Rêve perpétuel

1852 Words
Je ne reconnais pas l’endroit où je me trouve.   Pourtant, je me sens très à l’aise d’être en ces lieux où le luxe des boiseries et le marbre du sol me font sentir chez-moi.  L’or qui recouvre les objets de culte posés sur l’autel sculpté brille de mille feux.  Tout respire la richesse et me donne envie, à moi, Rébecca, de vomir.  Pourtant, mon hôte semble trouver tout ça normal.  Pour lui, cette Chapelle démontre sa puissance.  Pour moi, elle représente l’un des symptômes de notre société malade.   -          Parle, m’écrié-je d’une voix forte, grave et, à mon grand étonnement, masculine.    Je n’ai jamais entendu cette voix.  Pas plus que je n’ai vu ces mains couvertes de bagues horribles que je peux observer car je baisse les yeux.  Je porte une grande soutane rouge.  C’est la couleur des habits des cardinaux.  Je serre les poings devant moi en fixant un homme assis sur le premier banc.  Mon prisonnier, car ce dernier a les poignets et les chevilles encerclé de bracelets de métal foncé le tout reliés par d’énormes chaînes, est immobile, tête penchée vers l’avant.  Je ne vois que ces cheveux roux foncés.  Pourtant, je suis certaine que je connais cet Immortel.    -          Dis-moi où se cache ta descendante ou je la tue, grogné-je d’une voix menaçante.    Je déteste ce genre de rêve où j’ignore si je suis dans le passé ou le futur.  Mais j’ai envie de hurler lorsque je me vois pointer une femme aux longs cheveux noirs, vêtue d’une magnifique robe rouge : ma tante Lena.  Elle a un pieu dans le cœur.  Je veux aller la sauver mais le corps que j’habite refuse de m’écouter.  Je ne suis qu’une spectatrice habitant le corps de mon hôte.  Je suis impuissante et je suis forcée de détourner le regard puisqu’il en a décidé ainsi.  Je recule d’un pas, étonnée de voir que mon prisonnier n’en est plus un.  Je fais maintenant face à Antoine, mon Père, qui me toise avec arrogance.   -          Lorsque son descendant et ta descendante ne feront qu’un, tu ne seras plus, me dit-il avec mesquinerie.  Elle s’en vient, Cardinal Reiner.  Elle est avec lui.  Elle est venue pour toi.    Antoine se met à sautiller autour de moi en scandant la prophétie comme un bouffon du roi, riant et me pointant du doigt, me rappelant qu’elle s’en vient.  Je suis tétanisé sur place.  Je lui hurle de se taire sans bouger, tentant de bloquer le son avec mes mains sur les oreilles.    -          Je l’entends qui vient, murmure tout à coup Antoine en cessant de bouger, tendant l’oreille vers notre droite.    Je regarde là où il pointe. Les portes de la Chapelle s’ouvrent avec fracas, laissant apparaître deux silhouettes plutôt floues.  Leurs yeux sont rouges et de longues griffes brillent au bout de leurs doigts.  L’image est saisissante.  Je suis incapable de les quitter du regard.  J’entends toujours Antoine scander la prophétie.  Il doit avoir retirer le pieu du cœur de Lena car elle joint sa voix à la sienne.    -          Ton règne est fini, Cardinal Reiner.  Ils sont là pour toi.   Je vois le couple se ruer sur moi.  Je m’entends hurler alors que je sens leurs griffes me déchirer.  Je n’ai pas mal.  Je sais que mon corps est réveillé mais mon esprit refuse de quitter ce cauchemar.  Les images reviennent en boucle, me terrifiant de plus belle.  J’entends un téléphone vibrer à travers les échanges entre mon Arrière-arrière-grand-père et mon Père.  Pourquoi Julian est-il dans mon cauchemar ?  Pourquoi suis-je encore dans ce film atroce ?  Ils reviennent pour me tuer, je ne veux pas mourir.  Ils approchent.  Je vais encore souffrir.  Je hurle lorsque je sens une fois de plus leurs griffes me lacérer.  C’est la treizième fois.  Pourquoi me ressuscitez-vous toujours si c’est pour me faire souffrir autant à chaque fois ?  Je n’en peux plus.  Je veux sortir de cet enfer. J’ignore depuis combien de temps je suis prise dans cette spirale infernale.  J’ai cessé de compter le nombre de fois où je suis morte.  Je crois que j’ai senti la présence de Julian à mes côtés.  Je me sens un peu plus rassurée même si sa panique n’a franchement rien de réconfortant.  Je sais qu’il tente de m’envelopper d’amour mais je sais aussi qu’il a terriblement peur de me perdre.  Je suis incapable de ne pas hurler lorsqu’on me tue, ce qui le paralyse à chaque fois.  Mais je n’y peux rien.  C’est tellement souffrant. Heureusement, j’arrive à entendre des bribes de conversations autour de moi pendant les autres parties du scénario qui se joue dans mon esprit.  Je comprends vaguement que Myriam ne l’a vécu qu’une seule fois, la chanceuse.  Julian en saisit des parties, sans toutefois être incapable de ne pas ressentir ma détresse.  Il vacille de plus en plus.  Elle me décrit et notre Ancien confirme que je suis effectivement Reiner.  Viktor parle alors de « Rêve Perpétuel » et le nom de Lydia est prononcé.  J’ai envie de pleurer de joie.  Je sais que mon calvaire prendra bientôt fin.  J’entends la voix de Lydia me parler doucement, m’éloignant lentement du film qui passe en boucle dans mon esprit depuis trop longtemps à mon goût.  J’ai l’impression qu’un lien se dissout, m’empêchant enfin de vivre ce cauchemar réaliste.  Bien que j’ai encore quelques images flottant en tête, je sens bien que je suis en plein contrôle de mes capacités.  J’ouvre les yeux et je la vois, assise en califourchon sur moi, doigts sur mes tempes, ses yeux bleus-gris fixés aux miens.   -          Bon retour parmi nous ma belle, me dit-elle en retirant ses mains de mon visage.  La prochaine fois, attends-moi pour ce genre d’expériences.   Elle me fait un clin d’œil avant de se lever.  Je grommelle que j’essaierai.  J’observe autour de nous et remarque que la pièce est vide.  Je suis pourtant persuadée d’avoir entendu les voix de Julian, Myriam, Viktor et Victoria à travers mon brouillard.    -          Où est Julian ? demandé-je, la voix tremblante.   -          Au salon, avec les autres.  Votre proximité perturbait mon travail.  Je ne m’explique pas pourquoi.  Près de toi, il n’arrivait pas à fermer son esprit.  Il le vivait presque avec toi lorsque j’ai exigé qu’on l’accompagne à l’extérieur.  Je n’avais jamais vu ça Rébecca.  J’ai vraiment eu p…   La porte s’ouvre avec fracas sur Julian, visiblement en furie et paniqué.   -          Ne me refait plus jamais ça, me crache-t-il au visage en me sautant dessus.   Je me retrouve couchée sous lui, dans mon lit.  Je déteste le voir aux abois ainsi.  La colère assombrit ses yeux qui sont presque noirs et la peur lui torture l’esprit à un point tel qu’il n’arrive plus à penser de manière logique.  Tout ce qu’il voit, c’est que je n’allais pas bien et qu’il ne pouvait rien faire pour m’aider.  Son impuissance le rend carrément fou.  Il me déteste de lui faire vivre ça et il semble déterminer à me faire payer pour ma faute.  Je sais qu’il s’en voudra de me faire mal et je refuse que ça arrive.  Plutôt que de lui lancer une réplique cinglante dont j’ai le secret, je puise ma force surnaturelle et le fais rouler sous moi.  Rapidement, je pose ma main sur son cœur et glisse la sienne sous ma nuisette pour la placer directement entre mes seins.  Je plonge mon regard dans le sien.  Dissiper les images du cauchemar qu’il a vécu avec moi, éloigner la crainte de me perdre et faire taire sa colère pour l’aider à retrouver son chemin vers moi est ardu.  Son esprit lutte et panique, refusant de voir la lumière de notre amour.  Il revit les événements de l’autre nuit, me revoyant nourrir Viktor et partir chercher la Déesse, trop faible pour ce voyage.  Je prends conscience que nous avons trop tardé pour nous reconnecter et que nous sommes encore plus vulnérables désormais.  Je lui remémore nos serments, nos plus beaux moments, tout ce qui fait que nous sommes forts ensemble.  Nous restons dans cette position de très longues minutes, se fixant, nos corps tremblant, le mien d’amour, le sien de colère et de peur.  Alors qu’il me revoit hurler à mort dans son esprit, sa bête s’emballe effrayant la mienne.  Je panique, le sentant sur le bord du gouffre.  Je le sens exténué, fatigué de se battre contre vents et marées pour me rejoindre.  Craignant qu’il abandonne, j’appuie sur son torse de toutes mes forces, hurlant dans ma voix vampirique :   -          J’ai besoin de toi Julian.  Ne m’abandonne pas.  Je t’en supplie.  Reviens vers moi.  Je t’aime Skugga d’amour.    Je sens mes larmes sur mes joues.  Mes crocs sont sortis, ma bête est prête à se déchainer, tout comme celle de Julian.  Nous sommes un véritable danger pour l’autre, pour Lydia qui assiste à tout ça dans un coin de la pièce.  Je reprends sur moi, espérant calmer ma moitié par la même occasion.  Je le bombarde d’images de nous, de nos Filles.  Je lui murmure que je l’aime et que je serai toujours là pour lui.  Puis je le sens enfin avec moi.  Je retrouve l’ambre de ses yeux.  Mon Skugga est de retour.  Je m’effondre sur lui, heureuse d’être complète à nouveau.  J’entends une porte se refermer un peu plus loin.  Je sais que nous sommes seuls.  Julian pleure en me gardant dans ses bras.  Je suis soulagée qu’il laisse sortir ses émotions pour une fois.  Il peut se montrer si orgueilleux parfois.  Il sait pourtant qu’il peut tout me confier.  Après tout, je suis une Prêtresse.  Heu non, je suis sa moitié.  Je ne devrais même pas penser comme une Purifiée lorsque je suis avec lui.  Je devrais rester simplement moi et l’accueillir tel qu’il est.  Je caresse doucement ses cheveux en frottant mon nez dans son cou.  Julian lâche un soupir.  Croyant qu’il apprécie mes caresses, je les poursuis doucement, agrémentant le tout de baisers volages sur sa mâchoire.  J’aimerais tant qu’il me parle plus de ce qu’il vit.  J’ai un rôle dans notre société et c’est de veiller sur les âmes des Immortels.  Ah, misère.  Il est mon amoureux, pas un citoyen.  Pourquoi est-ce si difficile de ne pas tout mélanger cette nuit ?  Pourrais-je simplement aimer Julian, m’occuper de lui sans penser à ma fonction sociale ?   -          Tu es pitoyable Rébecca Duhamel, fait Julian en me repoussant doucement.   Surprise, je le regarde sortir du lit.  Il a fermé son esprit.  Il se dirige vers la porte.    -          Où vas-tu ? lui demandé-je, hébétée.   -          Loin de toi, me répond-t-il simplement.   Je me précipite devant lui.   Je crois comprendre qu’il a senti ma lutte et qu’il en est offusqué.    -          Je m’expose à toi, dans ma plus grande vulnérabilité et tu veux me faire ta job de Purifiée.  À moi !!!!! s’écrie-t-il.    -          Ne sois pas si susceptible, lui rétorqué-je.  Tu sais bien que j’ai lutté.  Je t’aime trop pour…   -          Ton esprit était hermétique Rébecca.  Tu étais clairement en service, vocifère-t-il en me poussant.   Il sort de la pièce.  Le temps que je le suive dans le corridor, il a disparu.  
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