réfléchis en tant que Purifiée ne nous facilitera pas les choses.  Cette situation n’en sera que plus complexe.  Je soupire, déçue de l’avoir blessé, encore une fois. 

Je décide de lui laisser du temps pour décolérer et décompresser.  Je crains de mettre de l’huile sur le feu si je cours après lui.  Je ne voudrais pas qu’il croit que je veuille sauver son âme à tout prix.  J’ai surtout besoin de sentir qu’il m’aime et je veux qu’il sache que je tiens plus que tout à lui.  De plus, notre historique nous a prouvé qu’il valait mieux laisser retomber la poussière avant de nous retrouver après une dispute.  Mes paroles sont moins venimeuses lorsque je suis reposée. 

J’enfile une robe de chambre et me dirige vers la section commune du Presbytère.  L’odeur de sang frais m’indique dans quelle pièce je peux retrouver les Immortels que je cherche avant même de les entendre, signe que j’ai trop attendu avant de m’alimenter.  Réflexion faite, j’ai surtout utilisé plusieurs pouvoirs nécessitant du sang dans les dernières nuits.  Je vais devoir faire un peu plus attention à ça à l’avenir. 

-          Est-ce qu’il vous reste à boire ? risqué-je en entrant dans le salon.

-          J’ai demandé une carafe expressément pour toi, me répond mon Évêque.  J’ai cru comprendre que ton retour a effrayé Julian et que tu as dû user de ta force pour le maîtriser. 

Je me sers une coupe avant de m’asseoir aux côtés de Myriam. 

-          Vous avez assommé Père, me taquine-t-elle, voyant qu’il ne me suivait pas.

-          Je… Nous avons eu un léger accrochage, soufflé-je, sans quitter des yeux le sang dans mon verre.  Julian est parti prendre l’air.  Nous allons régler ça plus tard.

Mon ton, bien que triste, est ferme et fait comprendre que je n’ai pas envie de m’étendre sur le sujet.  Je laisse passer quelques secondes.  Je lève ensuite la tête vers Lydia pour qu’elle m’expose sa théorie sur ce que je viens de vivre. 

-          Je crois que, et j’ignore comment tu as réussi cet exploit, surtout à distance, tu t’es malencontreusement retrouvée dans le « Rêve Perpétuel » de Reiner.  Tu sais que tes visions sont souvent des avertissements.  Il doit être sur le point d’émerger de son « Repos Mérité ».  Je ne m’explique pas pourquoi tu es restée prisonnière de cette vision après ton réveil. 

-          Maintenant, tu comprends mieux pourquoi tout ça me terrifie et que je n’envisage pas avec sérénité l’idée du « Repos Mérité ».  Ce n’était même pas le mien et j’étais incapable de m’en sortir.  Imagine le mal que je pourrais faire autour de moi si je…

-          Tu ne vivras pas ce genre de cauchemar, me rassure Viktor immédiatement.  Ton tempérament est beaucoup plus doux que le sien.  Ton âme est si pure, Rébecca, alors que la sienne est noire et tourmentée. 

Ses paroles me réconfortent à peine.  Je ressens encore les griffes me traverser le corps et j’en frémis. 

-          Une chose est certaine, commence Myriam.  La prophétie obsède votre Arrière-arrière-grand-père.

-          Il a détruit des lignées entières pour éviter qu’elle ne se réalise.  Il a saigné l’Allemagne et une partie de l’Europe pour une simple phrase.  Mon Père s’est assuré qu’il craigne sa chute plus que tout.  Il lui a juré de tout faire pour lui prouver qu’il est imparfait.  Antoine avait un sacré culot pour braver ainsi son aîné de 800 ans.

-          Je crois qu’il a laissé le culot dans son héritage, sourit mon Évêque en me servant un nouveau verre de sang.  Je comprends mieux certains comportements d’une jeune Sakyu de ma connaissance. 

Il me fait un clin d’œil complice.  Je baisse la tête, gênée.  Il est vrai que je ne m’en laisse pas toujours imposer par mes aînés.  La nuit étant beaucoup plus avancée que je le pensais, Myriam et Lydia partent, me faisant promettre de ne pas dormir seule.  Victoria les rassure qu’elle serait près de moi à mon réveil tandis que Viktor reste de marbre.  Après leur départ, je lui demande si Xavier Leblois lui a donné les réponses attendues. 

-          Je vous ai vu entrer avec son corps dans le bureau du Roi un peu avant de quitter la grande salle hier, lui dis-je.  J’imagine que vous avez eu la chance de l’interroger.

-          Il n’a fait que nous confirmer ce que vous aviez déjà découvert.  Marcel Lormier correspondait avec un dénommé Laurent Baron en France.

Ce nom me dit quelque chose à chaque fois que je l’entends ou le lit mais je n’arrive pas à me souvenir où j’aurais pu le voir.  J’aimerais tellement avoir une mémoire aussi phénoménale que celle de Julian ou Lydia.  Je plisse les yeux en réfléchissant. 

-          Laurent Baron-Poisy ? demande Victoria.

-          C’est le nom du Père d’Antoine, m’écrié-je tout à coup.  Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ?  Mais il a été tué dans une guerre en Hollande au début du vingtième siècle.  Ça ne peut pas être lui. 

-          Ce qui confirme que c’est un nom d’emprunt.  L’Immortel qui communiquait avec Lormier n’utilisait jamais la même adresse ou presque.  Soit il voulait éviter de se faire repérer, soit il se déplace dans ses fonctions.  ASARA devra investiguer plus en profondeur sur lui, maintenant que vous pouvez plus aisément vous déplacer désormais.  Quoique je ne pense pas qu’il soit prudent pour Julian et toi de vous exposer en Europe pour le moment. 

-          Nous devons venger Farouk et les autres, déclaré-je.  Si pour cela, je dois aller en Europe et trouver ce Baron, rien ne m’arrêtera. 

Mon Ancien soupire avant de reprendre.

-          Tu étais bien le colibri et il m’appelait le corbeau.  Le jeune Skugga avait le mandat de retrouver l’aigle et de couvrir les traces de son mentor en cas de départ précipité.  C’est pourquoi nous l’avons trouvé dans ses appartements.   Il m’a bégayé une histoire étrange d’ennemi qui rôdait depuis des semaines, l’empêchant de mener à bien sa mission.  Il devait te surveiller et il n’a rien trouvé de mieux que de te cracher dessus pour t’approcher dans un premier temps.

-          Drôle de surveillance, m’irrité-je. 

-          On a effectivement vu mieux comme technique, m’accorde Viktor.  Il dit que tu es charmante et intéressante.  Il détestait te faire du mal en te crachant dessus.

-          Considérant que je ne lui ai jamais parlé, je suis presque touchée, ironisé-je.

-          Tu m’étonnes, rigole le Nyama.  Il recherchait également le descendant de Sandal.  Il disait être sur le point d’y arriver quand Jessica a disparu, sans se présenter à un rendez-vous qu’il avait avec elle.  Il a paniqué lorsque nous lui avons dit que son maître l’avait tuée, prétendant que c’était impossible.  Puis il a avoué que Lormier avait des comportements étranges depuis quelques temps.  Nous avons remarqué des blancs dans son esprit, ce qui nous indique qu’il a été manipulé mentalement.  Difficile de savoir ce qui a été effacé. 

-          Comment pouvait-il savoir qui était le descendant de Sandal ? 

-          Tu sais que nous pouvons déterminer la descendance d’un Immortel en goûtant son sang, me rappelle mon mentor. 

J’acquiesce en me souvenant que le Roi avait confirmé que Myriam était effectivement notre Fille en prenant une goutte du sang de Julian et du mien. 

-          Si je te donnais plusieurs échantillons de sang dont un de Myriam, tu reconnaîtrais le sien parmi les autres car il fait partie de ta lignée. 

-          Xavier Leblois est un descendant de Sandal, m’exclamé-je avec stupéfaction.

-          Était, me reprend mon Ancien.  Probablement pas de la même lignée que celui qu’il recherchait mais il semblait confiant de pouvoir retracer la descendance de cet ennemi du Cardinal.  À force de le questionner, nous avons compris qu’il ne lui restait que quatre Immortels à tester en plus de Jessica.  Je te laisse deviner lesquels.

-          Le Cerbère du Munitum, Monsieur Jdanov, débuté-je, sachant trop bien que nous savions tous les deux qui était le descendant tant recherché.  Notre Ambassadrice, Andrea Fraser.  Il est fort difficile d’approcher ces positions de pouvoir et de réussir à leur soutirer un peu de sang, sans attirer leur attention.  Ils ne sont pas de ceux qui vont au Gymnase de la ville pour se battre.  Kat et Julian n’utilisaient cette aire commune que lorsque j’y étais.  Étrangement, nous étions toujours seuls ces nuits-là.  J’en déduis que Xavier n’a jamais réussi à avoir leur sang. 

-          Mais tu sais comme moi, qu’à l’éclairage de la prophétie, si tu es la descendante de l’un…

-          Julian est le descendant humain et vampirique de l’autre, comme moi. P